Le patient algérien

Lors de son neuvième congrès, l’ancien parti unique a reconduit à sa tête Abdelaziz Belkhadem et évité les questions qui fâchent. Le débat d’idées et le renouvellement des structures attendront…

Abdelaziz Belkhadem, pendant son intervention devant les congressistes. © Farouk Batiche/Newpress

Abdelaziz Belkhadem, pendant son intervention devant les congressistes. © Farouk Batiche/Newpress

Publié le 7 avril 2010 Lecture : 6 minutes.

La performance est moins banale qu’il n’y paraît. Seul Chadli Bendjedid l’avait réussie avant lui : obtenir d’un congrès du FLN un nouveau mandat de secrétaire général. Abdelaziz Belkhadem, 64 ans, a donc été reconduit à la tête de l’ancien parti unique, lors de ses neuvièmes assises, du 19 au 21 mars, à la Coupole Boudiaf, à Alger. Le natif d’Aflou a même fait mieux que l’ancien président de la République. Non seulement il a obtenu des 4 000 congressistes le renouvellement de son bail, mais il les a aussi convaincus d’adopter de nouveaux statuts confortant les pouvoirs du secrétaire général.

Sans rival déclaré, Abdelaziz Belkhadem n’a pas eu à s’expliquer sur les échecs électoraux – qui ont profité aux rivaux nationalistes du Rassemblement national démocratique (RND, d’Ahmed Ouyahia) –, ni, a fortiori, sur son bilan politique, guère plus brillant. Les cicatrices de l’affaire Ali Benflis, son prédécesseur, bruyamment écarté pour s’être présenté contre Abdelaziz Bouteflika lors de la présidentielle d’avril 2004, ne se sont pas totalement refermées. Quant au niveau du débat interne, il a été affligeant. Le congrès a plié en quelques minutes la reconduction de Belkhadem et l’adoption des statuts, avant de virer à la foire d’empoigne au moment de la désignation des membres du comité central, le Graal, le seul ascenseur social qui vaille, la garantie de la perpétuation de la rente, quelle qu’en soit la forme ou la taille. Ces dernières années, le FLN ne retrouve un semblant de vitalité qu’à l’occasion du choix des hommes (les femmes attendront des jours meilleurs !) lors d’un renouvellement des structures ou de l’investiture d’un candidat en vue d’une échéance électorale. Car, même en lambeaux, dépourvu de programme et d’idées novatrices, monopolisé par des dinosaures et boudé par les jeunes, le FLN demeure la première force politique du pays et une redoutable machine électorale.

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Parti de l’indépendance, le FLN est atypique. Hormis le MPLA en Angola, la Zanu-PF au Zimbabwe, le Frelimo au Mozambique et, à un degré moindre, l’ANC en Afrique du Sud, aucun autre parti africain au profil similaire n’a dominé aussi longtemps la période post-indépendance et survécu au vent démocratique des conférences nationales. L’US-RDA n’existe quasi plus en Afrique de l’Ouest. Le PAIGC passe du pouvoir à l’opposition au Cap-Vert et en Guinée-Bissau. Le FLN, lui, demeure au pouvoir ou dans sa proximité immédiate. En plus d’un demi-siècle d’existence, son expérience de parti d’opposition n’a duré que trois ans. En 1992, il rejette en effet l’interruption du processus électoral par l’armée, qui limoge, en janvier, le président Chadli Bendjedid. Cette escapade loin du pouvoir prend fin quand le FLN, trahison suprême, pactise, en 1995, avec le Front islamique du salut (FIS) et le Front des forces socialistes (FFS, de Hocine Aït Ahmed) en signant un contrat politique parrainé par la communauté catholique de Sant’Egidio. Si, à l’époque, Abdelaziz Belkhadem n’était pas encore aux commandes (Abdelhamid Mehri était alors secrétaire général), il n’en était pas moins membre (parmi les plus influents) du bureau politique. La direction du FLN fut alors écartée et le parti rentra dans le rang. Hormis ce bref intermède, le FLN ne s’est jamais trop éloigné du principal pilier du système : la présidence de la République.

