Sarkozy peut-il rebondir ?

Après la déroute de l’UMP aux régionales, Nicolas Sarkozy peut nourrir quelques inquiétudes quant à son éventuelle réélection, dans deux ans. Car sa politique et sa stratégie électorale ne sont pas seules en cause. Même son style et sa personnalité exaspèrent nombre de ses électeurs !

Dans son bureau de l’Élysée, le 8 mars. © SIPA

Dans son bureau de l’Élysée, le 8 mars. © SIPA

Publié le 2 avril 2010 Lecture : 8 minutes.

En déclarant aux têtes de listes régionales de sa majorité avant de les lancer en campagne : « Si vous n’intégrez pas la dimension nationale, elle vous rattrapera », Nicolas Sarkozy ne croyait pas si bien dire. La nationalisation du scrutin les a rattrapés, mais pour mieux les abattre. Le président lui-même, malgré son virage à 180° quelques semaines plus tard (« à élections régionales, conséquences régionales »), se voit gravement affaibli par ce « verdict des urnes » jamais si bien nommé : il sanctionne le procès personnel de millions d’électeurs à son encontre. Un triple procès : de sa politique ; de sa stratégie ; et, sans doute plus encore, de sa personne.

À la condamnation de sa politique, le remaniement a été sa première et immédiate réponse. La gauche a beau jeu de s’exclamer : tout ça pour ça ! avant de souligner l’écart entre ces petits arrangements et le grand malaise d’une opinion de nouveau frustrée dans son attente. Le remodelage révèle pourtant des changements plus profonds et significatifs que ceux auxquels on s’attendait.

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L’ouverture, c’est fini

C’est tout d’abord la fin de l’ouverture dont se targuait, il y a peu encore, le chef de l’État (« Je suis le meilleur DRH du Parti socialiste »), mais qui horripilait l’UMP à chaque désignation nouvelle : « Elle ne coûte aucune voix à la gauche et en fait beaucoup perdre à la droite. » Sans lâcher pour autant les ministres qui en sont les figures les plus emblématiques : Bernard Kouchner, Fadela Amara, et même Éric Besson, dont le débat sur l’identité nationale paraît néanmoins très compromis. En lieu et place de l’ouverture, il a fait entrer au gouvernement trois des éléments les plus contestataires de l’UMP : le villepiniste Georges Tron, le chiraquien François Baroin et le centriste Marc-Philippe Daubresse. Tous trois s’étaient élevés notamment contre l’accumulation désordonnée des réformes. En bonne compagnie, il est vrai. Jean-Pierre Raffarin demandait lui aussi « moins de réformes illisibles et qui donnent l’impression de partir dans tous les sens ». Alain Juppé se montrait le plus sévère en déplorant des initiatives insuffisamment concertées, mal préparées, difficilement comprises et mal acceptées, surtout en période de crise : l’opinion a tendance à les rejeter comme autant de subterfuges pour la détourner de ses vrais malheurs.

Avant même que l’élection ne confirme, en l’amplifiant, ce phénomène de rejet, Sarkozy avait laissé entrevoir une pause qu’il s’est empressé d’expliciter dans sa déclaration sur les enseignements du scrutin : il ne s’agit pas d’arrêter la modernisation du pays, mais, au contraire, « d’aller plus loin pour construire un nouveau modèle de croissance ». Abandonné par une large fraction de son électorat, il s’efforce de la ramener à lui en revenant aux fondamentaux qui l’avaient fait élire. Non sans jeter le lest nécessaire pour rebondir.

