Monsieur Propre à Pékin ?
Relégué en province mais chouchou des médias, le très populiste Bo Xilai a déclaré la guerre au crime organisé et à la corruption. Ce qui lui permet d’avancer ses pions en vue du renouvellement de la direction du PCC, dans deux ans.
Lors de l’ouverture de la session de l’Assemblée nationale populaire, début mars, son nom était sur toutes les lèvres. Telle une star de cinéma, il est arrivé au Palais du peuple avec quarante minutes de retard, tandis que les équipes de télévision se bousculaient dans son sillage. Bo Xilai (60 ans) n’est pourtant qu’un dirigeant de province, patron du Parti communiste chinois (PCC) de la ville de Chongqing, dans le centre du pays.
Mais depuis six mois, il fait les gros titres des journaux et sème le trouble dans le microcosme pékinois. Il faut dire que la croisade qu’il a lancée contre le crime organisé a déjà débouché sur l’arrestation de plus de trois mille personnes et révélé les liaisons dangereuses entretenues par nombre de responsables locaux du PCC. Bien entendu, l’enjeu de cette campagne n’est pas seulement local. Sept des neuf membres du Comité permanent du bureau politique du parti étant renouvelables en 2012, la lutte des places fait rage. En passant à l’offensive dans sa province, Bo Xilai fait en réalité campagne pour un poste national. « Il taille sa route vers Pékin », estime Huang Jing, enseignant à Singapour.
Dans un système dominé par les petits arrangements en coulisses et où les décisions sont immuablement prises par consensus, les batailles publiques que mène Bo Xilai détonent. Aux antipodes du président Hu Jintao, cet archétype de l’homme politique compétent et austère, il fait de la politique autrement, joue le peuple contre les élites et défriche un nouveau territoire : le populisme à la chinoise.
Il est pourtant issu du sérail communiste. Fils de Bo Yibo, un héros de la révolution, il a grandi à Pékin et a occupé sa vie durant des postes importants au sein du parti et du gouvernement. Dans les années 1990, il s’est fait connaître comme maire, puis gouverneur, puis (en 2004) ministre du Commerce. Dans ses différentes fonctions, il est parvenu à se faire des alliés aussi bien chez les réformistes, en soutenant la modernisation urbaine du Nord-Est, que chez les conservateurs, grâce à sa campagne anticorruption. Lors du dernier congrès du parti, en octobre 2007, cela ne l’a pas empêché de se faire griller la politesse par deux membres de sa génération, promus au Comité permanent quand lui s’est contenté de prendre les rênes du parti à Chongqing, une ville de 30 millions d’habitants toujours en pleine croissance. À tort ou à raison, certains avaient interprété cette nomination comme une mise à l’écart déguisée.
Nostalgies maoïstes
Mais pas question pour Bo Xilai de se laisser oublier. Au cours de l’été 2009, il a déclenché une vaste campagne contre la corruption, baptisée « Tornade antitriades » (les fameuses « mafias chinoises »), qui s’est traduite par de nombreuses arrestations et une prise de première grandeur : Xie Caiping, la « marraine du réseau informel de Chongqing », qui contrôle les casinos. On a découvert à cette occasion non seulement la puissance du crime organisé, qui s’est beaucoup développé à partir de 2000, de concert avec la croissance économique, mais aussi ses connexions avec le gouvernement local. Une cinquantaine de responsables ont été placés en détention. Parmi eux, Wen Qiang, ancien chef de la police, chef du bureau judiciaire de la ville et beau-frère de Mme Xie, poursuivi pour avoir accepté 1,7 million d’euros de pots-de-vin.
Diplômé en journalisme, Bo est un virtuose de la communication. Il s’est beaucoup mis en avant au cours de cette campagne très médiatique, en jouant délibérément sur une certaine nostalgie pour l’époque maoïste, perçue comme moins corrompue. Il adresse par exemple aux usagers locaux de téléphones portables des « textos rouges » directement inspirés du Grand Timonier et de son Petit Livre rouge.
