Mohamed Bennani : « Le modèle des banques marocaines mérite d’être adapté au sud du Sahara »

Alors que les résultats de Bank of Africa sont positifs, le PDG du groupe fixe le cap : s’implanter dans les économies africaines, séduire le grand public et développer une véritable stratégie de banque universelle.

Le marocain a pris les rênes de la filiale africaine de BMCE Bank en 2011. © BOA

Le marocain a pris les rênes de la filiale africaine de BMCE Bank en 2011. © BOA

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 30 mai 2013 Lecture : 9 minutes.

Issu du dossier

Finance : au Nord, tous !

Sommaire

Discret, Mohamed Bennani l’avait été jusqu’à présent. Le patron du groupe Bank of Africa (BOA), nommé PDG en janvier 2011, entre dans la lumière médiatique en accordant à Jeune Afrique son premier entretien depuis sa prise de fonctions. Le moment est propice : BOA est à présent le premier contributeur aux bénéfices du marocain BMCE Bank, son actionnaire majoritaire (68,55 % des parts). En trois ans, le produit net bancaire a bondi de 77 %, les profits de 62 %, le nombre de comptes a doublé et celui des agences a progressé de 71 %. Les fonds propres, très modestes il y a quelques années, dépassent désormais les 450 millions d’euros.

Lire aussi :

la suite après cette publicité

Bank of Africa veut s’implanter au Cameroun
Bonnes performances de BMCE en 2012… grâce à l’Afrique
Christophe Lassus-Lalanne, Bank of Africa

Pour le groupe bancaire panafricain, beaucoup de choses se jouent maintenant. Le succès futur de BOA dépendra en effet de sa capacité à développer enfin une véritable stratégie de banque universelle : bancariser, fidéliser le grand public d’un côté, servir au mieux les entreprises de l’autre. Les plans sont là. Reste à faire adhérer les 4 900 collaborateurs à ce nouveau modèle tout droit inspiré des banques marocaines, grâce auxquelles une personne sur deux dispose aujourd’hui d’un compte dans le royaume, contre une sur quatre il y a dix ans. Développements au Cameroun, au Nigeria ou en Guinée équatoriale, maîtrise des risques, retrait des banques françaises, panafricanisme… Mohamed Bennani nous a reçu dans les locaux parisiens du groupe, à deux pas de la place Vendôme.

Jeune Afrique : Vous êtes à la tête de Bank of Africa depuis deux ans maintenant. Quelle a été votre priorité durant cette période ?

Mohamed Bennani : Avant d’en prendre la tête, je connaissais Bank of Africa depuis 2008, année où j’ai été nommé administrateur. Je le suis également pour la plupart de ses filiales depuis 2010. Aussi avais-je conscience des points forts et des faiblesses du groupe. Et nous avions les idées claires sur les actions à entreprendre rapidement, des quick wins, et sur les plans à mettre en place, pour assurer dans de bonnes conditions la transposition du modèle de banque universelle de BMCE Bank.

la suite après cette publicité

J’avais conscience des points forts et des faiblesses du groupe.

Des exemples pratiques ?

la suite après cette publicité

Nous avons adapté et précisé la politique de collecte et de rémunération des dépôts à terme, ce qui s’est traduit rapidement par une baisse des charges. Nous avons spécialisé les réseaux en distinguant des équipes consacrées à la banque de détail et d’autres aux entreprises. Nous avons enrichi la palette des produits destinés aux particuliers et ouvert des centres d’affaires pour les entreprises.

Ce fut un changement dans la continuité ou dans la rupture ?

Les deux à la fois. La continuité car quelque chose de solide a été construit avec des équipes engagées de qualité. Il a surtout fallu leur apprendre à travailler ensemble. Nous avions également un système informatique performant, mais perfectible, notamment sur le plan de la sécurité. Nous disposions également d’un fonds de commerce riche et diversifié, qu’il faut entretenir et développer, ainsi que d’une présence panafricaine à la fois dans les pays francophones et dans les pays anglophones, dans l’ouest comme dans l’est de l’Afrique. Le changement a principalement porté sur la mise en place d’un business model axé sur le développement de la banque de détail et de proximité et sur le renforcement de la corporate bank, avec une nouvelle approche de la relation avec la clientèle et de la gestion du risque. De nouvelles pratiques commerciales et managériales ont été instaurées.

En prenant les commandes du groupe, avez-vous eu de mauvaises surprises ?

