Wade et la statue
Le chef de l’État sénégalais, Abdoulaye Wade, et son Monument de la renaissance africaine, haut de 50 mètres, sont, depuis quelques semaines, sous le feu nourri des médias occidentaux. Journaux et télévisions rivalisent de formules assassines, de titres chocs et de reportages au vitriol pour fustiger l’érection de la statue.
Après « Les colosses de Dakar » (Libération), « Wade, un artiste incompris » (L’Express), « Ivresse du pouvoir et folie des grandeurs » (France 2), « Les délires du président Abdoulaye Wade » (Canal+), c’était au tour, cette semaine, de l’hebdo britannique The Economist d’entrer dans la danse avec un article corrosif titré « Statuesque ou grotesque » ? Tous dépeignent Wade comme un vieillard gâteux, rongé par la vanité du pouvoir au point de bâtir un monument de 26 millions d’euros alors que ses compatriotes vivent pour la plupart en dessous du seuil de pauvreté.
S’il y a des raisons de critiquer le projet, celles-ci ne sont pas les bonnes. La vanité peut être source de progrès, tout comme la volonté d’un dirigeant de graver dans la pierre la trace de son passage aux affaires. Dénier aux Africains le droit à des symboles parce qu’ils sont pauvres procède d’une cécité historique. Le château de Versailles, dont la France est si fière, avec ses ors, dorures et lambris, ses 67 000 m² de superficie, ses 2 000 pièces, ses 92 hectares de jardin… a été bâti au XVIIe siècle par Louis XIV à une époque où une bonne partie de ses sujets était en proie à la famine.
Comme ce château qui abrite aujourd’hui les cérémonials les plus solennels du rituel républicain français, la basilique de Yamoussoukro n’aurait jamais existé si Félix Houphouët-Boigny avait plus écouté les sarcasmes que sa volonté d’imiter les bâtisseurs qui firent le rayonnement des empires.
L’Afrique a aussi le droit de voir les choses en grand. Comme François Mitterrand qui, en dépit de la fin des Trente Glorieuses et de l’explosion du chômage de masse dans son pays pendant les années 1980, a entrepris la construction du quartier de la Défense, symbole de luxe et de démesure, avec son arche, ses immeubles en verre, ses tours triomphantes… The Economist n’a pas besoin d’aller plus loin que les palais de la couronne britannique pour voir la même démesure dans une forme rarement égalée.
Si le Monument de la renaissance africaine peut donner lieu à de vraies critiques (financement par une transaction foncière douteuse, réclamation par Wade de 35 % de droits d’auteur sur les fruits de l’édifice, recours à des architectes et sculpteurs extérieurs au continent…), le principe de sa construction se défend. D’autant que la renaissance africaine est une revendication d’identité et de progrès portée par de grandes figures : Marcus Garvey, Malcolm X, Patrice Lumumba, Gamal Abdel Nasser… Dans l’intimité de son bureau, un jour d’avril 2004, devant la maquette de ce qui n’était pas encore devenu le Monument de la renaissance africaine, Abdoulaye Wade m’a expliqué le sens de son projet : « À l’instar de ces personnages qui émergent de la montagne et s’élancent vers le ciel, l’Afrique doit sortir de sa torpeur. Mais le simple symbole ne suffit pas. Ce monument est conçu comme un projet culturel et touristique rentable. » Après tout, il y a longtemps que la tour Eiffel, à Paris, et la statue de la Liberté, à New York, sont devenues des œuvres commercialisées. Qui s’en offusque ?
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