Universités françaises dans le Golfe : miracle ou mirage ?

Après la Sorbonne, écoles et universités françaises multiplient les projets d’implantation dans des émirats soucieux de développer une économie de la connaissance. Mais des écueils demeurent…

Dans une salle de la Sorbonne Abou-Dhabi, une fresque de la maison mère. © STEPHANE REMAEL/MYOP

Dans une salle de la Sorbonne Abou-Dhabi, une fresque de la maison mère. © STEPHANE REMAEL/MYOP

Publié le 25 mars 2010 Lecture : 4 minutes.

Les étudiants attendaient l’événement avec impatience : en janvier 2010, la Sorbonne-Abou Dhabi est enfin entrée dans ses murs définitifs. Des salles vastes et claires, une cafétéria de 600 places, une bibliothèque offrant 400 000 ouvrages et, au-dessus des murs immaculés, un dôme stylisé qui évoque la séculaire coupole de la chapelle de la Sorbonne parisienne.

La Sorbonne-Abou Dhabi accueille pour le moment 400 étudiants. À court terme, ils seront un millier venant de l’ensemble de la région. Pour être plus attractif, l’établissement enrichira aussi son offre éducative, pour l’instant axée sur les humanités et les sciences sociales, « en développant des enseignements à vocation professionnelle, en recrutant des professeurs permanents et en multipliant les partenariats », souligne Michel Fichant, chargé de mission à la Sorbonne-Abou Dhabi. Objectif : rester le fleuron d’une coopération universitaire et culturelle désormais imitée de toutes parts. Dès cette année, l’Insead, prestigieuse école privée de management, proposera l’un de ses MBA à Abou Dhabi. À Dubaï, l’École supérieure française de la mode a ouvert, en 2007, ateliers et salons. À la rentrée 2010, l’École supérieure de journalisme de Paris proposera une formation polyvalente et pratique, en anglais et en arabe, destinée dans un premier temps aux journalistes et monteurs d’un partenaire local, Orient TV.

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Toutes ces écoles ou universités, privées ou publiques, poursuivent peu ou prou les mêmes buts : œuvrer au rayonnement culturel de la France, mais aussi faire connaître leur expertise sur le marché mondial de l’enseignement supérieur et se doter de ressources supplémentaires. Quelque 400 000 euros, un pourcentage des droits d’inscription, renflouent ainsi chaque année les caisses de la Sorbonne parisienne. « Une belle dotation », concède Michel Fichant. A fortiori à un moment où, autonomie oblige, les universités françaises sont instamment priées de rechercher leurs propres financements. L’émirat, de son côté, perçoit le reste des droits et finance… tout, des locaux au salaire des professeurs. L’École supérieure de journalisme espère, de son côté, augmenter substantiellement son chiffre d’affaires avec des droits d’inscription à 8 000 ou 9 000 euros.

Du Louvre aux Rafale

Quant au Louvre-Abou Dhabi, mis en chantier en 2007 et qui combine coopération scientifique et formation, il doit rapporter au « plus grand musée du monde » 1 milliard d’euros sur trente ans. En échange, historiens d’art et conservateurs du Louvre élaborent le projet scientifique du musée prévu en 2012 sur l’île de Saadiyat, à Abou Dhabi, prêtent des collections puisées dans les réserves parisiennes et forment les cadres des musées du pays, en collaboration d’ailleurs avec la Sorbonne voisine. Dans ces conditions, les candidats au partenariat universitaire, un commerce aussi lucratif que les autres, sont nombreux. À tel point que ces affaires-là se négocient désormais au plus haut niveau.

Côté arabe, les ambitions sont grandes. Le Qatar et les Émirats arabes unis proclament leur volonté de devenir des centres éducatifs et culturels internationaux. Dans des États où les réserves de pétrole, voire de gaz, pourraient un jour se tarir, l’économie de la connaissance apparaît comme un relais opportun. Et il ne déplairait pas aux petits États pétroliers de se poser comme les « têtes pensantes », ouvertes et tolérantes, du Machrek arabe, face à une Arabie saoudite conservatrice ou à une Égypte donneuse de leçons.

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Côté français, le patrimoine culturel ne manque pas, des caves surchargées du Louvre aux beaux esprits de la Sorbonne en passant par les experts de tout poil des grandes écoles. Si ce savoir-faire venait en outre à préparer le terrain aux autres fonds de commerce français, des Rafale aux centrales nucléaires, on voit mal pourquoi Paris mégoterait pour apporter son soutien. Il ne suffit pourtant pas toujours de vouloir s’implanter !

Tradition anglophone

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Au premier rang des obstacles qui perdurent, la tradition anglophone de la région, qui rend plus facile l’intégration des établissements britanniques, américains ou australiens. Plus récente mais non moins inquiétante, la déconvenue financière de Dubaï, qui ne peut que tempérer les plus enthousiastes. « Des projets pourraient bien être suspendus, admet Jérôme Devie, attaché au bureau de coopération pour le français. En tout cas, les candidats étrangers vont peut-être y réfléchir à deux fois. » D’autant que le départ de Dubaï de plusieurs centaines d’expatriés réduit mécaniquement la clientèle potentielle des écoles et universités.

Enfin, les autorités d’Abou Dhabi et de Doha, bien que désireuses d’affirmer l’importance culturelle et universitaire de leurs capitales, ne sont pas prêtes à le faire à n’importe quel prix. L’École nationale de la magistrature de Bordeaux, qui a rompu récemment les négociations pour l’ouverture d’une antenne à Doha faute d’un accord sur son financement, en sait quelque chose ! Des déboires qui expliquent sans doute la discrétion absolue des autorités militaires sur un autre dossier en cours de négociation, celui d’une filiale de l’École militaire de Saint-Cyr à Doha.

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