Lokua Kanza d’amour et de sanza
Après cinq ans d’absence, l’artiste congolais revient avec Nkolo. Un album dans lequel il chante encore et toujours l’amour sur les douces notes de la sanza, instrument traditionnel d’Afrique centrale.
« Ma musique, c’est d’abord une musique pour l’humain, pour l’émotion, ce dénominateur commun qui nous rassemble tous », confiait Lokua Kanza, lors de la sortie de son premier album en 1993. « Même si on refuse de le croire, au plus profond de chaque être humain il existe un besoin vital d’aimer et d’être aimé », précisait-il. Avec Nkolo, son nouvel album qui sort dans quinze pays et qu’il espère lancer à Kinshasa au cours d’un concert à la fin de mai (ce sera pour lui une première), Lokua Kanza continue de cultiver sa différence.
Au risque de paraître naïf et trop empêtré dans les bons sentiments, il a l’audace de parler encore d’amour, rêvant toujours d’un monde sans chaos ni désarroi. C’est chez lui quasiment une obsession : chanter des valeurs humaines essentielles, évoquer des éclaircies plutôt que des ciels chargés. De « Mapendo » (« l’amour », en swahili) à « Famille » (« il ne faut pas attendre que les gens nous quittent pour leur témoigner tout l’amour que nous leur portons », commente-t-il) ou « Soki » (qui raconte là encore une histoire d’amour), Lokua Kanza continue de chanter un monde de douceur. Sans pour autant se noyer dans une douce béatitude, comme en témoigne le titre « Nakozonga » (« je reviendrai »), évoquant « l’histoire des émigrés qui rêvent de rentrer chez eux un jour », mais dont peu parmi eux le pourront.
Doux baladin
« L’amour, je pense que c’est ce dont nous avons le plus besoin. Il y a tellement de violence dans ce monde… J’essaie à ma manière et à travers mes chansons d’apporter un peu de légèreté, de faire du bien », insiste le doux baladin. Pour passer ses messages apaisants ou rassurants, il compose des ballades sobres et aériennes, une mosaïque de moments bruissants de liberté, de timbres doux et de mélodies enveloppantes. Dans ses univers chantent les notes aquatiques de la sanza, mais également un harmonica, les sons rares des ondes Martenot (clavier électronique) et du cristal Baschet (orgue de cristal). Lokua Kanza revendique sans état d’âme le caractère hybride de sa musique.
« Dès le départ, le métissage est inscrit dans mes veines », souligne le chanteur, né en avril 1958 à Bukavu, dans la province du Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo. « Mon père est mongo, ma mère tutsie. J’ai donc en moi deux cultures qui se croisent et se parlent. »
Et s’il a appris à chanter dans les chorales des églises, joué de la rumba, accompagné la chanteuse Abeti, il a aussi étudié le classique, le jazz, fréquenté le Conservatoire de Kinshasa. À Kinshasa justement, il rencontre Ray Lema, qui lui donnera sa première vraie guitare. Plus tard, à Paris, où il s’installe en 1984, il restera plusieurs années au sein du groupe de ce dernier. Il fréquentera également Manu Dibango, Papa Wemba, Sixun… avant de se lancer en solo.
Pourquoi a-t-il une affection particulière pour un vocabulaire musical épuré, les climats rêveurs et mélancoliques, lui qui a commencé sa carrière au pays en interprétant de la musique pour faire danser ? « C’est là où je me sens le mieux, je crois. La musique qui me fait le plus vibrer, c’est la musique douce et mélancolique. D’ailleurs, j’ai remarqué qu’avec cet album je n’ai pas eu à faire d’efforts. Presque toutes les chansons ont été enregistrées en une prise. Je chante dans ma langue, le lingala, puis en swahili, en français, en portugais (là, je rame encore un peu) et dans une langue inventée. »
Du yaourt
Une langue inventée ? Quelle drôle d’idée ! « Quand j’arrive au studio, c’est du yaourt que je chante parfois, juste des sons. Après, en réécoutant, j’y entends tellement d’émotion, que je me dis, à quoi bon y mettre des mots, pourquoi changer quoi que ce soit au risque de perdre cette émotion-là. Si je ne précise pas que c’est une langue qui n’existe pas, personne ne s’en aperçoit. Même des Congolais parfois me posent la question : “Dans quelle langue tu chantes, là ?” »
Quant au portugais, c’est la langue de son nouveau pays d’adoption. Lokua Kanza vit au Brésil depuis un an et demi. « La première personne qui m’y a amené, c’est Djavan. Après avoir écouté mon disque Wapi Yo, sorti en 1995, il m’a invité. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé à chanter là-bas avec lui et Al Jarreau. Le concert a été magnifique. Après, j’ai commencé à faire des allers-retours entre la France et le Brésil. Cela faisait des années que je songeais à m’y poser. » Ce nouveau disque (le septième en comptant le projet en trio Toto, Bona, Lokua, où il s’associait à Richard Bona et Gérald Toto, en 2004) arrive cinq ans après le précédent, Plus vivant.
Le Brésil est-il synonyme de farniente pour Lokua Kanza ? « Cet album, je suis dessus depuis trois ans. Je suis un peu lent. Mais je me suis retrouvé à écrire pour plusieurs artistes au Brésil après que Gal Costa a repris en portugais trois titres de mon album en français Plus Vivant. Par exemple, Ney Matogrosso m’a demandé de lui écrire quelque chose, ou bien encore Vanessa da Mata. » Un des titres de Lokua Kanza, interprété par Gal Costa, est repris dans la b.o. de la nouvelle telenovela (feuilleton télévisé quotidien) de 20 heures, depuis septembre. « Un morceau qui passe dans la telenovela de 20 heures, c’est le rêve de tous les compositeurs, paraît-il », souligne Lokua Kanza. Un rêve sans doute rémunérateur (versement de droits oblige) qui devrait aider le chanteur à mener à bien son projet, l’ouverture d’une école de musique à Kinshasa, où il ferait venir des copains au talent sûr (Richard Bona, Sylvain Luc…) pour animer workshops et ateliers.
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