RD Congo : ENRC s’accroche à la ceinture de cuivre
Coté à Londres, le groupe s’est constitué un empire entre la RD Congo et la Zambie. Alors que les autorités britanniques enquêtent sur les conditions d’obtention de ces actifs, il cherche à préserver ses biens.
Coté à Londres et intégré à l’indice FTSE 100 depuis 2007, Eurasian Natural Resources Corporation (ENRC) est sur la sellette pour des questions de transparence contractuelle en Afrique et de gouvernance. Créé au lendemain de la dislocation de l’URSS, ENRC a été lancé par trois oligarques – Alexander Mashkevitch, Alijan Ibragimov et Patokh Chodiev – autour d’actifs miniers au Kazakhstan, lors des privatisations de 1994 à 1996. D’abord présent dans le ferrochrome (destiné à la fabrication d’acier inoxydable), dont il est le principal producteur mondial, ENRC a étendu ses activités au fer et à l’aluminium en Asie centrale, avant de cibler les réserves congolaises et zambiennes de cuivre pour équilibrer son portefeuille de minerais. Ce sont aujourd’hui ces dernières acquisitions qui posent problème.
Depuis deux ans, les ONG Global Witness et Publiez ce que vous payez demandent des éclaircissements sur les conditions d’obtention des actifs miniers d’ENRC en RD Congo. Ceux-ci ont été rachetés, entre 2009 et 2012, à des sociétés immatriculées aux îles Vierges britanniques et soupçonnées d’appartenir à Dan Gertler. Cet homme d’affaires israélien controversé, proche de Joseph Kabila, aurait acheté les gisements à des prix dérisoires – souvent à 5 % de leur valeur, selon Global Witness -, avant de les revendre à ENRC au tarif du marché. Certains de ces actifs (RTR et Africo & Comide) avaient été confisqués par Kinshasa au canadien First Quantum. En Zambie, la firme est soupçonnée d’avoir surpayé l’acquisition en 2010 de la raffinerie de cuivre et de cobalt Chambishi… pour permettre aux trois fondateurs d’ENRC, qui étaient propriétaires de la société vendeuse, de réaliser une plus-value substantielle.
Les trois oligarques fondateurs d’ENRC
Alexander Mashkevitch
Alijan Ibragimov
Patokh Chodiev.
Déboires asiatiques
Dans le même temps, les relations entre le trio (qui détient 44 % des actions de l’entreprise) et certains membres britanniques du conseil d’administration n’ont cessé de se tendre. L’un d’eux, sir Paul Judge, reproche à Mashkevitch d’entraver la bonne marche des audits externes anticorruption. Cette situation est loin de plaire à la City. Le 2 mai, le Serious Fraud Office (SFO, la « police » anticorruption britannique) s’est résolu à lancer une enquête criminelle sur les acquisitions africaines du groupe. Une investigation qui arrive au mauvais moment pour le minier kazakh, dont les résultats se sont dégradés au second semestre 2012 : malgré un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros, il a pour la première fois affiché une perte de 960 millions d’euros, principalement due aux déboires de sa filiale de fer en Asie centrale. Du coup, le cours du titre à Londres joue au yoyo depuis février, avec une capitalisation boursière qui a fondu de 80 % par rapport à son plus haut niveau.
Dans ce contexte, même mal acquis, les actifs congolais et zambiens apparaissent comme l’un des meilleurs atouts d’ENRC pour sortir la tête de l’eau. Car les acquisitions contestées ont permis à la firme de se constituer un « empire » du cuivre prometteur, alors que les prix du minerai rouge restent élevés, contrairement à ceux du chrome et de l’aluminium. « Nous disposons de six gisements au Katanga, non loin de la frontière zambienne, diversement riches en cuivre et en cobalt », se félicitait en février James Bethel, directeur des opérations d’ENRC en Afrique. « Nous avons notre propre compagnie de transport, qui nous permet d’évacuer notre minerai en Zambie jusqu’à la raffinerie de Chambishi, laquelle peut traiter 200 000 tonnes et bénéficie de la stabilité du réseau électrique zambien », ajoutait l’ingénieur sud-africain.
D’après ENRC, les réserves connues sur l’ensemble de ses mines congolaises sont de 8,8 millions de tonnes de cuivre et de 91 000 t de cobalt. Pour le moment, seul le gisement de Boss Mining est en production, avec une capacité de 40 000 t de cuivre par an. Celui de Frontier, dont le démarrage est prévu en juillet 2013, devrait produire annuellement 85 000 t de cuivre. Quant aux autres gisements, leur mise en exploitation dépendra de leur approvisionnement en électricité, alors que la firme s’est engagée dans la construction de centrales.
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Bye bye London ?
Les trois fondateurs cherchent donc à tout prix à s’épargner les investigations britanniques. Début mai, Alexander Mashkevitch et ses alliés ont annoncé vouloir racheter la totalité d’ENRC pour sortir de la cotation londonienne. Leurs chances d’y parvenir sont élevées : les actionnaires non kazakhs seraient prêts à leur vendre leurs parts, et ils sont soutenus par les banques publiques russes Sberbank et VTB, ainsi que par l’État kazakh. Daniel Balint-Kurti, responsable de Global Witness en RD Congo, est inquiet : « Il y a un risque qu’ENRC s’enregistre sur une place financière moins regardante que Londres [comme Singapour ou Hong Kong], ce qui devrait entraver l’enquête britannique. »
Pendant ce temps, en RD Congo, les activités d’ENRC ne sont guère affectées par ces atermoiements. Et les autorités du pays continuent de soutenir la compagnie. « ENRC est une entreprise capable de développer de grands gisements, tout comme Dan Gertler, qui est un investisseur de long terme », estimait récemment Albert Yuma Mulimbi, président de la société publique Gécamines.
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