Non, pas vraiment, car avant d’acquérir en 2008 une participation au capital de BOA Group, une due diligence [un audit] a été menée. En outre, un cadre de BMCE Bank y a été détaché à partir de juin 2008 en tant que directeur général adjoint.

Globalement, les équipes sont restées stables ?

Il n’y a pas eu de changement au niveau des directions, mais les structures centrales vont être complétées prochainement et des cadres marocains viennent occuper certains postes. Je suis très satisfait des équipes. Mon objectif est surtout de les faire adhérer à un certain modèle de groupe, centré sur la bancarisation.

Depuis l’année dernière, toutes les filiales du groupe sont dotées de programmes triennaux. Quelles en sont les grandes lignes ?

Ils visent le développement de la banque de détail – à travers l’extension du réseau -, l’ouverture massive de comptes, la fidélisation des clients, une palette de produits de plus en plus riche et variée, une qualité de service sans cesse améliorée, la formation et la motivation financière des collaborateurs… Ainsi que le développement du portefeuille des crédits aux particuliers et aux entreprises. Jusqu’à présent, les fonds étaient investis dans des bons du Trésor. Nous voulons insuffler une culture du risque et d’intermédiation de crédit. Enfin, nous visons une meilleure maîtrise des charges et la professionnalisation de la fonction recouvrement.

Une banque doit-elle être aux deux ou trois premiers rangs dans les pays où elle opère ?

Nous avons une stratégie différente qui ne vise ni le classement ni la part de marché. La banque, ce n’est pas une question de compétition, car l’objectif premier est d’avoir un établissement solide. Nous ne sommes pas dans la course à la taille.

À de rares exceptions près, comme Madagascar ou le Bénin, BOA fait rarement partie du trio de tête…

Nous sommes deuxième au Niger et au Burkina Faso. Ce n’est pas la place sur le podium qui nous intéresse, mais plutôt la taille critique par rapport au potentiel d’un marché donné. Raison pour laquelle nous allons à l’avenir nous développer plus rapidement au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie. Quant aux grands financements, nous y participons par le biais de la syndication [prêt consenti par un groupement de plusieurs établissements] entre les différentes banques du groupe.

Pourquoi BOA n’est-il pas présent dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale ?

Nous recherchons une opportunité au Cameroun depuis plus de quatre ans, sans succès. Nous déposons début mai [entretien réalisé le 30 avril, NDLR] une demande de licence auprès des autorités monétaires. Notre maison mère BMCE Bank y est présente, elle, depuis 2000 via sa filiale BMCE Capital. Et elle est au Congo depuis 2004, via la Congolaise de banque.

Pourquoi cette banque congolaise ne rejoint-elle pas BOA ?

Parce que BMCE n’en est qu’un actionnaire minoritaire et que les autres actionnaires ont leur propre stratégie de développement. Ils nous accompagnent d’ailleurs au Cameroun.

BOA en chiffres

450 millions d’euros de fonds propres 

4,38 milliards d’euros de total de bilan

300,8 millions d’euros de produit net bancaire

56,2 millions d’euros de résultat net

1,43 million de comptes

370 agences

4 900  collaborateurs

16 pays

Allez-vous racheter la filiale de Société générale en Guinée équatoriale ?

Au moment où je vous parle, nous sommes d’accord sur 90 % des points.

De manière générale, êtes-vous satisfait de la politique d’implantation de BOA ?

Très satisfait, en raison de la présence du groupe aussi bien dans les zones francophones qu’anglophones, à l’est comme à l’ouest. Lorsque nous nous sommes implantés au Ghana, il a été très facile de constituer des équipes grâce à notre présence plus ancienne dans d’autres pays anglophones.

Vous vous êtes implanté dans des petits pays. Était-ce une bonne idée ?

Dans un pays comme Djibouti, il est difficile de faire fonctionner notre business model, mais c’est la porte vers l’Éthiopie. Chaque cas est unique.

Allez-vous acquérir la filiale de BNP Paribas aux Comores ?

Nous étions sur le point de le faire, mais l’accord n’a finalement pas été possible. C’est un pays intéressant pour la clientèle de la diaspora en France.

Vous continuerez donc à vous installer dans des petits pays ?

C’est possible. Mais notre volonté est d’abord de nous implanter dans des pays à forte population, où notre business model de banque universelle peut beaucoup apporter.

Donc, après le Cameroun, le Nigeria ?

Pourquoi pas. Nous y étudions des dossiers.

Le panafricanisme reste votre stratégie ?

