Afrique subsaharienne : un terrain pour les prosélytes
Chrétiens en terre d’islam : l’impossible cohabitation ?
Le 6 février 2010, N’Zérékoré, dans le sud-est de la Guinée. Une femme est empêchée de passer par une route temporairement barrée pour la prière du vendredi. Elle est chrétienne. Rudoyée par de jeunes musulmans chargés du maintien de l’ordre autour de la mosquée voisine, elle va se plaindre auprès des siens et affirme s’être fait voler un sac de riz et 2 millions de francs guinéens (286 euros). Un groupe de jeunes chrétiens lancent un raid punitif sur le lieu de prière. L’affaire se termine avec des coups de bâton et jets de pierres. Après l’intervention de la gendarmerie, on dénombre 1 mort, 2 disparus et 29 blessés. Une étincelle a suffi à enflammer cette ville, où les communautés musulmane et chrétienne avaient pourtant toujours cohabité sans heurts majeurs.
Pratiqué par 86 % de la population, l’islam guinéen est tolérant et ouvert. Il n’y a pas de religion d’État, la liberté de culte est garantie par des lois, les lieux de culte sont respectés. Mais, comme beaucoup d’autres pays d’Afrique subsaharienne, la Guinée n’échappe pas aux crispations confessionnelles. Le vent du renouveau religieux souffle partout, bouleversant les rapports entre différentes communautés.
Pour certains, tout est parti du « réveil islamique » né de la révolution iranienne de 1979. Sur le terrain, ce sont très souvent de généreuses fondations qui s’activent, venues d’Iran ou des monarchies pétrolières du Golfe. Les saoudiennes professent un islam d’interprétation wahhabite rigoriste et fondamentaliste. Toutes prosélytes, elles organisent des prêches. On y encourage l’activisme religieux dans la vie quotidienne, on y condamne les oulémas locaux « corrompus » en prônant un renouveau parmi les « savants » de l’islam, notamment. Le but est de jeter le discrédit sur les autorités religieuses modérées, pour promouvoir librement une interprétation plus fondamentaliste du Coran. La technique est la même côté chrétien, comme on l’a observé dans les années 1990 lors des premières tournées de « télévangélistes » charismatiques et populaires. L’Américain Billy Graham ou l’Allemand Reinhard Bonnke, par exemple, électrisaient des centaines de milliers de personnes et des millions de téléspectateurs.
Les raisons de la réceptivité particulière des Africains à ces nouvelles pratiques religieuses sont très discutées. S’agit-il des effets de la crise économique, des échecs des politiques de développement ou du déficit démocratique ? Les religions sont, sans aucun doute, devenues un moyen de fuir la dure réalité. Et, pour les autorités politiques, de pallier leurs propres défaillances ou, au contraire, d’envenimer les rivalités.
Au Nigeria, la fracture entre un Nord musulman et un Sud à prédominance chrétienne est la clé de voûte de la vie politique. Selon une règle non écrite, la présidence du pays revient alternativement à l’une des deux régions, puisque les communautés chrétienne et musulmane sont à quasi-égalité (40 % de la population, contre 45 %). Ainsi, Olusegun Obasanjo, chrétien évangélique originaire du Sud, a cédé sa place en 2007 à un « Nordiste » musulman, Umaru Yar’Adua. Mais le Nigeria reste miné par la faiblesse de l’État fédéral, une mauvaise répartition des richesses nationales, une politique d’aménagement du territoire déficiente, une forte natalité et l’illettrisme. Tous facteurs de pauvreté, de chômage, de désordre urbain, notamment. Chrétiens contre musulmans un jour. Musulmans contre chrétiens le lendemain. À Jos, violemment ensanglanté à deux reprises en moins de trois mois, les centaines de morts – officiellement imputées à un conflit entre communautés religieuses – sont davantage à expliquer par l’accès inégal à la terre et aux richesses.
Malgré ces récentes tensions, le continent africain demeure probablement la région du monde où les majorités musulmanes font le meilleur accueil aux minorités religieuses. Au Burkina (18 % de chrétiens et 45 % de musulmans), les communautés n’en sont jamais arrivées à la confrontation. Pas plus qu’au Niger, musulman à 98 %, ou qu’au Sénégal (6 % de chrétiens), où, pourtant, le lien unissant le pouvoir aux confréries soufies est étroit. Peut-être ces pays doivent-ils cette cohabitation pacifique au strict respect des principes de laïcité qu’ils se sont imposés dans leurs Constitutions.
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