Les lourdes dettes des clubs européens
La crise économique mondiale a été fatale à plusieurs clubs professionnels aux ressources (relativement) modestes. Mais les grands d’Europe, malgré un niveau d’endettement abyssal, continuent de dépenser presque sans compter.
Il y a deux mois, le FC Haarlem, un club néerlandais de 2e division, est mort dans la plus totale indifférence. Championne nationale en 1946, cette formation n’a pas réussi à trouver des investisseurs prêts à éponger une dette pourtant modique : 2 millions d’euros. L’Ajax Amsterdam, le plus grand club du pays, a bien tenté d’aider son ancien rival en annulant ses créances et en lui prêtant des joueurs. En pure perte.
Quelques semaines plus tôt, le belge Excelsior Mouscron (division 1) avait été exclu du championnat professionnel à cause d’une dette d’à peine 800 000 euros. Les administrateurs judiciaires tentent de trouver une solution afin de permettre au club de repartir la saison prochaine en 3e division. En Suède et en Norvège, plusieurs clubs traversent de grosses difficultés financières après avoir cédé à la tentation d’offrir des salaires importants à des joueurs recrutés à l’étranger. D’autres, tel Stabaek (Norvège), ne parviennent pas à remplir les stades flambant neufs qu’ils ont fait construire.
Le 26 février, plombé par une dette de 67 millions d’euros et incapable de rembourser au fisc les 8,5 millions d’euros qu’il lui doit, le Portsmouth FC, dernier de la Premier League anglaise, s’est mis sous la protection de la loi sur les faillites et a été placé sous administration judiciaire. Il est le premier club britannique dans ce cas. Quand le nouveau propriétaire, le Hongkongais Balram Chainrai – qui n’est guère que le quatrième depuis le début de la saison ! –, a pris les commandes de ce navire en perdition, il a été contraint de vendre plusieurs joueurs et a vu ses droits télé mis sous séquestre par la Ligue anglaise afin de payer les autres créanciers.
Les remèdes drastiques sont d’ailleurs à la mode au Royaume-Uni : West Ham (Premier League) a décidé de baisser de 25 % les salaires de ses joueurs ; Wigan et Hull City connaissent de sérieuses difficultés financières ; Crystal Palace (2e division) a été placé en redressement judiciaire, et Cardiff (idem) doit rembourser sans attendre 1,5 million d’euros au fisc.
On ne prête qu’aux riches
Mais, au Royaume-Uni comme ailleurs, le vieil adage selon lequel « on ne prête qu’aux riches » s’applique à merveille. La dette cumulée de la Premier League est estimée à 3 milliards d’euros, ce qui a fait dire récemment au Premier ministre, Gordon Brown, que « certains clubs ont des niveaux de dette bien supérieurs aux revenus qu’ils sont en mesure de tirer de leur activité footballistique et des droits télévisés ».
Le glorieux Manchester United (MU), par exemple, ploie sous une dette de 900 millions d’euros. En 2005, le club aux dix-huit titres nationaux et aux trois Ligues des Champions a été racheté par le milliardaire américain Malcolm Glazer, via Red Football Ltd, sa société d’investissements, pour 1,2 milliard d’euros. Mais l’intégralité de cette somme a été empruntée aux banques, tandis que les intérêts annuels (91 millions d’euros en 2009) sont pris en charge par le club. Du coup, les supporteurs des Red Devils craignent que MU soit acculé à vendre son stade d’Old Trafford, son luxueux centre d’entraînement de Carrington et ses meilleurs joueurs, notamment Wayne Rooney. « Glazer a racheté le club en générant de la dette qu’il fait supporter à United. Et il vient de lancer une émission obligataire de 570 millions d’euros pour refinancer la dette », rappelle Vincent Chaudel, responsable du département sport d’Ineum Consulting, à Paris.
Heureusement, les recettes du club sont considérables. Les droits télé, qui sont encore garantis pour plusieurs années, sont très élevés en Angleterre et représentent 30 % du budget. Il y a aussi la billetterie, puisque le stade (75 000 places) est toujours plein et que la crise n’a pas eu d’incidence sur la fréquentation. Enfin, la vente de produits dérivés (maillots, écharpes et gadgets divers) marche très, très bien. Le chiffre d’affaires de MU avoisine 300 millions d’euros. « La dette représente trois ans de chiffre d’affaires, ce qui n’est certes pas négligeable », commente Chaudel. Pourtant, la crise financière a affecté certaines sources de revenus, en particulier les recettes commerciales (sponsoring, vente de loges, etc.).
