Bénin : ébullition dans le laboratoire de la démocratie

Depuis son indépendance, le Bénin a été une sorte de terrain d’expérimentations où, tels des alchimistes, les hommes politiques ont essayé toutes les formules, des plus saugrenues aux plus traumatisantes, pour gérer un pays miné par le régionalisme et une instabilité permanente. Finalement, dans les années 1990, il a été le premier à tester la Conférence nationale, qui ouvrira la voie à la démocratie, et fera figure d’exemple. Malgré ces tâtonnements, le pays n’a pas connu les déchirements de la guerre. Il n’a pas pour autant profité de cette nouvelle stabilité pour enclencher la deuxième étape, celle de la victoire sur la pauvreté.

L’avenue du Général-Cozel direction Ganhi, à Cotonou en 2010. © César Gaba pour J.A

L’avenue du Général-Cozel direction Ganhi, à Cotonou en 2010. © César Gaba pour J.A

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Publié le 25 mars 2010 Lecture : 6 minutes.

Bénin, ébullition dans le laboratoire de la démocratie
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Bénin, ébullition dans le laboratoire de la démocratie

Sommaire

Une cour de récréation turbulente. Telle est l’image que le Dahomey, devenu Bénin en 1975, donne au monde durant les douze premières années de son indépendance. Sept coups d’État militaires entre 1963 et 1972, sans parler des tentatives avortées ! Une classe politique prise en otage par une armée indisciplinée, divisée en clans. Les mêmes partent et reviennent. Un jeu trouble qui conduit à une instabilité inédite. Pendant cette période, le pays tente toutes les expériences politiques imaginables pour se stabiliser : régime parlementaire, présidentiel, présidence bicéphale, triumvirat, régime militaire avec un gouvernement civil ou 100 % militaire, une élection présidentielle au suffrage universel qui alterne avec une loi martiale… Peine perdue : le Quartier latin de l’Afrique, comme on l’a surnommé, est ingouvernable.

C’est Hubert Maga, le premier président, qui ouvre la boîte de Pandore, en octobre 1963. Face à des revendications salariales qui dégénèrent, il sollicite l’intervention de l’armée pour rétablir l’ordre. Le général Christophe Soglo, chef d’état-major, ne demande pas mieux et inaugure, le 28 octobre 1963, la série des coups d’État. Ce qui vient d’arriver résulte d’une réalité profonde : la très grande régionalisation, l’ethnicisation de la vie politique. Ce phénomène est une constante au cours de ces cinquante dernières années. L’homme politique dahoméen, puis béninois, se conçoit d’abord par rapport à son terroir. C’est dans son fief ethnique ou régional qu’il recueille le plus de voix. Conséquence : en cas de succès, il a tendance à penser d’abord aux « siens ». Ces clivages apparaissent dès les premières années de l’indépendance. Ils conditionnent la démarche politique des principaux leaders : Hubert Maga, « l’homme du Nord » ; Sourou Migan Apithy, « l’homme du Sud » ; Justin Ahomadegbé, « l’homme du Centre-Sud ». La compétition se situe au niveau ethnique, au détriment de l’identité nationale, comme si les uns et les autres avaient de vieux comptes ancestraux à régler.

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Instabilité chronique

Parmi les multiples crises, trois Constitutions en huit ans, les élections générales de mai 1968 annulées faute d’électeurs (le taux d’abstention était de 74 %), la nomination du docteur Émile Derlin Zinsou entérinée par référendum en juillet, et six mois plus tard son renversement par le colonel Maurice Kouandété.

"Vous appelez les militaires parce que vous en avez besoin. Mais ils s’apercevront que le pouvoir est très facile à prendre quand on a la force. Et, demain, ils interviendront sans que vous les appeliez."  Emile Derlin Zinsou, président du Bénin de 1968 à 1969.

C’est dans ce contexte d’instabilité chronique et de méfiance mutuelle que, en vue de mettre tout le monde d’accord, de contenter tous les ego et d’assurer une stabilité au pays, l’idée d’instaurer une présidence tournante, sous forme de triumvirat, est lancée au cours du premier semestre 1970. L’idée est inédite : Maga, Apithy et Ahomadegbé vont diriger le pays à tour de rôle, pendant deux ans chacun. Nous sommes en mai 1970. Mais le Conseil présidentiel, ce « monstre à trois têtes », ressemble à un serpent qui se mord la queue. En effet, les deux personnalités qui attendent leur tour ont un droit de veto sur les décisions prises par le président en exercice ! En outre, les ministres nommés viennent du même terroir que le leader. Hubert Maga inaugure le triumvirat et va jusqu’au bout de son mandat de deux ans. Ce qui ne sera pas le cas pour son successeur, Justin Ahomadegbé, renversé par Kérékou en plein jour, cinq mois seulement après son entrée en fonction. C’en est fini de l’expérience de l’hydre à trois têtes, voici venu le temps des ministres en kaki. En effet, pour la première fois dans l’histoire du pays, le nouveau gouvernement, annoncé le soir du coup d’État, est entièrement composé de militaires. Une nouvelle aventure va commencer : le marxisme-léninisme.

