Fouad Bouyahbar : » La catastrophe de Meknès aurait pu être évitée «
Cet ingénieur marocain, spécialiste de la « pathologie » des bâtiments, revient sur l’effrondrement du minaret de la mosquée de Meknès, en février dernier. Et préconise une meilleure politique de surveillance d’ouvrages.
Le 19 février, lors de la grande prière du vendredi, le minaret de la mosquée de la médina de Meknès s’effondre, faisant 41 morts et 76 blessés. Des enquêtes sont en cours, mais, plus d’un mois après le drame, on n’en connaît toujours pas les causes exactes. Nous avons interrogé Fouad Bouyahbar, 40 ans, ingénieur marocain en génie civil installé à Paris, l’un des meilleurs spécialistes en France de la « pathologie » des bâtiments et auteur de plusieurs brevets de réparation et de procédés innovants de surveillance d’ouvrages.
Jeune Afrique : La catastrophe de Meknès pouvait-elle être évitée ?
Fouad Bouyahbar : L’ouvrage concerné est resté stable des siècles durant malgré les séismes et les intempéries. Les récentes précipitations, aussi exceptionnelles soient-elles, ne peuvent être la seule cause, ni même la cause déterminante. D’ailleurs, les ouvrages ne sont pas dimensionnés par rapport à ce paramètre pluviométrique tant il est peu représentatif des contraintes, à l’inverse des effets du vent et d’autres effets de dilatation et de poids.
Pour que la pluie puisse avoir raison d’une stabilité de forme, conduisant à l’effondrement, il faut que le minaret ait été déjà bien déstabilisé ou fragilisé. Or cette fragilisation s’accompagne le plus souvent de signes précurseurs. Des signes qui auraient dû permettre de prendre des mesures conservatoires ou d’interdiction d’accès au public. Il y a lieu de se demander pourquoi ces signes n’ont pas été perçus.
Les enquêtes en cours permettront-elles de connaître un jour la vérité ?
L’analyse de l’effondrement, des témoignages recueillis et des photographies peuvent permettre de formuler des hypothèses. Mais seule une enquête technique, assortie d’expertises professionnelles, permettra de connaître la vérité. Dans le cas où les raisons seraient multiples, l’expertise établira un arbre de défaillances, pour ensuite ne retenir que les thèses les plus vraisemblables. Ce travail de fourmi doit s’appuyer sur les faits réellement générateurs des désordres successifs, humains ou naturels, ayant précédé l’effondrement. Il devra analyser les pièces architecturales et techniques, ainsi que les matériaux constitutifs de la partie effondrée et du sol, dont les caractéristiques ne peuvent être déterminées que par des sondages géotechniques.
Cette rigueur respectée, l’expertise pourra mettre au jour non seulement les causes de l’effondrement, mais aussi le processus qui y a conduit. Elle fournira également des renseignements précieux permettant de prévenir d’autres catastrophes de ce type. Le Maroc est riche d’un patrimoine historique. Il a la responsabilité d’en assurer la bonne conservation et l’accessibilité sans risque de déperdition ou d’incident corporel.
Comment prévenir de tels accidents ?
La prévention doit intégrer quatre étapes, toutes déterminantes : une analyse précise de l’état des ouvrages, et plus particulièrement ceux recevant du public ; un diagnostic des ouvrages pour toutes les fragilités révélées ; un suivi permanent et autonome des ouvrages de fragilité avancée (il existe aujourd’hui des systèmes qui permettent une surveillance intelligente quasi permanente des fissures permettant de rendre compte de l’état d’évolution d’un bâtiment et d’automatiser les alertes. Ces systèmes sont peu coûteux compte tenu de la part de risque matériel et humain qu’ils permettent de lever) ; un renforcement et une médication des ouvrages qui prennent en considération à la fois la sécurité des personnes et la conservation du bâti.
Les architectes marocains sont très versés dans ce domaine. Mais la systématisation du processus doit être menée à une vitesse supérieure à celle de l’avancée des dégradations.
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