Le coût des délestages

En plein redécollage, les industriels sont confrontés depuis janvier aux nombreux délestages. Malgré tout, les unités de transformation des matières premières locales se multiplient. Vont-elles réussir à tenir la distance ?

Les usines de la zone de Vridi, à Abidjan. © Nabil Zorkot

Les usines de la zone de Vridi, à Abidjan. © Nabil Zorkot

Publié le 14 avril 2010 Lecture : 5 minutes.

Côte d’Ivoire : du bon usage des matières premières
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Côte d’Ivoire : du bon usage des matières premières

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Les industriels sont en colère. En dix ans, ils ont connu un coup d’État, une rébellion qui a abouti à la scission du pays, le saccage de leur outil de production en novembre 2004, sept gouvernements… et, pour finir, ils viennent de subir une crise électrique sans précédent. Les autorités n’ont pas écouté leurs experts quand ces derniers leur demandaient de renouveler les installations de la centrale thermique d’Azito (entrée en service en 1999) et, depuis trois mois, les délestages ont entraîné l’arrêt des chaînes de production et des surcoûts en alimentation dont les industriels se seraient bien passés. « Les coupures nous coûtent près de trois jours hebdomadaires de production, explique un cadre de la raffinerie de la société Sania. On a perdu 1 500 tonnes d’huile de palme par semaine. »

Devant l’urgence et soucieux de ne pas donner d’autres motifs de contestation à son opposition, le président Laurent Gbagbo a sollicité les bailleurs de fonds pour la réparation des équipements, le Ghana voisin pour obtenir de l’énergie. Il a aussi livré à la vindicte son ministre des Mines et de l’Énergie, Léon Emmanuel Monnet, remplacé par Augustin Komoé Kouadio au mois de février. Une bien maigre consolation.

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Pour Jean-Louis Billon, le président de la Chambre de commerce et d’industrie, la situation ne peut plus durer : « Les politiques ont mis le pays à genoux. Il faut aller rapidement à l’élection car les gouvernements successifs ne travaillent pas à résoudre les problèmes quotidiens des opérateurs économiques et des Ivoiriens en général. Les usines sont dans le noir. À la morgue, les corps ne sont plus refroidis. Les téléphones sonnent dans le vide car les antennes relais ne sont plus alimentées… Nous détruisons les infrastructures et hypothéquons notre potentiel. » Un potentiel pourtant bien réel.

Dès l’indépendance, en 1960, le président Félix Houphouët-Boigny lance le développement des secteurs primaire et secondaire. L’agriculture intensive connaît alors un développement fulgurant. Cacao, café, banane, ananas, canne à sucre, huile de palme, hévéa, coton… Toutes les filières sont exploitées. Les autorités créent des sociétés d’État pour accompagner l’essor des plantations industrielles et villageoises, et procéder à la première transformation.

La manufacture de tabac de Bouaké (Centre-Nord). / © Nabil Zorkot

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De l’âge d’or à la descente du piédestal

Le pays s’engage également dans la valorisation des hydrocarbures en investissant dans l’exploration, le raffinage et la distribution. Des ressources considérables sont ainsi dégagées pour financer les projets nationaux. Parallèlement, les autorités adoptent un code des investissements pour attirer les opérateurs étrangers et facilitent l’installation des PME-PMI. C’est l’âge d’or de la Côte d’Ivoire. Au début des années 1980, on appelle encore Abidjan « le Petit Paris ».

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Mais la crise économique et les plans d’ajustement structurel imposés par les institutions de Bretton Woods viennent sonner le glas de cet essor. Après la mort du « Vieux », en 1993, le pays s’enfonce dans la crise. La guerre de succession dérive en débat malsain sur l’ivoirité et conduit à l’exclusion d’un des héritiers. Les coups d’État de 1999 et 2002, aboutissant à la partition du pays, ne feront qu’aggraver la situation.

Aujourd’hui, les entraves au développement industriel sont réelles. L’image du pays est écornée. Le coût des prêts est majoré par l’incertitude politique, la corruption est endémique. Il faut verser 10 % de pots-de-vin pour se faire régler les factures liées aux marchés publics. Le coût du transport routier est l’un des plus onéreux au monde en raison des barrages et du racket. Autre frein : l’insécurité juridique des affaires, qui n’incite pas les investisseurs à parier sur le pays.

Au second semestre de 2009, les opérateurs commençaient à voir le bout du tunnel avec la reprise de la coopération financière, les perspectives d’allègement de dette (17 000 milliards de F CFA) et le retour de la croissance à 3,7 %. Pour 2010, le ministre de l’Économie et des Finances, Charles Diby Koffi, prévoit une progression du PIB de 4 % favorisée par une hausse de l’extraction minière (7,8 %) et pétrolière (4,9 %), de la production agricole (3,3 %), agro-industrielle (12,1 %) et manu­facturière (6,5 %).

Le retour de l’esprit pionnier

La Banque mondiale a redéployé ses actions en finançant plus de 800 millions de dollars de dons en moins de dix-huit mois et son représentant résidant à Abidjan, Madani Tall, vend au président Gbagbo les avantages des réformes (bonne gouvernance, incitations fiscales, protection des investissements…) pour obtenir un « environnement d’affaires de classe internationale ». Avant la dissolution du gouvernement et de la Commission électorale indépendante, en février, les grands hôtels affichaient même complet. « Les hommes d’affaires reviennent. Ils préparent l’après-crise, explique un banquier d’Abid­jan. Mais la tenue de la présidentielle étant repoussée, la plupart des projets d’investissement seront reportés. »

Les opérateurs appellent les autorités à ranimer l’esprit pionnier. « Nous avons tout intérêt à capter une part de plus en plus importante de la plus-value du produit final en réalisant des produits semi-finis et finis », souligne Pierre Koffi Djemis, fondateur du cabinet d’affaires PKD Conseil. « Nos entreprises doivent profiter des opportunités offertes par un marché sous-régional de 300 millions de personnes », indique quant à lui Raymond Sibailly, conseiller spécial du chef de l’État chargé des politiques d’investissement et d’intégration africaine. Les candidats à l’élection présidentielle en sont conscients. Ils ont tous fait du développement industriel l’un des piliers de leur programme économique.

Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA), fondé par Houphouët-Boigny et conduit par l’ancien président Henri Konan Bédié, a l’ambition de créer un nouveau pays industrialisé en l’espace d’une génération et promet de porter la part de secteur secondaire dans le produit intérieur brut à 35 % en 2015, contre 23 % en 2008, et 24 % en 1997.

Des candidats unanimes

Le candidat Konan Bédié entend faire émerger de grands pôles industriels – dans les mines, l’énergie, l’agro-industrie et les nouvelles technologies de l’information – et compte instaurer des zones franches. Même souci chez l’ancien Premier ministre, Alassane Dramane Ouattara, qui appelle à investir massivement dans le secteur secondaire pour en faire un véritable moteur économique. Idem pour le chef de l’État, Laurent Gbagbo, qui souhaite que les matières premières soient transformées sur place. De bien louables intentions que les Ivoiriens aimeraient voir se concrétiser rapidement.

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