Les transferts de joueurs, qui constituent des revenus et/ou des dépenses exceptionnelles pour les clubs, subissent eux aussi les conséquences de la crise. Certes, les joueurs bankable (Cristiano Ronaldo, Kaka, Franck Ribéry, Lionel Messi, etc.) continuent de se vendre à des prix élevés, mais les clubs qui forment des joueurs et misent sur leur vente pour dégager des ressources sont touchés de plein fouet. Contrairement à Chelsea, Liverpool ou autres nouveaux riches style Manchester City, MU, qui a formé des joueurs comme Ryan Giggs, David Beckham ou Paul Scholes, a rarement dépensé des sommes extravagantes sur le marché des transferts. Mais le poids de la dette pèse quand même sur sa capacité de recrutement.
Politique de transferts
En Espagne, où les clubs paient vingt années de gestion délétère (leur endettement cumulé avoisine 3,4 milliards d’euros), le Real Madrid est plombé par une dette nette de 680 millions d’euros (certains parlent même de 900 millions). Avec 490 millions, le FC Barcelone, le grand rival catalan, n’est guère mieux loti. Mais le club madrilène, que l’on sait proche du palais royal, bénéficie lui aussi de rentrées importantes : droits télé (150 millions d’euros par an), billetterie (le stade Santiago-Bernabeu est plein à chaque rencontre), merchandising… Comme Manchester United et d’autres cadors du Vieux Continent, il engrange en outre des sommes importantes lors de juteuses tournées estivales en Asie, en Amérique du Nord ou en Amérique latine.
Mais à la différence de MU, le Real Madrid continue de creuser sa dette en raison de sa politique sportive et des sommes consacrées à l’achat de joueurs. L’été dernier, il a dépensé 250 millions d’euros pour s’assurer les services d’une pléiade de stars : Cristiano Ronaldo, Kaka, Karim Benzema, Xabi Alonso, Raúl Albiol… Fiorentino Pérez, le président revenu aux commandes du club en juin 2009, a immédiatement remis au goût du jour une politique de transferts spectaculaires. Pour réduire la dette, il parie sur une hausse de 14 % des revenus par rapport à la saison 2008-2009. Il a dans ses cartons le projet de création d’un parc thématique dans la banlieue de Madrid et envisage de moderniser le stade Santiago-Bernabeu.
« Des institutions comme le Real ou le Barça s’en sortiront toujours, mais d’autres, comme le FC Valence (Espagne), la Lazio de Rome (Italie) ou Portsmouth (Royaume-Uni), sont au plus mal parce qu’ils ont pris beaucoup de risques en tentant de rivaliser avec les grands clubs. Ils ont acheté des joueurs très chers et ne peuvent les revendre au même prix », constate Vincent Chaudel.
À eux seuls, les clubs anglais et espagnols sont responsables de la majeure partie de l’endettement cumulé des 732 clubs européens disposant d’une licence UEFA. Face à cette situation devenue intenable, notamment en raison de la récente explosion des salaires des joueurs, les 144 membres de l’Association européenne des clubs (ECA) ont adopté, il y a deux semaines à Manchester, les principes du fair-play financier posés, en août 2009, par Michel Platini, le président de l’UEFA. Principe de base : les clubs engagés dans les compétitions européennes ne devront pas dépenser plus d’argent qu’ils n’en gagnent.
À partir de 2012, ils disposeront d’un délai de trois saisons pour parvenir à l’équilibre comptable et devront fournir des informations précises sur le montant des salaires, les transferts et leur niveau d’endettement. Ils devront aussi, sous peine de sanctions, être en mesure d’honorer l’ensemble de leurs engagements.
Deux bons élèves
Même si elle n’a pas été épargnée par la crise, la France s’en sort, financièrement parlant, beaucoup mieux : les pertes cumulées des clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 ne dépassent pas 34 millions d’euros. Il est vrai que la Direction nationale de contrôle et de gestion (DNCG), un organisme qui n’a pas d’équivalent en Espagne, permet d’éviter certaines dérives. L’Allemagne est également un excellent élève. L’argent sert davantage à moderniser les infrastructures, notamment les stades, qu’à investir massivement dans l’achat de joueurs. Et, surtout, la règle des « 50 % + 1 » imposée par la fédération allemande interdit aux investisseurs étrangers d’acquérir la majorité d’un club. Mais Martin Kind, le président de Hanovre, a plusieurs fois annoncé son intention de combattre cette règle protectionniste, dont le principal objectif est de préserver les clubs allemands de toute gestion à risques.
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