Marc Ravalomanana : « Je suis prêt à discuter avec tout le monde »

L’ex-chef de l’État, chassé du pouvoir en mars 2009, exige la reprise des négociations et espère toujours revenir à la faveur d’élections « transparentes ».

Marc Ravalomanana, homme d’affaires prospère, a géré le pays comme une entreprise. © Alexander Joe/AFP

Marc Ravalomanana, homme d’affaires prospère, a géré le pays comme une entreprise. © Alexander Joe/AFP

Publié le 7 avril 2010 Lecture : 5 minutes.

Marc Ravalomanana n’a pas abdiqué. Depuis qu’il a été renversé en mars 2009, l’ancien président malgache (2002-2009) s’est installé à Johannesburg avec ses proches, d’où il organise la riposte. Régulièrement visité par des émissaires, notamment de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et des États-Unis, il continue de défendre le « retour à l’ordre constitutionnel » auprès des pays africains. À Antananarivo, ses partisans, auxquels il s’adresse par téléphone lors de certains meetings, continuent de manifester – même s’ils se font de plus en plus rares.

Après avoir tenu des propos très durs envers Rajoelina, Ravalomanana a changé de ton, ces derniers temps. Il appelle aujourd’hui au dialogue et à « oublier le passé ». La Haute Autorité de transition (HAT) n’est visiblement pas dans cette optique. Le jour même de notre entretien, le 23 mars, Ravalomanana était condamné à cinq ans de travaux forcés par la justice malgache, pour détournement de deniers publics, complicité et favoritisme. Une affaire qui date de 2008, autour de logements construits aux frais de l’État et revendus plus tard à prix cassés à Tiko, le groupe de Ravalomanana.

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Jeune afrique : Un an après la prise de pouvoir d’Andry Rajoelina, l’Union africaine a sanctionné le régime de la Haute Autorité de transition. Jugez-vous ces sanctions utiles ?

Marc Ravalomanana : Oui, ces sanctions auront un impact. Mais elles doivent être étendues aux entreprises qui soutiennent ce régime. L’Union africaine, la SADC et l’ensemble de la communauté internationale ont tout mis en œuvre pour faire respecter les accords de Maputo et d’Addis-Abeba, mais Andry Rajoelina n’a rien lâché. Il a transformé un pays prospère en un pays en crise. Aujourd’hui, il défie la communauté internationale alors que 82 % du budget de l’État dépend des aides étrangères.

Ces pressions ne risquent-elles pas de braquer un peu plus les hommes au pouvoir ? La HAT envisage d’ailleurs de prendre à son tour des sanctions contre les trois mouvances, dont la vôtre…

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Oui, la HAT demande l’extension des sanctions aux autres mouvances, celles qui réclament des élections libres et transparentes. C’est absurde !â

Le dialogue est-il définitivement rompu entre vous et M. Rajoelina ?

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Je l’ai toujours dit : je suis prêt à discuter avec tout le monde, du moment qu’il fait passer les intérêts de la nation avant ses intérêts personnels. Ce n’est pas l’argent ou le pouvoir qui comptent, c’est la population. Si M. Rajoelina consent à organiser des élections libres et transparentes, alors nous travaillerons ensemble. À Maputo et à Addis-Abeba, nous avons tous promis de travailler ensemble pour rétablir la démocratie à Madagascar. Je suis un homme de parole, je respecterai cette promesse. Mais M. Rajoelina, lui, ne la respecte pas.

Vous parlez d’élections, la HAT a annoncé qu’elle en organiserait en mai. Pourtant, votre mouvance n’y participera pas…

Il convient de respecter un processus. Pendant six mois, nous avons travaillé pour une réconciliation nationale. C’est la priorité. La réconciliation doit nous permettre de discuter librement. Ensuite, il faut créer un comité indépendant pour organiser les élections. D’autre part, le pays n’a pas les moyens d’organiser un scrutin libre et transparent. Il faut demander l’assistance des organisations internationales, l’ONU, l’UA, la Francophonie… Sans cela, ce ne seront pas des élections libres et transparentes.

