Omar Azziman : « Le Maroc de M6 n’est pas si différent de celui de Hassan II »

Gouvernance régionale, relations avec l’Espagne, situation des droits de l’homme… De retour au pays après six ans passés à Madrid, l’ancien ministre marocain de la Justice se confie à Jeune Afrique.

Omar Azziman, le 10 mars 2010 à Rabat. © Cécile Tréal pour J.A.

Omar Azziman, le 10 mars 2010 à Rabat. © Cécile Tréal pour J.A.

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Publié le 31 mars 2010 Lecture : 6 minutes.

Ambassadeur du Maroc à Madrid pendant six ans, Omar Azziman est rentré au pays pour remplir la mission que lui a confiée le roi Mohammed VI le 3 janvier : la présidence de la Commission consultative de la régionalisation (CCR). C’est à Rabat, au siège de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger, dont il est président délégué depuis 1997, qu’Omar Azziman nous a reçu.

Personnalité à part au Maroc, cet homme discret bénéficie depuis plus de vingt ans de la confiance royale. En 1993, c’est lui que Hassan II choisit pour diriger le très sensible ministère des Droits de l’homme. En 2002, c’est encore lui qui est chargé par Mohammed VI de réformer le Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH).

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Né en 1947 à Tétouan, Omar Azziman a reçu une éducation cosmopolite. À 18 ans, il était passé successivement par les écoles marocaine, française, espagnole et israélite. Après des études de droit en France et au Maroc, il se destine à une carrière universitaire et enseigne à la faculté de Rabat dès 1972. Mais son engagement militant va le pousser sur la scène publique. En 1988, il devient le premier président de l’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH). Dans les années 1990, alors que Hassan II engage une certaine ouverture, il apparaît comme l’homme providentiel et lance notamment une ambitieuse réforme de la justice.

Militant infatigable des droits de l’homme, juriste émérite, il n’a jamais renié ses convictions et a toujours refusé, par souci d’indépendance, d’appartenir à un parti politique.

Désormais à la tête de la CCR, il a jusqu’au mois de juin pour redéfinir en profondeur le modèle marocain de gouvernance régionale. Une tâche à laquelle il s’attelle avec passion. 

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Jeune Afrique : Où en sont les travaux de la CCR ?

Omar Azziman : Nous avons d’abord pris le temps de nous connaître. Les membres de la Commission ont des parcours très différents, et il fallait d’abord faire converger nos approches.

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Nous avons ensuite écouté les partis politiques, les syndicats, les départements ministériels, les agences de développement… Ce qui en ressort, c’est un consensus sur le diagnostic : le système actuel n’est plus satisfaisant. Sur les projections, il y a évidemment beaucoup plus de divergences. Mais les objectifs sont clairs : modernisation de l’État, plus de démocratie locale, plus de développement économique, social et culturel. Nous avons donc constitué des groupes qui travaillent sur ces différents aspects.

L’essentiel, c’est de rétablir un lien de confiance avec la population. Dans un pays comme le Maroc, où la démocratie n’est pas enracinée, il faut montrer aux citoyens ce que la démocratie leur apporte, concrètement, au quotidien.

Le modèle espagnol sera-t-il une source d’inspiration ?

Nous allons bien sûr étudier les succès et les échecs des modèles étrangers. Mais la dimension culturelle est très importante. Nous devons trouver le modèle le mieux adapté aux attentes des Marocains et qui soit transposable à toutes les régions du pays, y compris aux provinces du Sud. Car même si le royaume a proposé un plan d’autonomie, nous ne savons pas quand il va aboutir et s’il sera accepté par le Polisario. En attendant, la régionalisation avancée devra s’appliquer à tout le pays.

Comment évolue la relation Maroc-Espagne ?

Bien. Sur le plan politique, le dialogue est de plus en plus fluide. Sur le plan économique, les chiffres prouvent que l’évolution va également dans le bon sens. Mais il reste des points sensibles. Nous avons de part et d’autre écrit l’Histoire de manière diamétralement opposée. Elle a été excessivement idéologisée, laissant dans la mémoire collective beaucoup de préjugés et de malentendus. Ainsi, dès qu’il y a un moment difficile, ça prend des dimensions qui dépassent de loin l’ampleur de la crise.

