Zoubeir Ben Terdeyet

Cet expert-comptable d’origine tunisienne dirige un cabinet de conseil en finance islamique et anime une association d’entraide pour travailleurs musulmans.

Zoubeir Ben Terdeyet. © Vincent Fournier pour J.A.

Zoubeir Ben Terdeyet. © Vincent Fournier pour J.A.

Publié le 7 avril 2010 Lecture : 5 minutes.

Volontaire, hyperactif, généreux… et gourmand. C’est ainsi que l’entourage de Zoubeir Ben Terdeyet le décrit. Toujours entre deux avions, l’homme dirige un cabinet de conseil en finance islamique (Isla Invest, dont il ne souhaite pas communiquer le chiffre d’affaires), qui l’entraîne en Europe, au Moyen-Orient et au Maghreb. Simultanément, il pilote une association d’entraide pour travailleurs musulmans, Les Dérouilleurs. Et quand on évoque l’aspect communautariste de son entreprise, Zoubeir a un sourire en coin : « La France est communautaire, qu’on le reconnaisse ou non. Avec Les Dérouilleurs, je veux montrer que l’on peut être musulman et réussir sa vie professionnelle sans se renier. »

Chemise rose sous pull prune, à l’aise dans son jean, Ben Terdeyet dévore avec plaisir une part de tarte Tatin, tout en pianotant sur un smartphone qui bipe toutes les deux minutes. Ses joues rondes lui donnent un air de garçon qui a trop vite grandi et, à 32 ans, il en paraît à peine 25. La discrimination, il connaît. Mais point d’amertume ou d’aigreur, les écueils ne l’ont jamais empêché de faire ce dont il avait envie. « Il est un peu entêté, confie son frère cadet, Lemjed. Quand il veut quelque chose, il fonce. » Cela se lit dans son regard. De temps en temps, il fixe son interlocuteur de ses yeux noisette, histoire de lui faire comprendre qu’il n’est pas un « crevard » qui voudrait juste « se faire du pognon et une réputation », qu’il n’est pas de ceux qui utilisent leur engagement associatif comme tremplin politique. Sa cuiller frappe son assiette pour appuyer ses propos : « Il y a tellement de discriminations qu’on se demande tout le temps laquelle joue : raciale, sociale ou scolaire ? Un Noir qui sort de Centrale a plus de chances d’avoir un stage qu’un Blanc de n’importe quelle autre fac. »

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Né en 1978 à Djerba, en Tunisie, Zoubeir Ben Terdeyet arrive en France deux ans plus tard avec sa mère. Ils rejoignent son père, qui travaille alors dans le nettoyage industriel. La famille qui s’agrandit – trois autres enfants naîtront – n’est pas bien riche, mais vit dans un confortable petit appartement de Saint-Germain-en-Laye, en région parisienne. De ses années d’écolier, Zoubeir garde un bon souvenir. Il vante la mixité sociale de l’époque, loin des « ghettos dans lesquels sont regroupés tous les enfants d’immigrés aujourd’hui ». Puis vient le collège, le « tournant où l’on se rend compte qu’il y a des riches et des pauvres. Que l’on aura ni Nike ni Puma, mais des chaussures de grande surface. Ça fait réfléchir… » Dès la quatrième, l’adolescent identifie les métiers qui font « gagner de la thune ». Avocat, notaire, médecin ? Il sera expert-comptable. Bac + 8, c’est long, mais ça paie. « Je suis devenu moins bavard et plus sérieux au travail. » À l’université de Nanterre, où il s’inscrit en sciences économiques, Ben Terdeyet découvre le milieu associatif au sein de la Junior-Entreprise de la faculté. De simple adhérent, il devient comptable, puis président. « J’étais persuadé que par le travail, on pouvait y arriver. La méritocratie à la française… »

