Mohammed VI, un roi mécène
Peinture, cinéma, musique, festivals… Par goût personnel mais aussi par souci d’exporter une image positive du pays, il est devenu un acteur de premier plan de la vie culturelle marocaine. Et comble ainsi le vide laissé par les politiques.
Sur la gauche, un tableau aux accents orientalisants, peint par Bernard Buffet. Sur la droite, une imposante compression du sculpteur César. Bienvenue à Rabat, quartier de Dar es-Salam, dans la résidence privée du roi Mohammed VI ! Collectionneur de tableaux, cinéphile, amateur de musique, Mohammed VI est devenu ces dernières années un acteur du développement de la vie culturelle marocaine et entretient des relations privilégiées avec de nombreux artistes.
« La peinture est une véritable passion pour lui, explique un galeriste casablancais. Même s’il n’en fait pas état, il est l’un des meilleurs connaisseurs de la peinture marocaine contemporaine. » Il possède la plus importante collection privée de tableaux marocains, notamment des tableaux de Mohamed Kacimi, Chaïbia ou encore de Hassan El Glaoui, dont il est un fervent admirateur. Le roi aime également les peintres orientalistes.
Naissance d’un marché
Au palais, c’est un membre du secrétariat particulier qui acquiert en son nom les œuvres d’art. Une passion qui a contribué à la naissance d’un marché de l’art. « Il y avait déjà, du temps de Hassan II, des collectionneurs et des fondations très dynamiques, comme celle de Wafabank. Mais la passion royale a incontestablement créé une dynamique. Les courtisans et la bourgeoisie ont commencé à s’intéresser à ce domaine. À partir du moment où le roi y croit, cela rassure les investisseurs potentiels », explique le responsable de la principale maison de ventes marocaine.
Surfant sur la vague, cinq sociétés de ventes aux enchères se sont installées à Casablanca depuis 2002, et le prix des œuvres a été multiplié par six ou sept. Le marché de l’art marocain est estimé à 400 millions de dirhams (35,6 millions d’euros) par an. « Le nombre de collectionneurs a explosé. Lors de ma dernière exposition à Casablanca, j’ai presque tout vendu alors qu’avant c’était très difficile de vivre de son art », explique le peintre Mehdi Qotbi, dont plusieurs tableaux décorent les murs de palais royaux. Mais les achats royaux restent en général assez confidentiels, et les peintres eux-mêmes rechignent à médiatiser l’intérêt que peut leur porter Mohammed VI. Une discrétion toute protocolaire…
Ami des stars
En phase avec son époque, Mohammed VI n’affiche pas de goût élitiste en matière de musique. Dans l’une des rares interviews qu’il a donnée au Figaro en 2000, il affirmait d’ailleurs : « J’aime beaucoup la musique de mon temps, le raï, le rock. Je l’avoue, j’ai des goûts très commerciaux. Mais je me laisse emporter par les différents courants contemporains. » Fan de musique marocaine, il a souvent aidé financièrement des artistes désargentés. Il a notamment versé des salaires aux membres toujours vivants du groupe mythique Nass El Ghiwane et à la chanteuse Haja Hamdaouia, qui vivait alors à Paris dans des conditions très modestes.
Mohammed VI est aussi féru de cinéma. Le Palais peut d’ailleurs se montrer d’une grande aide à l’égard des équipes de tournage qui posent leurs caméras sur le sol marocain. Les forces armées royales sont souvent mises à disposition, notamment dans des films de guerre comme La Chute du faucon noir, de Ridley Scott, tourné à Salé. Narjiss Nejjar a bénéficié de l’aide de l’armée lors du tournage de Wake Up Morocco. Plus de 3 000 soldats ont fait de la figuration à titre gracieux.
Choyées, reçues au Maroc avec tous les honneurs, certaines stars sont devenues des amis personnels de Sa Majesté. Le chanteur Johnny Hallyday, dont le roi apprécie la musique, le tutoie mais l’appelle majesté. Mais c’est sans doute son amitié avec l’humoriste franco-marocain Jamel Debbouze, qui a beaucoup investi dans la construction de studios de cinéma à Ouarzazate, qui a été le plus médiatisée.
