La pharmacie, un secteur sous perfusion
L’industrie pharmaceutique est protégée par un texte dont la reconduction est à l’étude, ce qui ravive la guerre entre producteurs locaux et importateurs.
Depuis septembre dernier, producteurs et importateurs de médicaments génériques se regardent en chiens de faïence en République démocratique du Congo. Et pour cause. L’arrêté ministériel du 7 septembre 2006 qui interdisait l’importation de 21 médicaments génériques au profit de leur production locale est arrivé à échéance. Une commission mixte, mise en place au sein du ministère de la Santé, doit trancher sur la reconduction ou non du dispositif protectionniste. En attendant, un bras de fer oppose importateurs et industriels locaux.
Les enjeux sont de taille. D’une part, les 21 médicaments essentiels interdits d’importation depuis 2006 – des antibiotiques, des antipaludéens, des antiparasitaires, des analgésiques, des anti-inflammatoires, des antianémiques, des antiallergiques, des antipyrétiques et des vitamines – sont les plus consommés dans le pays. D’où la lutte acharnée entre les protagonistes pour dominer ce marché de 60 millions de consommateurs. D’autre part, le texte, destiné à éviter « la totale dépendance de la RD Congo vis-à-vis de l’extérieur en matière de médicaments », a globalement joué son rôle protecteur. La RDC est le seul pays d’Afrique centrale à disposer d’une industrie pharmaceutique, le Cameroun venant tout juste de se lancer dans la production de génériques, rappelle Amir Surani, le président du Comité professionnel des industries pharmaceutiques, membre de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). « Nous alimentons le marché local et exportons même en Angola et au Congo-Brazzaville », assure-t-il.
Cette industrie compte une quinzaine d’entreprises, en majorité d’origine étrangère, notamment asiatique, qui fabriquent principalement des génériques pour 80 % du marché. La plupart des sites de production sont installés à Kinshasa. Promed est le plus ancien laboratoire pharmaceutique du pays. Il a été créé en 1984 par un Belge installé en RD Congo depuis 1976, qui fut le leader des importateurs de médicaments dans les années 1970 et 1980. C’est du rachat d’une usine de Warner Lambert, dont il était client, qu’est née l’entreprise spécialisée dans le haut de gamme (sirops, comprimés et suppositoires) et la fabrication de flacons médicaux. Parmi les principaux producteurs figurent aussi Phatkin, l’un des rares congolais, avec Pharmagros, à intervenir dans le secteur. L’entreprise, qui compte une unité à Kinshasa et une à Lubumbashi, fabrique 150 produits, dont les 21 encore protégés. Le secteur compte également Zenufa, New Cesamex, Biopharco.
Inde, chine, Corée du Sud
La plupart de ces entreprises importent les matières premières nécessaires à la fabrication des génériques depuis l’Europe (d’Allemagne notamment), mais surtout d’Inde, de Chine et de Corée du Sud. Toutes n’ont pas le même niveau de performance. De petites structures créées par des Indo-Pakistanais ou des Chinois opèrent sans grand souci de qualité. Du coup, seule une poignée de sociétés, dont Phatkin et Zenufa, est habilitée à répondre, aux côtés de grandes firmes internationales, aux appels d’offres lancés par des bailleurs de fonds pour approvisionner les centrales d’achat et, partant, les hôpitaux.
Eux aussi concentrés à Kinshasa, les importateurs et les grossistes les plus connus, membres de la FEC, sont l’indien Shalina, très implanté en Afrique, Prince Pharma, Getraco, Sofaco, Euraf, Enaph, Unique Pharma, Maison verte et Wagenia. La plupart sont d’origine asiatique et se fournissent en Inde et en Chine. Quelques-uns, comme Pharmans, sont liés à des firmes européennes. La majorité des importateurs sont aussi grossistes, alors que cette activité doit revenir aux Congolais. Mais la loi n’est pas respectée. « Il y a beaucoup d’étrangers dans la distribution », confirme le gérant de Patriote, l’un des plus gros dépôts pharmaceutiques du pays. De plus, certains producteurs sont aussi distributeurs, ce qui est illégal. On s’arrange en plaçant un membre de la famille à la tête du dépôt. Ces unités sont basées pour la plupart à Kinshasa, dans la rue Bacongo, à la Gombe.
Qualité douteuse
Comme l’industrie pharmaceutique, la filière importation échappe au contrôle de qualité. D’où la prolifération de médicaments importés de qualité douteuse. « L’Inde, premier producteur et exportateur de médicaments génériques au monde, est de plus en plus strict en matière de contrôle de qualité. Ce n’est pas le cas de la Chine. Il peut toutefois arriver que des produits interdits de vente en Inde soient exportés directement vers nos marchés, peu contrôlés, ou que des médicaments fabriqués en Chine portent des codes indiens », assure un opérateur. Ces médicaments bon marché importés d’Asie et ceux étiquetés ONG, qui bénéficient d’exonérations douanières mais approvisionnent néanmoins le marché privé, concurrencent fortement l’industrie locale. Les producteurs fustigent tout particulièrement le dumping pratiqué en Inde. Et dénoncent la corruption chez les importateurs, qui s’arrangent pour ne pas payer de droits de douane, ou qui bafouent l’arrêté de 2006.
Face à cette concurrence déloyale, les producteurs se sont mis d’accord pour fixer, dans certains cas, un prix inférieur à celui des médicaments importés et à leurs coûts de production. « On casse les prix sur l’Amoxine [un anti-infectieux, NDLR] par exemple et on se rattrape sur d’autres produits », explique un industriel.
Qu’adviendra-t-il si l’arrêté est supprimé ? Pour les producteurs, qui souhaitent son maintien voire son extension à 35 produits, ce sera la catastrophe. « Nous fermerons nos usines pour devenir importateurs. Nous devrons licencier du personnel, qui aura du mal à se recaser, notamment les pharmaciens. Ce qui est aberrant dans un pays durement frappé par le chômage. Pourtant, nous avons beaucoup investi ces dernières années pour nous mettre aux normes, et nous ne produisons qu’à 30 % de nos capacités. Nous avons donc encore de la marge », insiste un opérateur.
De leur côté, les importateurs prétendent que la production locale est loin de répondre aux besoins du marché. Ce qu’aucune statistique ne confirme. Ils réclament aussi une baisse de la taxation frappant leurs produits et « encaissée par l’État sur le dos du malade ». Quel que soit le verdict de la commission mixte, la filière pharmaceutique congolaise aura besoin d’un bon toilettage.
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