Léopold Sédar Senghor, le fondateur
Au pouvoir de 1960 à 1980. « L’homme est au début et à la fin du développement, comme agent conscient et comme but final. »
Sénégal, la leçon de Dakar
À l’en croire, il attachait plus d’importance à son œuvre poétique qu’à la trace qu’il imprimait dans l’histoire de l’Afrique. Sa réception à l’Académie française fut peut-être le plus beau jour de sa vie. Il n’en reste pas moins qu’au crépuscule de celle-ci, invité à titrer l’ouvrage qui la récapitulait, il en décida sans hésitation : La Poésie de l’action. Et que, si cet homme sut toujours réserver des créneaux de temps à la littérature, ce ne furent, tout compte fait, que des moments fugaces à partir du jour où il « tomba dans la politique ». On peut dater l’événement : octobre 1945, l’élection de la première Assemblée constituante. Le Sénégal aura deux sièges. Le doyen des hommes politiques sénégalais, Lamine Guèye, est sûr d’obtenir celui du collège des citoyens français. Le jeune et brillant Senghor, professeur à l’École nationale de la France d’outre-mer, est à Dakar, où il prépare sa thèse de doctorat ; Guèye le convainc de se présenter au siège des « non-citoyens ». Le 21 octobre, les deux Sénégalais sont élus.
Dès lors, celui qui deviendra, en 1960, le premier président de la République indépendante sera habité par le souci permanent de structurer l’État. Senghor, qui n’est jamais à court d’idées, variera dans ses projets, mais on le trouvera toujours au premier rang de ceux qui s’opposent à la balkanisation de l’Afrique-Occidentale française (AOF).
Renforcer l’Etat
Pendant l’été 1958, la gestation de la Communauté franco-africaine, appelée à remplacer l’Union française, fut agitée. À l’exception de la Guinée, les territoires africains choisirent, par le référendum du 28 septembre, le statut d’autonomie. Il restait à prendre position sur l’option entre cette autonomie pays par pays ou par groupes de pays dénommés « fédérations primaires ». Senghor s’efforça, en opposition principalement à l’Ivoirien Félix Houhouët-Boigny, de constituer une fédération de l’ex-AOF, mais il ne parvint à entraîner que le Soudanais (Malien) Modibo Keita, avec lequel il constitua la Fédération du Mali.
Une fédération d’AOF aurait-elle été viable ? On ne le saura pas. Le Mali à deux ne l’était pas ; il éclata le 20 août 1960. Accédant alors à l’indépendance, le Sénégal ne résista pas plus longtemps dans la structure bicéphale qu’il tenait d’une Constitution bâclée ; chef du gouvernement pendant deux ans, Mamadou Dia passera ensuite plus de onze années en prison.
Senghor s’employa à renforcer son pouvoir, c’est-à-dire l’État dans ses structures et dans son fonctionnement. Non sans anicroches ni sans épisodes violents, mais avec ténacité. En juin 1966, le parti du président, l’Union progressiste sénégalaise (UPS), absorbe le Parti du regroupement africain (PRA), principal parti d’opposition, et devient un parti unique de fait, dit « parti unifié ». Dix ans après, une réforme constitutionnelle instaure le multipartisme limité à trois composantes : socialiste (le PS, ex-UPS), communiste et libérale (le Parti démocratique sénégalais, PDS, du futur président Abdoulaye Wade).
Cependant, Senghor poursuit la consolidation de l’État et la sélection du personnel politique. L’appellation du Bureau Organisation et Méthode (BOM) indique clairement de quoi il est chargé. Plus politiquement engagé, le Club Nation et Développement (CND), animé notamment par le directeur de cabinet du président puis ministre de la Culture et de l’Information, Alioune Sène, est une pépinière ou un banc d’essai pour politiciens ambitieux. C’est en son sein que Senghor, en 1970, choisit un jeune technocrate, Abdou Diouf, pour en faire le Premier ministre et dauphin officiel.
L’ancien professeur applique d’autres moyens à la formation d’une classe dirigeante. D’abord, il s’érige en modèle sans craindre de s’autocaricaturer. Sa vie est réglée comme du papier à musique ; son emploi du temps est établi des semaines à l’avance et il n’y déroge, fût-ce de quelques minutes, que sous d’impérieuses nécessités. Ensuite, il ressasse à ses collaborateurs et aux hauts responsables, sans oublier les assistants techniques français, qu’il compte sur eux non seulement pour effectuer des missions, mais aussi pour le faire de façon exemplaire et pour inculquer autour d’eux « ce qu’on n’apprend pas dans les écoles, qui est la conscience professionnelle ».
* Conseiller de Léopold Sédar Senghor et chef du service de presse de la présidence sénégalaise (1969-1975), ancien directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
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