Oui, cela ne changera pas. Nous avons un homme à la tête du groupe, le président Othman Benjelloun, qui a une véritable passion africaine.

Depuis deux ans, l’agence de notation Fitch souligne le niveau insuffisant des fonds propres de certaines de vos filiales et la concentration des risques. N’est-ce pas le problème des banques subsahariennes en général ?

Fitch se réfère à BOA Niger où, effectivement, nous étions assez justes en matière de fonds propres. Mais les choses changent. Une augmentation de capital a été décidée il y a quelques jours. Ailleurs, nous respectons les ratios réglementaires, mais nous nous fixons aussi des ratios internes qui se rapprochent des normes internationales. D’ailleurs, notre plan 2013-2015 prévoit une augmentation de capital de la majorité des filiales bancaires pour une enveloppe globale de plus de 80 millions d’euros. En ce qui concerne la concentration des risques, nous respectons les ratios réglementaires dans chaque pays. Cela étant, ce phénomène est général et atteint toute la profession en raison du nombre limité de clients utilisant des crédits importants.

Vous approuvez donc la volonté d’un nombre croissant d’autorités de contrôle d’augmenter le capital requis ?

L’apport des actionnaires constitue à peine 10 % à 12 % des risques que prennent les établissements bancaires, le complément étant principalement constitué par les dépôts de leurs clients, qui leur font confiance. Il est donc normal que ce métier soit régulé et contrôlé pour protéger leurs intérêts, mais également pour assurer la pérennité du système bancaire et donc du financement de l’économie.

Seriez-vous prêt à accueillir de nouveaux partenaires au capital de BOA ?

D’autres investisseurs pourraient être appelés à participer au développement de notre groupe.

Nous sommes très satisfaits de notre actionnariat actuel mais, compte tenu de nos ambitions de croissance, interne comme externe, à l’échelle du continent, d’autres investisseurs pourraient être appelés à participer au développement de notre groupe.

Confirmez-vous l’introduction en Bourse du groupe BOA ? Où ?

Le sujet est régulièrement évoqué lors de nos conseils d’administration. Ce sera fait quand nous aurons atteint une certaine taille à l’échelle du continent et terminé de mettre de l’ordre dans nos participations. Le choix de la place ou des places sera fait le moment venu.

Comment analysez-vous le retrait des banques françaises et la montée des banques africaines, notamment marocaines et nigérianes ?

Les banques françaises sont toujours là et sont encore leaders sur certains marchés. En réalité, si certains groupes se sont retirés, partiellement ou totalement, c’est plutôt lié à une réglementation européenne de plus en plus stricte sur une zone encore considérée comme à risques… Les banques nigérianes, elles, ont été agressives ces dernières années, mais la nouvelle réglementation de la Banque centrale du Nigeria sur les fonds propres les oblige à revoir leur stratégie. Elles ont encore beaucoup à faire chez elles, en particulier dans la banque de détail. Quant aux banques marocaines – grâce notamment aux bonnes initiatives de Bank Al-Maghrib, la banque centrale du Maroc -, elles sont plus rigoureuses dans la gestion des risques et ont acquis un réel savoir-faire dans le financement de projets et la gestion de fonds d’investissement, mais également en matière de bancarisation. Leur modèle mérite d’être exporté et adapté aux pays subsahariens.

Comment les banques africaines peuvent-elles enfin atteindre les niveaux de bancarisation que connaît le Maroc par exemple ?

C’est un travail à plusieurs : les administrations, les banques centrales, les banques, les entreprises privées et publiques. Au Maroc, le développement du logement économique – et son financement par les établissements bancaires, avec l’appui des autorités et grâce à l’adaptation de certains ratios réglementaires – a été déterminant pour la bancarisation des citoyens.

L’Europe, premier partenaire de l’Afrique, est en crise. La Chine a ralenti en 2012. Le ressentez-vous ?

Oui. Et cela confirme le fait que l’Afrique et les Africains doivent compter davantage sur eux-mêmes et avoir confiance chacun dans leur pays et dans leur avenir. Les grands groupes privés nationaux devraient constituer le moteur de l’investissement. Au Maroc, les autorités, les banques et les opérateurs économiques sont réellement disposés et préparés à accompagner le développement et l’essor de notre continent à travers l’investissement, les échanges commerciaux, la formation et le partage de leur savoir-faire et de leur expérience.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

Dans le même dossier

Jean-Michel est le président d’I&P

I&P invente l’investissement sociétal