Au palmarès des libertés féminines
L’organisation non gouvernementale américaine Freedom House s’est penchée sur la condition féminine au Maghreb et au Moyen-Orient. Conclusion de ce travail titanesque : les droits des femmes y progressent indéniablement… mais à pas comptés. Revue de détail.
Chaque année, depuis 1975, c’est la même antienne. Tous les 8 mars, on célèbre avec assiduité et ferveur la Journée internationale de la femme. Un peu partout dans le monde, les hommes se donnent bonne conscience. Les médias multiplient les sujets plus ou moins racoleurs sur ces femmes qui bougent, brisent les plafonds de verre, s’émancipent ou, au contraire, sur celles qui continuent de subir les pires avanies. Les bourreaux mâles sont montrés du doigt, les égéries de cette « lutte des sexes » mises sur un piédestal. On offre des fleurs, des roses de préférence, presque aussitôt fanées. Car dès le 9 mars, tout recommence comme avant la catharsis planétaire : la femme redevient un être intrinsèquement inférieur à l’homme, quelles que soient la région, la religion ou le niveau de développement. Seul l’écart entre les droits, les libertés et le statut des deux sexes diffère d’un pays à l’autre, mais il est toujours là, presque partout. Et s’il est un monde où cet écart devient abîme, c’est bien le monde arabe (et perse). À ne pas confondre avec le monde musulman, car les terres d’islam asiatiques, en la matière, n’ont pas que des leçons à recevoir…
Les femmes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient sont-elles vouées à cette soumission séculaire ? La longue marche vers la liberté et l’émancipation de leurs sœurs d’Europe, des Amériques et d’Asie y trouve-t-elle un quelconque écho ? Les inégalités se réduisent-elles ? La très sérieuse organisation non gouvernementale américaine Freedom House, véritable vigie de la liberté dans le monde, a mené, depuis 2004, un impressionnant travail de fourmi dans dix-huit pays de la région (voir classement général ci-dessous), à l’exception d’Israël, pour répondre à ces questions. Conclusion de l’enquête, rendue publique le 3 mars et parue également en arabe : les droits des femmes progressent indéniablement, mais à pas comptés. Seuls l’Irak, la Palestine et le Yémen, théâtres de conflits internes ou de la montée d’un certain extrémisme religieux, échappent à ce relatif cercle vertueux. Où les progrès les plus significatifs ont-ils été enregistrés ? En Algérie, au Koweït (les femmes y ont obtenu en 2005 droit de vote et éligibilité) et en Jordanie.
Les meilleurs élèves de ce palmarès des libertés se recrutent au Maghreb. Premier levier de l’émancipation relative, l’éducation. Allez expliquer à une diplômée de biologie, de médecine ou de droit que sa place est aux fourneaux… En tête, sans surprise, la Tunisie. Les femmes y jouissent d’un statut juridique sans équivalent dans le monde arabe, mis en place dans l’euphorie de l’après-indépendance et consolidé depuis. Viennent ensuite le Maroc et l’Algérie, à égalité parfaite – quel hasard ! – sur l’ensemble des indicateurs élaborés par Freedom House (voir p. 45). Pas de grandes surprises non plus en fin de classement puisque y figurent, outre l’Iran d’Ahmadinejad, le Yémen et l’Arabie saoudite, où voter, être élue ou conduire est impossible, voyager et être soignée soumis à l’approbation d’un homme et où l’inégalité entre les sexes est consacrée dans les textes de lois.
Réflexe pavlovien
L’immense intérêt du travail de Freedom House réside aussi dans le fait que l’ONG ne s’est pas cantonnée aux législations. Car une chose est la loi, une autre son application. Les avancées sur le papier sont bien réelles et relativement partagées par toute la région. Mais les lois n’ont pas toujours vocation à être homogènes. De nombreuses mesures de discrimination légale cohabitent avec des dispositions qui améliorent la condition des femmes. Ainsi la Syrie bloque-t-elle tout progrès sur les questions familiales en même temps qu’elle permet un meilleur accès des femmes à la vie publique. Au Koweït, on autorise le droit de vote, mais on instaure la ségrégation sexuelle dans les universités. Surtout, certaines professions censées faire appliquer les lois restant aux mains des hommes (police, justice), leur mise en œuvre demeure trop souvent à l’état de vœu pieux…
Las ! Si les progrès accomplis sont tangibles, et parfois importants dans certains domaines (éducation, participation à la vie économique et politique), ils ne suffisent pas à comprendre et à mesurer l’évolution réelle de l’accès effectif des femmes à leurs droits. Car un sinistre mécanisme s’enclenche quasi inexorablement à chaque fois que les femmes obtiennent de haute lutte tel droit ou telle liberté. C’est presque une loi physique, un réflexe pavlovien : chaque avancée se voit opposer une résistance accrue de la part des hommes. En clair, plus les femmes s’affranchissent, plus certains redoublent d’efforts pour leur faire regagner leurs pénates et les y confiner.
Le principal espoir pour les femmes arabes ? Que les hommes s’aperçoivent enfin, comme l’explique Karima Bounemra Ben Soltane, directrice du bureau Afrique du Nord de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA), qu’elles « demeurent une ressource largement inexploitée ». Ainsi, en période de crise économique par exemple, il n’est pas rare de voir un père animé d’une conception plutôt rétrograde de la femme laisser ses filles quitter le domicile familial pour travailler et rapporter de l’argent. L’utilité de leur émancipation est alors démontrée par leur apport économique, et les principes qui régissaient jusque-là le foyer s’évanouissent peu à peu…
Quand les hommes auront compris que les femmes sont leurs égales, qu’il est dans leur intérêt – et celui de leur nation – de les associer pleinement à la vie économique, sociale et politique, le monde arabe aura accompli un pas de géant vers le développement, la démocratie et la justice. Il cesserait ainsi de se tirer une balle dans le pied pour enfin marcher sur ses deux jambes.
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