En 2002, c’est l’heure des premières désillusions. Pour obtenir son DESS en finance, il lui faut un stage. Que de réponses négatives ! L’étudiant finit par en décrocher un… après le désistement d’une amie qui le recommande à son employeur. Au cours de l’entretien, vingt minutes sont consacrées à son CV, quarante-cinq à ses activités au sein de la Junior-Entreprise : « J’ai compris que les compétences, c’était bien, mais que ce n’était pas tout. D’abord, il faut connaître des gens qui connaissent des gens. Ensuite, il faut se montrer débrouillard. »

Son stage lui apprend beaucoup, notamment sur la finance islamique, dans laquelle Noriba Bank, une filiale de la banque suisse UBS, est leader en Europe. Quand son contrat prend fin, il est conquis. Enfin un secteur de la finance en adéquation avec sa foi et sa culture. S’il travaille ensuite chez Aareal Bank, KPMG, Deloitte, Altime, le jeune homme ne pense qu’à mieux en maîtriser les rouages. Le rituel des vacances en Tunisie est sacrifié au profit de colloques en Afrique et au Moyen-Orient sur le sujet.

Lorsque resurgit le débat sur « l’ascenseur social en panne », le port du voile ou « l’islamisme barbu des cités », l’esprit militant de Ben Terdeyet s’éveille. Avec agacement, il constate que les pouvoirs ne font que contourner le vrai problème : la peur du chômage. Pour lui, l’ascenseur n’est pas en panne, il en est la preuve vivante. Mais certains n’ont pas accès au « marché parallèle de l’emploi », qui fonctionne par le bouche à oreille. Conclusion : il est temps de mettre à contribution les musulmans de France et d’ailleurs. Pourquoi les musulmans ? « Il y a bien des associations d’entrepreneurs chrétiens ! » S’inspirant du modèle anglo-saxon, il organise en 2004 sa première soirée « réseau », où il convie quarante et un amis et relations professionnelles musulmans. Restaurant libanais, plats halal, pas d’alcool. « Pour la première fois, je me sentais vraiment… bien, témoigne Nawel Kelda, chef de projet dans une entreprise. Personne n’insistait pour vous faire boire une coupe de champagne ! »

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Le coup d’essai est une réussite. Zoubeir récidive vingt-cinq fois à Paris. Et quand il lui faut trouver un nom pour cette association, l’enfant des cités se souvient d’un livre d’Azouz Begag – ancien ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances de Jacques Chirac –, Les Dérouilleurs, en référence aux jeunes qui « rouillent » au bas des immeubles. De quarante et un, Les Dérouilleurs passent à six mille. Le concept s’exporte hors de la capitale – Strasbourg, Lyon, Marseille et hors de France – Casablanca, Dubaï, Londres… En six ans, l’association se targue d’avoir permis à cinq cents jeunes de trouver un emploi. « Ce n’est pas une agence de placement, on se charge juste de relayer les offres d’emploi dont nous avons connaissance dans nos activités respectives », précise Rachid Aabid, dérouilleur de la première heure.

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Les Dérouilleurs à peine nés, Zoubeir s’intéresse aux collégiens et lycéens des quartiers difficiles. Avec quelques amis, il crée L’Association pour la promotion de la réussite scolaire (L’Après). Pendant une ou deux heures, des cadres et des chefs d’entreprise issus de quartiers dits « sensibles » vont à la rencontre des jeunes. « Je prends le temps de faire ce que j’aurais aimé que l’on fasse pour moi, explique Nezha Kandoussi, membre de L’Après depuis 2006. Ces jeunes ont besoin de s’identifier. »

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Lorsqu’il n’est pas entre deux avions, Zoubeir Ben Terdeyet ne rate jamais le déjeuner dominical avec sa famille, autour de la cuisine maternelle dont il parle avec tendresse. Ses soirées, il les passe au cinéma ou avec ses amis, à parler d’avenir. Qu’est-ce qui le fait courir ? « Sûrement pas l’argent ! répond Rachid Aabid. Il est comme ça, il a besoin de rendre service. » Zoubeir se contente de hausser les épaules : pour lui, il s’agit simplement de ne plus laisser personne rouiller en bas des immeubles.

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