S’il abandonne l’impopulaire taxe carbone, il compte plus que jamais sur la réforme des retraites pour restaurer son autorité sans renoncer au dialogue avec les syndicats, malgré le tabou et la gageure de l’âge limite d’ouverture des droits. La France est le seul pays de l’Union européenne, et même de l’OCDE, où l’âge de la retraite à taux plein est resté fixé à 60 ans. Comment contourner l’intouchable ? Le pari s’annonce incertain : il a fallu dix ans à la Suède, modèle de concertation gestionnaire, pour aboutir à un accord. On souhaite également bien du plaisir au énième ministre du Travail,

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Éric Woerth, chargé de poursuivre sans fléchir la réduction du nombre des fonctionnaires, alors que les manifestations contre le « démantèlement des services publics » ont puissamment contribué à la victoire de la gauche. La réforme de la procédure pénale peut, en revanche, fournir l’occasion d’une réconciliation avec les gens de justice, grâce aux concessions que semble souhaiter Michèle Alliot-Marie, la garde des Sceaux, notamment sur les abus de la garde à vue

La crise qui oblige aux réformes rend celles-ci chaque jour plus difficiles, en aggravant les impatiences tout en réduisant les moyens. Les politiques n’ont, une fois de plus, que le mot « concret » à la bouche pour évoquer la réduction du chômage, la lutte contre les inégalités et la sauvegarde d’une agriculture en « désespérance ». Mais comment et avec quels financements ? Depuis que François Fillon, dès le lendemain de l’élection présidentielle, a déclaré son gouvernement en situation de quasi-faillite, le décrochage s’est aggravé au point que le Premier ministre doit maintenant placer la résorption des déficits en tête de toutes les priorités.

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Déficit de justice

Faudra-t-il alors recourir à la fiscalité ? Pour la première fois, des voix influentes osent poser la question dans la majorité. Pierre Méhaignerie demande de corriger par l’impôt « la démesure de certains revenus », tandis qu’Alain Juppé doute publiquement que l’on puisse maintenir le bouclier fiscal « face au déficit de justice que ressentent les Français ». Jusqu’ici, cependant, les rares tentatives au sein de l’UMP pour obtenir une tranche supérieure d’imposition des plus hauts revenus se sont brisées sur le refus de Christine Lagarde, c’est-à-dire de l’Élysée. Sarkozy persiste et signe : « Nous devons continuer de refuser toute augmentation d’impôt. »

Attaqué également sur sa stratégie électorale du parti unique, le chef de l’État devra-t-il, tôt ou tard, accepter le retour à une droite plurielle ? Il n’a pas manqué d’arguments pour justifier le maintien de la dynamique unitaire aux régionales. En 2007, ne lui avait-elle pas permis de se positionner d’emblée en tête, avec 31 % des voix, avant de l’emporter sur Ségolène Royal, avec le score exceptionnel de 53 % ? Fausse logique et mauvais calcul pour 2010. L’union du premier tour n’a pas fait la force au second. Au contraire, elle a démontré la faiblesse de l’UMP, qui, pour améliorer ses maigres 26 %, n’a pu compter que sur l’apport illusoire d’un Modem en perdition, d’un Front national en regain de nuisance et d’abstentionnistes au mieux indifférents, mais le plus souvent hostiles. C’est dans les régions où Sarkozy avait obtenu ses plus fortes majorités en 2007 que les abstentions ont été le plus nombreuses, à la seule exception de l’Alsace.

La gauche a fait, à l’inverse, la démonstration que la diversité recueille au premier tour le plein des suffrages que l’union additionne au second. Beaucoup, chez les centristes de l’ex-UDF, regrettent aujourd’hui de s’être laissé vassaliser par l’UMP, cruellement qualifiée de « RPR d’hier » par le ministre Hervé Morin. La vocation du centre, c’est d’être entre. Entre la gauche et la droite, pour apporter à l’une ou à l’autre l’appoint de ses différences, puisque le système majoritaire l’oblige de toute façon à choisir son camp. En absorbant ses alliés, l’UMP s’est privée d’autant de valeurs ajoutées.

Mais c’est le troisième procès, celui de la personne et des méthodes du chef de l’État, qui livre sans doute la principale explication de la bérézina régionale et, à travers elle, du désaveu qui frappe le pouvoir. À en croire le politologue Jean-Luc Parodi, le désaveu « commence à ressembler à une crise de confiance ».