Nous traînons notre passé commun comme un handicap alors qu’il devrait être un atout. Il faut revisiter notre histoire et, surtout, la diffuser par l’école, les universités, les médias… Cela rendrait l’évolution positive de nos relations irréversible. Or, aujourd’hui, on marche sur des œufs, car on a toujours peur qu’un maillon de la chaîne ne lâche.

Sommet Maroc-Union européenne, rapport du département d’État américain : ces derniers temps, le Maroc est très critiqué sur les droits de l’homme…

La défense des droits de l’homme est un travail de longue haleine. Ces dernières années, il y a eu des hauts et des bas. Parfois, la priorité n’était pas du côté des droits de l’homme, et ça s’est ressenti. Au niveau de la liberté de la presse, par exemple, il y a eu des décisions qui n’étaient ni judicieuses ni intelligentes… Mais il y a aussi beaucoup d’incompréhension, car les droits de l’homme sont utilisés à des fins politiques par le Polisario et l’Algérie, et cela a un énorme impact à l’extérieur. Il nous faut donc faire un travail de pédagogie pour ramener les choses à leur juste mesure.

Mais c’est justement la pression internationale qui a permis aux droits de l’homme d’être à l’ordre du jour dans les années 1990…

Incontestablement, ça a beaucoup joué. Mais je crois que Hassan II était aussi profondément convaincu que le moment était venu d’enclencher une ouverture politique. Il fallait se débarrasser des boulets que traînait le royaume et changer définitivement de cap.

Quelle était votre marge de manœuvre au ministère des Droits de l’homme ?

C’était très délicat, car il fallait assurer la défense des droits de l’homme à partir de l’État ! Mon idée était simple : diffuser la culture des droits de l’homme dans les écoles, les universités, les médias… Par définition, c’était un ministère éphémère, dont le seul but était de passer le relais à la société civile. Mais avant d’engager ces actions, il fallait assainir la situation et en finir avec les gros dossiers des détenus politiques, des disparitions… J’ai présenté ma feuille de route à Hassan II et il m’a dit : « C’est une très bonne démarche, travaillez dans cette direction. »

Quelles étaient vos relations avec Hassan II ?

Je n’ai jamais fait partie de son cercle d’intimes. Nous avions des relations de travail et, sur ce plan, mes rapports avec lui étaient excellents. À chaque fois que je demandais à le voir, il me recevait et m’écoutait. Il a toujours validé mes demandes et exprimé son soutien. Croyez-moi, sur les questions des droits de l’homme, j’avais à faire à quelqu’un qui comprenait parfaitement mes aspirations.

En quoi le Maroc de Mohammed VI est-il différent du Maroc de Hassan II ?

Je crois qu’il est moins différent qu’on le pense et qu’on le dit. On peut difficilement aborder le règne de Hassan II dans sa globalité. Le Hassan II que j’ai connu était convaincu qu’il fallait miser sur une relative démocratisation. C’était un homme complètement différent du Hassan II des années 1970 ou 1980.

Quand Mohammed VI est arrivé, son premier souci fut de passer à la vitesse supérieure en termes de démocratie et de respect des droits l’homme. C’était un changement de rythme plus qu’un changement de cap. Le parcours très particulier de Hassan II pesait sur son action, et il lui était difficile de marquer plus de rupture. Mohammed VI, lui, pouvait dire : « Je ne suis pour rien dans ce qui est arrivé à cette époque. Je n’en suis pas très fier et je veux un changement radical. »

C’est pour cela qu’il vous a nommé à la tête du CCDH en 2002 ?

Le CCDH existait depuis dix ans et avait une très mauvaise image. Dans les années 1990, il n’avait pas convaincu de son engagement ferme et net en faveur des droits de l’homme. Et le traitement des dossiers politiques n’avait pas donné satisfaction malgré la mise en place d’une institution d’arbitrage et quelques indemnisations.

Pour lui redonner de la crédibilité, il fallait frapper fort. Nous avons donc décidé de la mise en place de l’Instance Équité et Réconciliation (IER). Sa Majesté voulait que l’on tourne définitivement la page des violations massives des droits de l’homme, et si possible avec brio. Globalement, on peut considérer que nous avons réussi.

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