Voyage au bout de l’enfer
Réalisé de façon radicale, sans compromis, ce film raconte une histoire peu banale, un parcours extrême. Difficile d’imaginer un destin plus dur que celui de Precious. Un prénom qui évoque l’exact contraire de ce qui lui arrive : horriblement maltraitée par une mère cruelle et perverse, rejetée par l’école comme par toutes les institutions auxquelles elle a affaire, par conséquent quasi illettrée, déjà mère à 16 ans d’un enfant trisomique après avoir été violée et à nouveau enceinte d’un agresseur qui n’est autre que son père et qui, de surcroît, lui transmet le VIH/sida, sans véritables amies à qui se confier… l’adolescente noire obèse de Harlem que joue magistralement Gabourey Sidibe n’est assurément considérée comme précieuse par personne.
L’essentiel du film convie le spectateur à accompagner Precious dans cette vie qui ressemble à un calvaire, reléguant presque Zola, Dickens ou Toni Morrisson au rang d’auteurs de romans à l’eau de rose. Mais sans jamais se complaire plus que nécessaire dans cette ambiance pour le moins trash ni cultiver outre mesure le pathos, ce film suscite une empathie pour le personnage qui ne suppose pas une compassion excessive. Le parcours vers la rédemption de Precious, vers le retournement de « l’horreur de soi » en « estime de soi », grâce surtout à une enseignante dévouée d’une école alternative, amène à une sorte de happy end sans que cela n’affaiblisse le propos.
Precious possède ainsi les caractéristiques du film d’horreur tout en décrivant un univers réaliste. Même quand tout paraît perdu, le désespoir côtoie l’espoir, et pas seulement à travers les misérables fantasmes de l’héroïne, qui s’imagine volontiers en jolie blonde à la peau claire. Les personnages secondaires, tous interprétés de façon remarquable, y compris par l’inattendue Mariah Carey dans le rôle d’une assistante sociale, contribuent grandement, même quand ils sont antipathiques, à cette humanisation d’un monde a priori totalement désenchanté.