S’il est en flèche en ce domaine, il n’est pourtant pas le seul responsable politique à jouer ainsi avec les médias. Après le tremblement de terre du Sichuan, en 2008, le Premier ministre Wen Jiabao n’avait-il pas jugé habile de se faire appeler « Papy Wen » ? Sur les ruines du marxisme, tout le monde cherche une idéologie de substitution. Bo Xilai a choisi le populisme. Avec enthousiasme. « Il lui faut obtenir des résultats sur le terrain, mais sans s’aliéner trop de sympathies à Pékin ; c’est un équilibre subtil », commente Bo Zhiyue, de l’université de Singapour.
De fait, la « Tornade antitriades » en a mis plus d’un dans l’embarras. Deux anciens responsables de la province de Chongqing, notamment, doivent rendre des comptes pour leur inaction face au crime organisé. Hu Jintao lui-même n’est pas épargné – et il sait quels dégâts la corruption peut provoquer sur la légitimité d’un parti. Dans l’ensemble du pays, des voix s’élèvent pour exiger que les mafieux et leurs affidés soient punis, mais les mesures mises en œuvre par Pékin paraissent bien inoffensives. Les révélations du juge Wen Qiang sur la manière dont les promotions au sein du parti s’achètent et se vendent ont suscité une pression populaire considérable. « Bo Xilai a transformé une crise de gouvernance locale en une crise à la fois de l’opinion et des élites politiques qui est très dommageable à Hu Jintao », estime un commentateur.
Culte de la personnalité
Au-delà des élites politiques, la croisade engagée par le patron du PC de Chongqing sème le trouble chez les partisans des réformes. Pour eux, le style Bo Xilai marque un retour en arrière : sa campagne de mobilisation des masses évoque irrésistiblement la Révolution culturelle et s’accompagne d’un véritable culte de la personnalité. Une chanson à la gloire de Bo a récemment fait un carton sur internet. Ses paroles se passent de commentaire : « Tes yeux sont comme une paire d’épées qui brillent dans la froide lumière. Tu tiens bon face au mal. À la seule mention de ton nom, les corrompus tremblent. »
« La facilité avec laquelle une petite Révolution culturelle a pu être lancée à Chongqing est tragique », estime pour sa part le blogueur Lian Yue. L’avocat de l’un des mafieux arrêtés à Chongqing a lui-même été inculpé pour avoir incité son client à mentir. Ce dernier avait en effet affirmé, à tort, avoir été torturé par la police… Comme l’explique Mo Shaoping, le plus célèbre avocat des droits de l’homme, « ce genre de problème surgit chaque fois que le politique prend le pas sur le judiciaire ».
La popularité de Bo Xilai pourrait donner des idées à toute une génération de dirigeants, sans doute moins rigides, mais plus nationalistes que leurs devanciers. Certains estiment que, si les 3 000 délégués au Congrès du parti votaient aujourd’hui, Bo serait sans coup férir élu à la présidence. « De la même façon que, en 2008, tout le monde s’est brusquement intéressé à Barack Obama, tout le monde en Chine ne parle plus que de Bo Xilai », explique un observateur. Quoi qu’il en soit, les chances de ce dernier d’accéder au Comité permanent du bureau politique, où il pourrait être chargé des questions de sécurité, sont réelles.
L’intéressé n’a certes pas que des amis au sein de l’establishment. Ses détracteurs dénoncent son style exagérément médiatique et son arrogance. Il reste deux ans avant le prochain congrès du PCC, à l’issue duquel une nouvelle direction sera mise en place. D’ici là, des histoires compromettantes sur lui ou sa famille peuvent être exploitées par des rivaux. Bo Xilai semble conscient du danger. La presse annonce que la campagne contre les mafieux de Chongqing touche à sa fin. Lors d’une conférence de presse, il a répondu d’un ton cassant à un journaliste qui l’interrogeait sur ses ambitions politiques : « Nous sommes ici pour discuter du travail du gouvernement. » Dans le Quotidien du peuple, organe central du PCC, l’épisode a été effacé de la transcription officielle en ligne. En Chine, le populisme a des limites.
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