Gordon Brown, le miraculé

Il y a deux ans, sa déroute électorale face aux conservateurs du sémillant David Cameron paraissait inéluctable. À un peu plus d’un mois de l’échéance, rien n’est moins sûr.

Malgré les fautes de calcul politique, le Premier ministre se maintient. © Reuters

Malgré les fautes de calcul politique, le Premier ministre se maintient. © Reuters

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 26 mars 2010 Lecture : 4 minutes.

Sacré Gordon Brown ! On le disait fini, battu, laminé par son jeune challenger David Cameron, réincarnation de droite du sémillant Tony Blair. Il y a deux ans, les sondages ne donnaient-ils pas aux conservateurs une victoire sans appel – vingt-six points d’avance – sur les travaillistes, au pouvoir depuis 1997, et sur Gordon Brown, impopulaire Premier ministre depuis 2007 ?

Et puis, la roue de la fortune a tourné. À l’approche de l’échéance électorale (vraisemblablement le 6 mai), l’écart entre les intentions de vote pour les tories et pour les travaillistes se réduit comme peau de chagrin : 14 points, 8 points, 5 points et, aujourd’hui, 2 petits points… Il est devenu statistiquement peu significatif. D’ailleurs, projetées en nombre de sièges de députés, dans un scrutin uninominal à un tour, lesdites intentions se traduisent par 277 élus pour les tories et 320 pour le Labour. La majorité absolue à la Chambre des communes étant de 326 élus, le prochain Premier ministre de Sa Majesté devrait composer un gouvernement de coalition, perspective d’inefficacité qui n’enchante guère les milieux d’affaires. Du coup, la livre sterling a dégringolé à son plus bas niveau depuis mai 2009. Et à – 7 % par rapport au dollar depuis le début de l’année.

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L’explication du retour en grâce de Gordon Brown ne tient donc pas à la situation économique – carrément calamiteuse – du Royaume-Uni, dernier pays du G20 à être sorti de la crise, au quatrième trimestre 2009. Les déficits publics filent allègrement vers les 13 % du produit intérieur brut, tandis que la dette devrait très prochainement franchir la barre des 80 %. La défiance s’accroît, et les agences de notation menacent de dégrader la note (AAA) qu’elles attribuent à la Grande-Bretagne, qui, s’il faut en croire certains tories, pourrait bien être, après la Grèce, la prochaine victime des marchés.

Ennuyeux

Le 17 mars, la Commission de Bruxelles a publié un rapport dans lequel elle estime que la politique britannique de réduction des déficits n’est « pas assez ambitieuse » et que la promesse de réduire le déficit budgétaire de moitié en quatre ans est trop vague. Pourtant peu europhile, George Osborne, le chancelier de l’Échiquier « fantôme », s’est empressé de reprendre à son compte l’argumentaire bruxellois, dans lequel il voit « un coup terrible pour la crédibilité de Gordon Brown ». Bref, il n’envisage même pas de « supporter cinq ans de plus » l’actuel Premier ministre.

Curieusement, l’image de ce dernier ne s’est pas améliorée. Ses compatriotes continuent de voir en lui un homme ennuyeux, tout juste bon à dérouler des litanies de chiffres et fort peu charismatique. En février, les conservateurs s’en sont donné à cœur joie quand on a découvert que ses collaborateurs faisaient les frais d’accès de colère allant jusqu’au jet d’objets en direction du fautif !

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Distrait Lord Ashcroft !

Brown ne s’est pas si bien tiré que cela des auditions parlementaires sur la guerre en Irak et n’a pas émis d’autre regret que celui de n’avoir pas pu convaincre les Américains de mieux préparer l’occupation de ce pays. Quant à l’accusation d’avoir, en sa qualité de grand argentier, réduit le budget des armées au point de mettre en péril la sécurité des troupes, il s’est borné à soutenir que c’était faux.

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Et si la remontée des travaillistes dans les sondages tenait avant tout aux faux pas des conservateurs ? Car la réputation d’intégrité de David Cameron en a pris un coup quand il est apparu qu’il n’avait pas mis en demeure le vice-président de son parti, lord Michael Ashcroft, dix-septième fortune du royaume et grand mécène des conservateurs (11 millions d’euros, semble-t-il), de payer enfin des impôts en Grande-Bretagne. Sir Ashcroft est en effet non résident à Belize, un paradis fiscal d’Amérique centrale qui taxe très modérément ceux dont il héberge les avoirs.

Tout cela est parfaitement légal, mais fait désordre. Pour deux raisons. La première est qu’en 2001 Ashcroft avait promis de se domicilier fiscalement au Royaume-Uni. La seconde qu’on attendait davantage de rigueur de la part de Cameron, qui s’était montré fort sévère à l’encontre des députés qui, l’an dernier, avaient trempé dans le scandale des notes de frais fictives.

Pieds dans le tapis

Au cours des trois derniers mois, le leader conservateur a eu d’autres occasions de se prendre les pieds dans le tapis. Il a d’abord renoncé à sa promesse d’organiser un référendum sur le traité de Lisbonne, au grand dam de ses électeurs, résolus à le remettre en cause. Il s’est ensuite laissé aller à une fâcheuse valse-hésitation à propos d’une ristourne fiscale pour les couples mariés. Enfin, lui, le « conservateur compatissant » qui se veut aux antipodes de l’ultralibéralisme de l’ère Thatcher a tenu des propos très durs sur les coupes à pratiquer sans tarder – dans les services publics. Brown a profité de ces zigzags pour accuser son jeune adversaire d’être un « novice », appréciation que la City n’est pas loin de partager.

En fait, Cameron et Brown sont confrontés à la même contradiction, dont le Premier ministre, en vieux routier de la politique, se tire plutôt mieux. Il est vrai que les marchés et les experts souhaitent que le royaume assainisse au plus vite ses comptes, en augmentant les impôts et en réduisant les dépenses publiques. Il est non moins vrai que les Britanniques ne veulent pas entendre parler de ce remède de cheval, maintenant que le gros de la crise est passé. Ils ont donc tendance à écouter plus volontiers un Gordon Brown repoussant les économies après les élections et refusant de tuer dans l’œuf une reprise encore fragile qu’un David Cameron parlant de geler les salaires des fonctionnaires et de repousser l’âge de la retraite de 65 à 66 ans. D’autant que les sacrifices prônés par les tories rapporteraient 7 milliards d’euros en année pleine, alors que le trou à combler s’élèverait à 200 milliards…

Alors, non, décidément, Gordon Brown n’a pas encore perdu.

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