Malek Chebel : « Comment vivre sa foi quand on est en minorité ? »

États impuissants, crise économique : la persécution des chrétiens dans les pays musulmans s’explique davantage par la faillite du politique que par des querelles théologiques. L’analyse de Malek Chebel, anthropologue algérien spécialiste de l’islam.

Malek Chebel. © Vincent Fournier pour J.A

Malek Chebel. © Vincent Fournier pour J.A

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Publié le 30 mars 2010 Lecture : 3 minutes.

Chrétiens en terre d’islam : l’impossible cohabitation ?
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Chrétiens en terre d’islam : l’impossible cohabitation ?

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Jeune Afrique : Les chrétiens en terre d’Islam sont-ils uniquement victimes des radicaux qui croient voir en eux le cheval de Troie de l’Occident ?

Malek Chebel : L’intolérance ne peut exister que si trois facteurs se conjuguent : le fondamentalisme, l’idéologie djihadiste et l’existence d’une fracture politique. Les chrétiens d’Irak n’ont commencé à avoir des problèmes que lorsque l’Irak s’est effondré en tant qu’État. Ce sont les conflits qui ont contribué à fragiliser le rapport entre musulmans et chrétiens. On le voit aussi en Algérie. C’est sur fond de terrorisme islamiste que les frottements entre les deux grandes plaques tectoniques que sont celles de l’islam et du christianisme ajoutent à l’exacerbation entre les communautés.

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Les persécutions contre les chrétiens relèvent donc davantage d’une mauvaise gestion politique ?

C’est la traduction d’un malaise plus global, qui touche les sociétés musulmanes et les États. La force du rejet des chrétiens révèle le degré de mal-être de ces pays. C’est le cas en Irak, au Soudan, dans toute la ceinture sahélienne, ou encore en Égypte. Les Frères musulmans y sont présents depuis 1929 et, pendant longtemps, ils n’ont jamais remis en question la présence des coptes. Ces derniers ne sont devenus des boucs émissaires que lorsque l’Égypte est entrée dans un cycle de paupérisation et de fragilisation des structures – archaïques – du pouvoir. Au Nigeria, c’est un peu pareil. Les conflits à Jos ne sont que l’amplification d’un malaise global qui provient de l’inégale distribution des terres et d’une mauvaise répartition de la richesse.

Est-ce en raison des défaillances de l’État qu’il faut expliquer l’expulsion des chrétiens évangéliques au Maroc ?

Oui, tout à fait. Idem en Algérie. Et cela risque de se reproduire plus généralement dans tous les pays à majorité musulmane en Afrique. Au Maroc, les autorités ont agi par anticipation. Il suffirait d’une petite étincelle – que les évangéliques soient trop visibles, par exemple – pour que le fondamentalisme musulman, qui est, pour le moment, maîtrisé, se réveille d’autant plus violemment et que l’État soit mis en danger.

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Au Proche-Orient, les chrétiens sont de moins en moins nombreux. Peut-on imaginer qu’un jour il n’y aura plus d’Arabes chrétiens ?

Oui. Cela risque de se produire, malheureusement. L’islam n’en sortira pas grandi. Je n’ai jamais vu une grande civilisation tourner le dos à ses minorités culturelles, linguistiques, religieuses. L’émergence de la démocratie dans cette région ne peut se produire sur un tas de cendres. Après un XXe siècle positif de décolonisations, on retombe dans une phase archaïque de guerres de religions.

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Le pape Benoît XVI avait choqué en 2006 lors de son discours de Ratisbone, assez virulent contre l’islam. L’Église catholique porte-t-elle sa part de responsabilité dans la radicalisation des rapports avec l’islam ?

Oui, le pape a choqué les musulmans, mais sa personnalité n’est pas vraiment en cause. C’est la période qui est plus risquée pour l’Église catholique. Benoît XVI ne peut pas faire autrement que de constater la très nette avancée de l’islam et des conversions à l’islam. Les musulmans sont aujourd’hui plus nombreux dans le monde que les catholiques. Dans dix-vingt ans, ils seront plus nombreux que tous les chrétiens réunis.

Y a-t-il des terres d’Islam où l’on peut vivre sa foi en paix quand on n’est pas musulman ?

Le Maroc, la Tunisie, la Tanzanie, la Malaisie – si l’on excepte la polémique récente sur le nom d’Allah, mais qui n’est pas encore très grave. Oui, il y a encore de larges terres musulmanes où les chrétiens ou les autres peuvent vivre en paix. Mais on pourrait aussi poser la question inverse. Y a-t-il des terres chrétiennes où les musulmans peuvent vivre leur religion au grand jour ? Au fond, aujourd’hui, est-il possible de vivre sa foi quand on est en minorité ? Si on la vit discrètement, oui. Sinon, non. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le rapport qu’ont les religions entre elles. On confond trop souvent identité citoyenne et identité religieuse.

Dernier ouvrage publié : Dictionnaire encyclopédique du Coran, Fayard, juin 2009

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