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Sous Kérékou, le régionalisme se renforce et l’autoritarisme règne : tout le monde est mis au pas. La notion de fils du terroir devient la norme dans tous les organes du pouvoir. Une chape de plomb s’abat sur le Bénin et sur quasiment tous les Béninois. Par opportunisme plutôt que par conviction, certains se font coopter par le régime marxiste-léniniste et accèdent ainsi à un certain nombre de privilèges, même si le Bénin est loin d’être un pays de cocagne. Kérékou assoit son pouvoir sans difficultés majeures et malgré quelques tentatives de renversement, comme cette opération menée par Bob Denard qui échoue piteusement, à Cotonou, en 1977. « Le Caméléon » a la baraka. Sur le plan économique, les nationalisations d’entreprises ne suffisent pas pour assurer le bien-être de la population : le pays est avant tout agricole, avec le coton comme principale matière d’exportation. Confrontés à la vie chère, des citoyens téméraires se lancent dans la contestation ouverte dès 1979. Leur action reprend en 1985. D’abord de façon clandestine, puis au grand jour. Au premier plan : le mouvement étudiant, fer de lance du changement, et auquel vont se joindre d’autres forces, notamment les syndicats, les enseignants, les intellectuels catholiques…

Fin du marxisme-léninisme

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La contestation prend de l’ampleur en 1989, d’autant que la situation économique est catastrophique et que le Fonds monétaire international (FMI) a imposé un plan de rigueur au gouvernement. L’année précédente, Kérékou a échappé à trois tentatives de putsch. Sur le plan international, deux événements retiennent son attention : le renversement suivi de l’exécution du président roumain, Nicolae Ceausescu, filmée et diffusée sur toutes les chaînes de télévision, puis la chute du mur de Berlin. C’est dans ce contexte que Mathieu Kérékou annonce de façon officielle, le 7 décembre 1989, la fin du marxisme-léninisme. Pendant ce temps, les émeutes se répandent et touchent les principales villes du pays. Le Caméléon n’a pas le choix : en février 1990, il convoque une conférence réunissant les forces vives de la nation afin de trouver des solutions à la grave crise économique. Il s’attendait à être suivi dans cette logique. Mais les quelque cinq cents délégués voient là l’occasion d’en finir avec son régime.

"Le fait d’avoir dit aux Béninois que dieu n’existe pas a suffi pour que tout le monde proclame que Dieu est vivant."  Mgr Isidore De Souza, ancien archevêque de Cotonou.

C’est ainsi que naît la première Conférence nationale du continent. L’heure du renouveau démocratique sonne pour le Bénin. Après une période de transition, Nicéphore Soglo remporte l’élection présidentielle de 1991 face à… Mathieu Kérékou, avant que celui-ci ne l’emporte à son tour en 1996 et en 2001. En dépit du changement qui a permis au Bénin de passer en vingt ans de la nuit du pouvoir arbitraire à la lumière du suffrage universel, le régionalisme n’a pas réellement reculé. Un nouveau phénomène s’y est ajouté : la transhumance des hommes politiques, qui, en fonction des intérêts du moment, passent facilement d’un parti à l’autre. Même si ce « nomadisme » n’est pas une spécialité béninoise.

Économiquement, le Bénin, bien qu’il ne soit pas un pays enclavé, n’a pas encore réussi à impulser un développement qui bénéficie au plus grand nombre. Son sous-sol est pauvre, et tous ses espoirs reposent sur l’agriculture. En plus, l’économie, très fragile, est dominée par le secteur informel et dépend beaucoup des soutiens extérieurs. Après cinquante ans de tâtonnements, le Bénin semble entré dans la période de maturité politique et de stabilité. Le temps est peut-être arrivé de s’attaquer enfin à l’autre mal du pays : la pauvreté. Le pétrole découvert l’an dernier peut, dans ce domaine, être une manne ou une malédiction.

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