Winnie Madikizela-Mandela, l’éternelle rebelle

La reine des townships, toujours aussi révoltée, a donné le premier coup de pioche à l’icône qu’est son ex-époux, Nelson Mandela.

Winnie Mandela, le 3 novembre 2009, à Pretoria. © AFP

Winnie Mandela, le 3 novembre 2009, à Pretoria. © AFP

Publié le 18 mars 2010 Lecture : 3 minutes.

Winnie Madikizela-Mandela est une femme révoltée. En permanence. À 73 ans, elle s’insurge encore, mais la cible de son courroux, cette fois, n’est pas n’importe qui. Dans un entretien avec l’écrivain V.S. Naipaul et son épouse, Nadira, c’est à l’homme le plus vénéré du pays, Nelson Mandela, son ex-époux, qu’elle s’en est prise. La conversation était apparemment privée et n’aurait pas dû se retrouver dans les colonnes du quotidien britannique London Evening Standard. Winnie dit avoir été piégée et dénonce une manipulation. Il n’empêche. Même si ses propos n’étaient pas destinés à être rendus publics, ils marquent une rupture, brisent un tabou. Jamais Nelson Mandela n’avait été attaqué avec autant de violence par l’un des siens. Plusieurs commentateurs, journalistes et hommes politiques ont soutenu Winnie après la publication de cet article et, à leur tour, ont commencé à égratigner le mythe.

« Regardez ce qu’ils ont fait de lui ! Le grand Mandela. Il n’a aucun contrôle sur ce qu’il dit ou ce qu’il fait. […] On le trimballe partout pour collecter de l’argent et il est satisfait. L’ANC l’a marginalisé, ils ne le gardent comme figure emblématique que pour la galerie », aurait ainsi confié Mama Mandela au couple Naipaul.

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Les attaques pleuvent. On imagine bien cette femme, encore si belle, avec son regard dur et sa voix ferme, lâcher, comme autant de petites bombes, ses vérités. « Mandela nous a laissé tomber. Il a accepté un marché de dupes. Du point de vue économique, nous sommes toujours exclus. L’économie est toujours aux mains des Blancs. Il y a bien quelques Noirs, en façade, pour donner le change, mais la plupart de ceux qui ont donné leur vie à la lutte sont morts pour rien. » Elle ne peut pas non plus lui pardonner, dit-elle, d’être allé avec « son geôlier », l’ancien président Frederik De Klerk, « main dans la main », recevoir le prix Nobel de la paix en 1993. De la même façon, il n’aurait jamais dû accepter « la mascarade » que fut, selon elle, la Commission Vérité et Réconciliation. « Quel bien peut faire la vérité ? En quoi cela peut-il soulager une famille de savoir comment et où ceux qu’ils aimaient ont été tués et enterrés ? » Et ce Desmond Tutu, qui a transformé tout ça en « cirque religieux ». Il a eu le culot de venir chez elle pour lui demander de s’expliquer… « Je lui ai dit quelques vérités. Je lui ai dit que lui et les autres crétins de son genre étaient assis ici uniquement grâce à notre lutte et grâce à moi. »

Séparée de son mari pendant vingt-sept ans, bataillant sans relâche pour que personne ne l’oublie en prison, mobilisant les jeunes, elle a organisé la lutte. Bannie, harcelée, humiliée, elle n’a jamais cessé le combat. Et pour vaincre, tous les moyens étaient bons. Même brûler vifs les « impipis », ces Noirs soupçonnés d’espionnage pour le compte de l’apartheid. Elle le répète aujourd’hui : elle ne regrette rien, et si c’était à refaire, elle le referait. Elle est tout sauf une femme de compromis. Les concessions faites par Nelson Mandela lors des négociations avec le pouvoir blanc la hérissent. Et pourtant. Pour sortir de la crise, qui aurait pu se terminer dans un bain de sang, il fallait qu’il n’y ait ni vainqueur ni vaincu, mais une nation réunie, dont les fils étaient prêts à travailler ensemble. Que Nelson Mandela ait commis des erreurs, c’est indéniable. Lui-même a admis qu’il s’était parfois trompé. Elle, jamais. Winnie Madikizela-Mandela est une diva. Avec ses chapeaux extravagants et ses gardes du corps « bodybuildés », ses grosses cylindrées aux vitres teintées, Mama Mandela est la reine des townships. Elle arrive en retard aux cérémonies et prétend toujours avoir droit à la table d’honneur – ce qui lui a d’ailleurs valu, en 2002, une humiliation publique, quand Thabo Mbeki l’a repoussée si violemment qu’elle en a perdu sa casquette. Et elle se permet, lors de la prestation de serment de Jacob Zuma, de s’asseoir sur la chaise réservée à la première épouse du chef de l’État.

Non, Mama Mandela n’est pas une « grande Winnie » adulée comme le « grand Mandela », juste une reine des townships, persuadée qu’elle n’a pas la reconnaissance qu’elle mérite. Alors Winnie a osé. Elle a transgressé l’ultime tabou et donné le premier coup de pioche à l’immense et imposante statue de l’icône. Et encore une fois, elle est entendue. Son cri de colère résonne dans les townships, où l’on attend depuis presque vingt ans que le miracle enfin se produise, que la majorité noire sorte de la misère. Elle n’aurait fait que dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas… Que la lutte n’est pas finie. Loin de là. 

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