Reçu régulièrement au palais, Jamel Debbouze est un parfait ambassadeur du Maroc à l’étranger. C’est d’ailleurs par son intermédiaire que le rappeur américain Puff Daddy a organisé en grande pompe son anniversaire à Marrakech en 2002, le Palais ayant intégralement payé les festivités pour plus de 300 invités triés sur le volet. L’amitié de Jamel Debbouze pour le roi n’est pas non plus du goût des autorités algériennes, qui ont refusé le visa à l’humoriste pour un spectacle en 2006, sous prétexte qu’il défendait trop ardemment la marocanité du Sahara occidental. « À tort ou à raison, le mécénat royal est parfois à double tranchant, car les gens aidés par le roi peuvent être soupçonnés d’avoir perdu leur indépendance et d’être des lobbyistes du royaume », confie un observateur proche des milieux artistiques. Les autorités ont en tout cas compris que la culture et le show-biz étaient des moyens exceptionnels pour exporter une image positive du pays. C’est en partie le rôle des festivals internationaux, qui accueillent avec faste des stars du monde entier. « Le Palais met beaucoup d’énergie dans l’événementiel culturel, notamment à travers le Festival de cinéma de Marrakech ou celui de Mawazine, qui accueille des stars de la musique », rappelle l’écrivain Driss Ksikes.
Estampillés « royaux », ces festivals sont en général associés à un proche de Mohammed VI. Moulay Rachid préside le Festival de Marrakech. Chapeauté pendant des années par le directeur du Collège royal Abdeljalil Lahjomri, le Festival Mawazine est aujourd’hui dirigé par Mounir El Majidi, le secrétaire particulier de Mohammed VI, qui voit les choses en grand. En 2010, Rabat accueillera Sting, Mika, Stevie Wonder ou encore Elton John. Quelque 24 millions de dirhams (2,15 millions d’euros) pour Mawazine, 50 millions pour le Festival de Marrakech… les budgets sont à la hauteur des ambitions, mais choquent de nombreux animateurs culturels indépendants qui peinent à exister, faute de subventions.
Car en marge des événements officiels le Maroc abrite aussi une société civile très active, qui organise festivals et rencontres avec les moyens du bord. C’est le cas de L’Boulevard, une association née en 1999 et qui a permis l’émergence de nombreux artistes. Allant de sponsors en sponsors, accumulant les refus, Mohamed Merhari et Hicham Bahou, ses fondateurs, ne se sont jamais découragés. Une opiniâtreté qui a payé, puisqu’ils sont aujourd’hui considérés comme les fers de lance de la nayda, la movida sauce marocaine. En juin 2009, ces deux trublions, vilipendés par les islamistes pour leur liberté de ton, ont eu la surprise d’être appelés au palais, à Rabat. Là, ils se sont vu remettre un chèque personnel du roi de 2 millions de dirhams (près de 180 000 euros). Un soutien bienvenu de la part de Mohammed VI à la nouvelle scène musicale mais aussi un message politique en direction des islamistes. Mais Momo est formel : « Cela ne changera rien, nous restons aussi indépendants qu’au premier jour. »
Compenser sans guérir
La générosité royale ne peut suffire à faire oublier qu’au Maroc la culture reste un parent pauvre de la politique gouvernementale. Avec 537 millions de dirhams (48 millions d’euros), le budget du ministère de la Culture ne représente que 1 % des dépenses de l’État. Les rares infrastructures culturelles sont souvent vétustes, et le nombre de musées ou de salles de spectacle est bien en deçà du potentiel du pays. La culture est par ailleurs difficile d’accès, et seule une élite urbaine et aisée peut avoir la chance d’en profiter. Pourtant, au Parlement, de nombreux députés ont appelé, lors du vote de la loi de finances 2010, à augmenter considérablement l’investissement dans la culture. « Chaque année, les élus s’agitent, mais le résultat est le même : la culture est loin d’être une priorité pour les hommes politiques », déplore un cadre du ministère. Dans ces conditions, l’activisme royal compense un manque de moyens et de volonté politique.
Le ministère a cependant lancé de grands projets : en 2011, le Maroc se dotera d’un musée des Arts modernes à Rabat et d’un Conservatoire de musique aux normes internationales. Mais pour le futur Musée archéologique, il a encore une fois dû compter sur l’aide royale, qui lui a octroyé les terrains de l’ancienne résidence Lyautey. Dans les grandes villes, les lieux où les artistes peuvent se produire sont rares et leur programmation souvent surchargée. C’est pour y remédier que le roi a acquis l’ancien cinéma Renaissance à Rabat. Et en a fait don à la Fondation Hiba, créée en janvier et qui a pour mission de repérer les jeunes talents. « Tant mieux si le roi soutient certains artistes. Mais il ne faut pas oublier que, pendant dix ans, L’Boulevard a survécu grâce à la débrouillardise. Et c’est la même chose pour toutes les autres associations culturelles. Le chèque royal est une consécration d’un travail accompli, mais cela ne suffit pas à remplacer une véritable politique culturelle », conclut Driss Ksikes.
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