Union sacrée contre Al-Qaïda
Les chefs de la diplomatie de sept pays de la bande sahélienne se sont réunis dans la capitale algérienne pour coordonner leurs efforts face à la menace djihadiste.
Alger, hôtel Sheraton, le 16 mars 2010. Une réunion de concertation sur la lutte antiterroriste entre les chefs de la diplomatie de sept pays sahéliens (Algérie, Burkina, Libye, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) doit débuter à 9 heures. Les diplomates algériens chargés de l’organisation ont du mal à cacher leur appréhension tant le contexte est tendu. Alger et Nouakchott sont en froid avec Bamako depuis la décision du gouvernement malien d’élargir quatre membres d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) pour obtenir la libération de l’otage français Pierre Camatte. Rabat dénonce son exclusion de la conférence, ce à quoi Abdelkader Messahel, ministre délégué algérien chargé des Affaires maghrébines et africaines, réplique, tout en ironie : « J’ai consulté des manuels de géographie et je n’ai trouvé aucune indication laissant entendre que le Maroc avait une frontière avec le Sahel. » La junte de Niamey participe à sa première réunion de haut niveau depuis le coup d’État du 18 février. Un putsch qui a valu au Niger sa suspension des instances de l’Union africaine (UA).
Madrid et Rome, dont des ressortissants sont retenus en otages par Aqmi, sont très attentifs aux décisions prises, et si le Quai d’Orsay et le département d’État ont exprimé leur soutien à l’initiative d’Alger, Paris et Washington s’interrogent sur les contours de la nouvelle stratégie régionale de lutte antiterroriste, sur la place accordée au partenariat avec les Occidentaux et sur le statut de leader régional de l’Algérie, un interlocuteur « pas facile ». C’est donc dans un climat assez lourd que s’ouvre la conférence avec plus d’une heure de retard. Arrivé le matin même, Moussa Koussa, chef de la diplomatie libyenne, est reçu par le président Abdelaziz Bouteflika. Ce n’est pas le cas de son homologue mauritanienne, Naha Mint Hamdi Ould Mouknass. Présente à Alger depuis quarante-huit heures, elle n’a pas eu ce privilège.
Dispositif militaire transfrontalier
À l’ouverture des travaux, Mourad Medelci, ministre algérien des Affaires étrangères, précise qu’il s’agit de procéder à « une évaluation exhaustive de la situation dans la région, marquée par la persistance de la menace terroriste et ses connexions avec le banditisme transfrontalier, le trafic d’armes, de drogue et d’êtres humains ». Il appelle à une lutte sans concession et à une « loyauté sans faille » pour définir « une approche commune, en mettant en œuvre des mécanismes de coopération bilatérale et régionale dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité ».
À l’issue de la rencontre, le climat était nettement plus détendu. L’absence du ministre burkinabè, remplacé à la dernière minute par un collaborateur, est oubliée. Le ministre nigérien se félicite de l’accueil qui lui a été réservé et de l’oreille attentive que ses interlocuteurs lui ont prêtée. Quant à Moctar Ouane, chef de la diplomatie malienne, il est tout sourire. Il a été rassuré par les propos de ses hôtes algériens. « Les relations algéro-maliennes sont trop anciennes pour être fragiles », lui a répété le Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, qui a offert un dîner aux chefs des délégations. Le retour de l’ambassadeur d’Algérie à Bamako ? « Une affaire de quelques jours », confie un diplomate algérien. Abdelkader Messahel, cheville ouvrière de la rencontre, est aux anges : le consensus est total, et la mise en œuvre de la stratégie régionale de lutte antiterroriste mise en branle.
En attendant la création d’un mécanisme spécifique, dont la naissance officielle est attendue lors du prochain sommet de chefs d’État à Bamako, annoncé en septembre 2007 et sans cesse reporté, les sept pays ont décidé de réunir à Alger les ministres de l’Intérieur. Cette rencontre, fixée à la première semaine d’avril, sera suivie, quelques jours plus tard, d’une réunion de concertation, toujours dans la capitale algérienne, entre les chefs d’état-major pour la mise en place d’un dispositif militaire transfrontalier. L’interdépendance entre la paix et le développement, ainsi que l’implication des populations locales dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme ont été relevées par les participants. L’Algérie et la Libye, pays les plus riches de la région, se sont engagées à s’impliquer davantage dans le financement d’opérations de développement. En matière de projets structurants, le ministre algérien a rappelé que la route transsaharienne (Alger-Lagos) est quasiment achevée : « Sur les 4 600 kilomètres, il n’en reste que 200 à réaliser au Niger, pour un coût de 185 millions de dollars. Une réunion de bailleurs de fonds est prévue en avril, à Niamey, pour boucler le montage financier. »
Rendez-vous à Bamako
Malgré le succès de la conférence de concertation, les Algériens ont eu le triomphe modeste. Pas question de fanfaronner sur le statut de « leader régional » au détriment de la « Jamahiriya sœur », généralement peu partageuse en matière d’influence, en particulier au sein de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad), que dirige, depuis sa création, en 1998, le Libyen Madani al-Azhari. De même s’agit-il pour Alger de rassurer les « partenaires militaires » américains et français. Si les ministres de la région ont insisté sur « la primauté du principe de la responsabilité des États de la région et leur appropriation de la prise en charge des problèmes et défis » qui se posent au Sahel, il n’est pas question de tourner le dos au partenariat et à l’assistance technique des grandes puissances. « Oui, mais dans un cadre défini, insiste Messahel, sous le triptyque : formation, équipement et renseignement. » D’ailleurs, au moment où se tenait la conférence, des navires de guerre des marines algérienne et française étaient engagés dans des manœuvres communes au large de la baie d’Alger. Des exercices que l’on pouvait voir depuis la plage de l’hôtel Sheraton, au Club des Pins. Autre signe de la volonté algérienne de ménager ses partenaires : le soutien total à l’initiative du président malien Amadou Toumani Touré de réunir chez lui les sept chefs d’État. D’emblée, Mourad Medelci a placé la réunion d’Alger dans le cadre de la préparation du sommet de Bamako. « Cette rencontre, précise-t-il, est une seconde étape après celle qui nous a réunis, en novembre 2008, pour préparer la conférence de Bamako. »
Mais si les Algériens se sont voulus rassurants, ils sont demeurés intransigeants sur la criminalisation des versements de rançons aux preneurs d’otages, « l’une des voies de financement du terrorisme », selon Messahel. Ils ont obtenu des ministres présents que le communiqué final insiste sur la résolution de l’Union africaine et celle du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant sans équivoque cette pratique. Et, pour Alger, satisfaire une revendication en échangeant un terroriste contre un otage équivaut au paiement d’une rançon. Et si, au nom de l’élaboration d’une stratégie commune, les Algériens sont disposés à pardonner « le forfait » de Bamako, ils ne sont pas près d’accepter qu’il se reproduise.
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