« Ego surdimensionné »

Un ultime sondage de l’Ifop a ainsi pu anticiper avec une saisissante exactitude, par la seule répartition des opinions négatives ou favorables envers le chef de l’État, les résultats définitifs de l’élection. Au-delà des chiffres, la motivation des sondés se résumait à une série de reproches qui allaient déterminer les votes : « pas assez rassembleur », « tendance à diviser », « monte les fonctionnaires contre les gens du privé », « se prend un peu les pieds dans le tapis »… Conséquence logique d’une omniprésidence qui concentre à l’Élysée tous les pouvoirs, l’enquête rendait Sarkozy responsable aussi bien de la violence dans les lycées (qui se télescope avec la réduction des effectifs) que de la gestion de la grippe A ou de la détérioration du climat social. Autant de mises en cause personnelles qui se retrouvent dans le nombre élevé des « très mécontents » et la sévérité de leurs commentaires : « ego surdimensionné », « tout ce qu’il fait me révulse », etc. (Journal du dimanche, la veille du scrutin).

Sarkozy tiendra-t-il sa promesse d’écouter les Français ? Tiendra-t-il compte de ces jugements rageurs que d’autres sondages résument en une formule : « il n’a pas le style présidentiel » ; avec parfois ce correctif, non moins éloquent : « c’est dommage, car lui au moins aurait pu faire bouger les choses » ? Quand on interroge son entourage sur ce sujet délicat, on obtient deux réponses. La première – « Il est très attentif à ce qu’on lui dit, même si cela ne pénètre pas tout de suite » – est bientôt corrigée par ce constat résigné : « Il est comme ça, on ne le changera pas. »

Le changement viendra peut-être de François Fillon. Le Premier ministre continue en effet de monter dans les sondages à mesure que Nicolas Sarkozy­ y dégringole, sans qu’apparemment leur étrange couple, où l’un est en creux ce que l’autre est en relief, s’en trouve affaibli. La télévision est un grand révélateur. En quelques minutes d’images, au soir de l’échec enfin reconnu, on a découvert un chef du gouvernement dont l’expression et l’allure étaient devenues celles d’un vrai numéro deux du régime. Les familiers de l’Élysée comme de Matignon le confirment : on voit s’installer peu à peu entre les deux têtes de l’exécutif un rééquilibrage sinon des pouvoirs du moins des responsabilités dans la préparation et l’exécution des décisions dont le chef de l’État entend garder le monopole. Au nom de la légitimité inégalable de son élection, et de façon plus pratique parce qu’il sait que le nouveau quinquennat lui laisse deux ans de moins qu’à ses prédécesseurs pour restaurer ses chances face à une gauche qui, cette fois-ci, ne compromettra pas les siennes.

Inactifs et retraités

On connaît l’effet stimulant des défis et des épreuves sur ses endorphines. Or comment ne se sentirait-il pas personnellement atteint par des résultats où – c’est un comble – lui, le chantre de l’action et le parangon du mouvement, n’est plus majoritairement soutenu que par les inactifs et les retraités ; en minorité de surcroît dans son fief des Hauts-de-Seine, tremplin de sa carrière, où Jean-Paul Huchon a largement devancé la ministre Valérie Pécresse. « Il en faut plus pour m’abattre », raille immanquablement Nicolas Sarkozy après chaque échec. Il a clos le premier Conseil des ministres de la nouvelle équipe par une longue déclaration au pays, dans laquelle il affirme avoir compris le message des électeurs, renouvelle et enrichit ses promesses de 2007, avant de conclure : « Vous attendez des résultats. Ces résultats, vous les aurez. » Il le redit après l’avoir beaucoup dit. Il a dix-huit mois utiles pour le faire, dans une ambiance de difficile sortie de crise et de scepticisme largement répandu. Avec le seul avantage, mais pour combien de temps, que les mêmes qui le critiquent ne font pas plus confiance à l’opposition.

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