Six ans de cacophonie

Le 9e Congrès n’a pas dérogé à la règle. Tout s’est décidé à El-Mouradia. Le grand absent des assises, le président Abdelaziz Bouteflika, a donc conforté sa mainmise sur le parti. Tout le monde en convient : la reconduction de Belkhadem tient plus à la bénédiction du chef de l’État qu’à l’habileté politique du secrétaire général. « Son seul argument, soupire un congressiste, est l’appui de Bouteflika, et c’est loin d’être négligeable. Pour sa survie, le parti est obligé de surfer sur la popularité du chef de l’État. » Le slogan « Un seul héros, le peuple » n’a jamais paru si désuet. Le héros, désormais, est celui qui incarne la réconciliation nationale et le développement tous azimuts. C’est pourquoi, tout comme au sein de l’exécutif, où il est ministre d’État, représentant personnel du président de la République, le secrétaire général du FLN demeure le fidèle exécutant du président (de moins en moins honorifique) du FLN : Abdelaziz Bouteflika.

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De g. à dr. Abdelkarder Bensalah (RND, président du Sénat), Abdelaziz Ziari (FLN, président de l’APN),
Ahmed Ouyahia (RND, Premier ministre), Bouguerra Soltani (MSP), Abdelmalek Guenaizia et Mourad Medelci.

L’épisode Ali Benflis avait laissé le FLN exsangue. En 2004, pour se débar­rasser de l’indélicat secrétaire général, qui avait osé envisager d’utiliser la machine FLN contre Bouteflika, il a fallu dissoudre le comité central et le bureau politique du parti, remplacés par une instance exécutive composée de plus de 5 000 membres. Cohésion garantie… La cacophonie dure depuis six ans. Pour remettre de l’ordre dans la maison, Bouteflika mise sur deux hommes. Le premier, placé sous les feux des projecteurs, sera la vitrine du parti : Abdelaziz Belkhadem. Le second, travailleur de l’ombre, négociateur de longue haleine et homme de dossier, sera son éminence grise et, accessoirement, le secrétaire général de la présidence de la République : Logbi Habba. Abdelaziz Bouteflika exige une féminisation et un rajeunissement des structures du parti. Logbi Habba le répétera aux congressistes, mais, réaliste, il sait que la chose n’est pas aisée au sein d’une formation dominée par les forces conservatrices et traditionalistes. Les velléités de féminisation du comité central se limitent à la désignation de 45 militantes dans une structure comptant 351 membres, soit un taux d’à peine 13 %. Quant au rajeunissement de son encadrement, il est tout aussi modeste. Le nouveau comité central compte 65 membres âgés de moins de 35 ans. « Notre ambition d’atteindre 20 % de femmes et autant pour les jeunes s’est heurtée à des raisons objectives, a déploré Abdelaziz Belkhadem, lors d’une conférence de presse à l’issue du 9e Congrès, mais, poursuit-il sans rire, nous pourrons atteindre cet objectif lors de nos prochaines assises. »

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Exit Moussa Abdi

Les membres FLN du gouvernement d’Ahmed Ouyahia sont membres de fait de la nouvelle instance. Les parlementaires FLN aussi. À une exception près, celle de Moussa Abdi, député de Chlef, exclu de la liste du comité central. Que reproche-t-on à cet universitaire de 59 ans ? Auteur du projet de loi portant criminalisation du colonialisme, Abdi a commis l’erreur d’agir sans concertation avec la direction du parti. Si Belkhadem a profité de la tribune que lui offrait le congrès pour réitérer son exigence d’excuses de la France pour son passé colonial, il ne pardonne pas à son député de l’avoir doublé sur la question et de ne pas avoir respecté la discipline la plus élémentaire. « Trois membres du comité central sur quatre sont universitaires et ont moins de 60 ans, affirme fièrement Belkhadem, et ceux que l’on qualifie de dinosaures, c’est-à-dire les personnalités historiques âgées de plus de 70 ans, ne constituent qu’une infime minorité, soit 8 % de la totalité du comité central. » Il est vrai que l’on trouve dans la composition de l’auguste assemblée des ambassadeurs à la retraite ou en activité, d’anciens ministres de la République, une cinquantaine de moudjahidine (anciens combattants de la guerre de libération) et autant de fils de chahid (martyrs de la même guerre de libération). Pour mieux défendre « son » congrès, Belkhadem présente l’incorporation au sein des structures du parti de militants réputés proches de Benflis comme un signe d’apaisement : « Nous avons réussi à redresser sans oublier de rassembler. »

Le congrès était une étape déterminante pour l’avenir politique de Belkhadem, mais le véritable examen de passage n’aura lieu que dans deux ans, lors des législatives de 2012. Abdelaziz Belkhadem a promis que le FLN retrouverait la majorité parlementaire absolue, qu’il a perdue en 2007. Une nouvelle bérézina électorale et tout sera à refaire. Avec ou sans lui ?

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