Chaud devant !
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’amour et le sexe dans le monde arabo-musulman : c’est sur scène, dans les dernières créations du Tunisien Lotfi Achour et de la Néerlandaise Adelheid Roosen.
Un garçon qui raconte sa « première fois », une fille qui avoue qu’elle a eu des petits copains mais qu’elle « est toujours vierge », la mère d’un homosexuel qui s’exprime dans un talk-show racoleur, un converti de banlieue qui se renseigne sur les pratiques hallal, un groupe de religieux qui prônent la jouissance de l’épouse aussi bien que celle du mari… Voilà quelques-uns des personnages que l’on croise sur le plateau de Hobb Story, Sex in the (Arab) City – un titre clin d’œil à la célèbre série américaine Sex in the City.
Un spectacle à la fois hardi et subtil, qui mêle cinéma documentaire (avec la projection de témoignages sur écran géant), théâtre (avec cinq comédiens – trois femmes et deux hommes –, tous excellents) et musique (avec les compositions et la guitare de Jawhar Basti).
Mis en scène par Lotfi Achour, Hobb Story a été créé au Festival de Hammamet, en Tunisie, l’été dernier. En février 2010, il avait attiré plus de 15 000 spectateurs. La pièce, souvent très drôle, fonctionne en miroir : le public est installé face à un écran où des anonymes donnent leur avis sur l’amour, le sexe avant le mariage, les relations conjugales ou extraconjugales, le préservatif…
« Je veux faire évoluer le spectacle dans chaque ville où il sera joué, rajouter les témoignages des habitants de chaque pays où il est représenté. C’est comme un work in progress, et il faut que les spectateurs se reconnaissent dans la partie documentaire », précise Achour. Après Paris, Hobb Story retrouvera les théâtres tunisiens, avant de partir pour Ramallah, Londres et Beyrouth d’ici à l’été prochain.
« J’ai choisi le sujet de l’amour et du sexe car j’ai beaucoup voyagé dans le monde arabe et j’ai remarqué à quel point la société est en train de devenir schizophrène. En Tunisie, avec un peu d’organisation, on peut vivre sa sexualité comme on veut. Il existe de nombreuses pratiques sexuelles, que tout le monde connaît, mais dont personne ne parle. Il y a un décalage entre la vie réelle des gens et l’image qu’ils veulent donner d’eux-mêmes. Aujourd’hui, le sexe est un vrai prisme pour comprendre le clivage de nos sociétés. C’est notre seul lieu de liberté, même s’il est plein de paradoxes. » C’est pourquoi le spectacle bouscule aussi l’orientalisme fantasmé des Occidentaux (ah ! le hammam, le harem…) et le cliché – tenace – d’un monde arabe figé dans une vision archaïque de l’amour.
Humour décalé
On trouve la même dénonciation des idées reçues dans Les Monologues voilés, qui ont fait grand bruit aux Pays-Bas et en Belgique. L’auteure et metteuse en scène Adelheid Roosen, une artiste et comédienne néerlandaise, a choisi d’interviewer soixante-dix femmes âgées de 17 ans à 85 ans, issues de milieux très différents mais qui ont pour point commun d’être originaires de pays musulmans (Maroc, Algérie, Égypte, Somalie, Turquie) et de vivre aux Pays-Bas. « J’avais envie de lever le voile sur leur intimité, leurs désirs, leurs rêves », affirme Roosen, qui nous fait voyager dans le quotidien de ces femmes à travers douze monologues bien troussés, interprétés par une chanteuse et un trio de comédiennes. « Il n’existe pas un monde musulman unique, la diversité y est grande, y compris parmi les femmes, insiste l’auteure. En 2003, j’ai joué dans Les Monologues du vagin d’Eve Ensler [créés en 1996 à Broadway et repris dans plus de cent trente pays, NDLR] et je me suis rendu compte qu’ils étaient très occidentaux. J’ai voulu entendre d’autres voix de femmes, celles que nos sociétés stéréotypent. Il y a 1 million de musulmans aux Pays-Bas, dont on ne sait rien. On leur demande de devenir des citoyens néerlandais et de s’intégrer, mais, nous-mêmes, nous les regardons toujours avec, en tête, les images des contes des Mille et Une Nuits… » Jouée à guichets fermés aux Pays-Bas, en 2003 et 2004, la pièce a ensuite voyagé à Berlin, Ankara, New York, Boston, Bruxelles, et arrive aujourd’hui à Paris. L’occasion de voir la célèbre scène où les comédiennes miment la reconstruction d’un hymen à l’aide de chewing-gums étirés dans tous les sens…
Un humour décalé, comme dans Hobb Story. Ce qui explique peut-être pourquoi les deux pièces ne se sont pas, pour le moment, attiré les foudres des extrémistes. « Je n’ai jamais eu peur, car je n’ai pas créé cette pièce comme une provocation », précise Roosen. Quant à Achour, il rappelle que sa pièce « a eu beaucoup de succès, y compris parmi les religieux. Beaucoup de femmes voilées nous ont dit : “Merci de parler de moi” ! Les gens sentent que cela ne porte atteinte ni à la foi ni à la religion. Ce qui peut choquer, c’est la déconstruction du discours fondamentaliste sur la question du sexe et la manipulation, par certains, des hadiths. Ça dérange… et c’est le but ! »
Les deux pièces dessinent les contours d’un nouveau désordre amoureux dans le monde et l’imaginaire arabo-musulmans. « À Tunis, se réjouit Achour, on m’a raconté que, maintenant, quand un jeune veut faire l’amour avec sa copine, il lui dit : “Ce soir, on fait Hobb Story !” »
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