« TGV » : pressé et sous pression

Un an après sa prise de pouvoir, Andry Rajoelina n’est plus, pour ses compatriotes, l’icône de la place du 13-Mai. L’Union africaine vient de lui infliger des sanctions. Mais, paradoxalement, ces difficultés lui donnent une certaine épaisseur.

A.Rajoelina continue sa politique unilatérale, la communauté internationale lui tournant le dos. © AFP

A.Rajoelina continue sa politique unilatérale, la communauté internationale lui tournant le dos. © AFP

Publié le 24 mars 2010 Lecture : 4 minutes.

Il y a ceux – ses partisans – qui le trouvent particulièrement courageux pour son âge. Culotté même, de tenir tête à la communauté internationale et aux vieux briscards que sont les anciens présidents Albert Zafy et Didier Ratsiraka. Et puis il y a ceux – ses opposants – qui, au contraire, lui reprochent d’être un brin candide, voire beaucoup trop influençable. D’où, disent-ils, ses innombrables revirements qui ont dérouté, au fil des négociations, les plus expérimentés des médiateurs africains. Quoi qu’il en soit, Andry Rajoelina (surnommé « TGV ») ne s’est jamais libéré de l’image de jeune premier qui lui colle à la peau depuis qu’il a pris la tête de la révolte anti-Ravalomanana, en décembre 2008.

À bientôt 36 ans, celui qui n’a découvert la politique qu’en 2007, lorsqu’il fut élu à la surprise générale maire d’Antananarivo, est à la tête d’un régime placé au ban de la communauté internationale. Le 17 mars dernier, un an jour pour jour après la prise de pouvoir de Rajoelina, l’Union africaine (UA) a mis sa menace à exécution. Regrettant que le président de la Haute Autorité de la transition (HAT) « ait continué à agir de façon unilatérale », le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a publié une liste de 109 « individus dont l’action fait obstacle » à un retour à « l’ordre constitutionnel ». Un véritable Who’s Who du régime. D’Andry Rajoelina à sa femme, la très présente Mialy, en passant par ses plus proches conseillers (Ratsirahonana, Ramandimbiarison, Rajaona…), les ministres, les gradés (dont les très influents Charles Randrianasoavina et Lylison René), les membres de la Haute Cour constitutionnelle et ceux de la HAT, personne ou presque n’échappe au blâme de l’organisation.

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Trop de couleuvres

Pour l’heure, les sanctions se limitent à l’interdiction de voyager, au gel des avoirs financiers placés dans des banques étrangères et à des refus d’accréditation. « C’est une manière de dire à Rajoelina : “Reprenez le dialogue, il est encore temps” », estime un diplomate en poste à Tana. Certains ne cachent pas leur scepticisme. « On gèle leurs avoirs, mais la plupart des personnes sanctionnées sont arrivées trop récemment au pouvoir pour avoir placé de l’argent à l’étranger. On les isole diplomatiquement, mais on enfonce une porte ouverte : ils l’étaient déjà », note un négociateur. Pour lui, ces sanctions « risquent d’exacerber leur nationalisme et de rendre le dialogue impossible ».

De fait, dès l’annonce des sanctions, Rajoelina a rejeté toute idée de retour en arrière. « Ce qui ne tue pas rend fort », a-t-il déclaré. « On ne va plus négocier avec l’UA et le GIC [Groupe international de contact, NDLR] », confirme Augustin Andriamananoro, porte-parole du gouvernement. Pas question, non plus, de revenir aux accords de Maputo et d’Addis-Abeba. Rajoelina a avalé trop de couleuvres pour reculer maintenant. Il a beaucoup appris, ces derniers mois. Après s’être fait « manger » par Ratsiraka et Ravalomanana à Maputo I (8-9 août 2009), il s’est entouré de conseillers plus chevronnés à Maputo II (25 août). Résultat : aucun accord. Puis, irrité par le jeu des trois autres mouvances qui ont commis l’erreur de le sous-estimer, il a refusé de participer à Maputo III (3-8 décembre). « Plus il lâchait du lest, plus ils en demandaient. Cette tactique a eu ses limites », indique un médiateur. Un temps désireux de partager le pouvoir, Rajoelina a changé d’optique à la mi-novembre 2009. Il restait alors trois portefeuilles à pourvoir (l’Éducation, l’Économie et les Mines). Rajoelina avait déjà cédé des ministères clés : les Affaires étrangères, l’Intérieur, les Finances… Mais Zafy, Ratsiraka et Ravalomanana en voulaient toujours plus.

Trois semaines plus tard, l’envoi d’une lettre au Premier ministre danois, signée par les trois mouvances, pour lui enjoindre de ne pas autoriser Rajoelina à participer au sommet de Copenhague, scelle la rupture. « Sa fierté en a pris un coup », affirme l’un de ses conseillers.

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Au même moment, les médiateurs ont perdu grâce à ses yeux. Alors qu’en octobre 2009 une réunion des quatre leaders qui devait se tenir à Genève était annulée au dernier moment après que Ravalomanana eut refusé d’y participer, en décembre, Joachim Chissano, le médiateur en chef, maintenait celle de Maputo III, malgré l’opposition de Rajoelina. « Il y a deux poids, deux mesures », avait alors déploré un collaborateur du jeune président.

Poussé par des conseillers jusqu’au-boutistes qui ont pris le dessus sur les modérés, comme l’a démontré la démission, en février dernier, de Ny Hasina Andriamanjato, son ministre des Affaires étrangères, « l’homme fort de Tana » ne prête plus aucun crédit à la communauté internationale. Seule la France est entendue. Et encore… « Le dialogue est difficile. On n’arrive pas toujours à le suivre », constate-t-on au Quai d’Orsay.

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Intérêts colossaux

Bénéficiant d’une certaine aura lors de sa prise de pouvoir, Rajoelina s’est également isolé dans le pays. « Les Malgaches le considèrent désormais comme les Ravalomanana et autres Ratsiraka : un homme assoiffé de pouvoir », remarque un analyste politique. Les discours de la place du 13-Mai, porteurs d’un nouvel espoir, ont été vite oubliés. « Lui-même y croyait certainement, mais la réalité du pouvoir l’a rattrapé », note avec amertume un ancien collaborateur. « Dans son entourage, il y a des personnes qui auraient tout à perdre à partager le pouvoir. Les intérêts financiers sont colossaux », ajoute un ancien ministre.

Lâché successivement par Roland Ratsiraka (le neveu de l’ancien président, pourtant placé sur la liste de l’UA), Monja Roindefo et Albert Zafy, Rajoelina a endossé bien malgré lui le costume… de Marc Ravalomanana. Tous contre lui ! Mais fort du soutien (indispensable) de l’armée et des « historiques » de la HAT, persuadé aussi d’avoir été investi d’une mission par le peuple de Tana – « son comportement est quasi mystique, ce qui explique qu’il n’écoute plus grand monde », ironise un diplomate sud-africain –, Rajoelina suit la voie unilatérale qu’il a tracée à la fin de 2009. Celle qui pourrait l’amener à la présidence de la future IVe République, censée balayer les démons du passé. 

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