Les trois mouvances, dont la vôtre, n’ont-elles pas commis elles aussi des erreurs ?

Les négociations ont été menées par M. Chissano. C’est à lui qu’il faut demander s’il y a eu des erreurs. Il est le mieux placé pour en parler.

En décembre 2009, les trois mouvances ont écrit au Premier ministre danois pour lui enjoindre de ne pas accueillir M. Rajoelina au sommet de Copenhague. Cela a abouti à une radicalisation de Rajoelina ? Était-ce finalement une bonne idée ?

(Gêné) Je ne peux pas vraiment m’exprimer. Je n’ai pas été mis au courant de cette lettre, qui a été envoyée depuis Madagascar. Ceux qui l’ont signée ont trouvé cela normal car M. Rajoelina n’avait pas encore été reconnu.

Comptez-vous rentrer au pays ?

Pas maintenant, car cela pourrait amener à un bain de sang. Aujourd’hui encore, des militaires me soutiennent. Si je rentre, il y aura des affrontements. Ce n’est pas bon. Si j’ai quitté Madagascar, c’est parce que des gens étaient prêts à se battre pour me défendre. J’ai voulu éviter ça. En Afrique du Sud, je peux travailler avec mes collaborateurs pour le bien du pays.

Et s’il devait y avoir un accord, rentreriez-vous ?

Je ferais ce qui aura été décidé dans ces accords.

En février, des rumeurs ont couru selon lesquelles vous auriez versé de l’argent à des officiers. Est-ce exact ? Si oui, quand et dans quel but l’avez-vous fait ?

C’était en février 2009. J’ai versé 2,5 milliards d’ariary [soit environ 867 000 euros, NDLR] à la gendarmerie, mais aussi à l’armée et à la police.

Vous sentiez la menace venir…

Non, ce n’était pas la première fois. J’avais déjà versé de l’argent en 2003 ou en 2004. C’est légal. Il existe un fonds spécial à la présidence pour ce type d’opération.â

Soutiendriez-vous un coup d’État de l’armée, s’il devait avoir lieu ?

Non. Il faut éviter un nouveau coup d’État. À Madagascar, la situation est très fragile. Il faut régler pacifiquement les problèmes.

À Johannesburg, que faites-vous de vos journées ?

C’est très dur pour moi. Mais c’est la vie. C’est une expérience… Heureusement, je suis avec ma famille. Et j’ai toujours l’envie d’agir pour mon pays. Je voyage beaucoup en Afrique pour tenter de trouver une solution. Le week-end dernier [les 19 et 20 mars, NDLR], j’ai rencontré le président du Congo-Brazzaville, M. Sassou Nguesso. Je reçois souvent des visites.

De représentants de la SADC, des États-Unis ?

Oui.

De la France ?

Non. J’aimerais bien mais je n’ai pas de contacts. J’aimerais aller à Paris…

Pourquoi ?

La situation à Madagascar est très claire. Les auteurs du coup d’État n’ont pas les capacités de résister sans certains soutiens. Ils sentent qu’ils sont protégés. Mais je pense que ça va évoluer après les sanctions de l’Union africaine.

Depuis un an que vous avez quitté votre pays, avez-vous eu le temps de réfléchir aux raisons de votre disgrâce ? Estimez-vous avoir commis des erreurs ?

J’ai commis des erreurs. Mais nous avons fait aussi beaucoup de travail. En 2008, le taux de croissance économique était de 7 %. Si j’ai fait une erreur, c’est d’avoir privilégié le développement économique et rural, l’éducation… Mais j’ai oublié l’armée. Regardez : aujourd’hui, les militaires ne pensent qu’à l’argent…

Êtes-vous responsable de la tuerie du 7 février [Au moins 32 manifestants tués alors qu’ils approchaient du palais présidentiel, NDLR] ?

Mais je n’ai jamais donné l’ordre de tirer ! J’ai d’ailleurs demandé à l’ONU d’envoyer des enquêteurs pour savoir d’où venaient les tueurs.

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