Les plages du Sénégal n’ont plus la cote
Malgré une tendance à la hausse sur le continent, le secteur connaît des jours difficiles dans le pays de la Téranga. La crise financière n’explique pas tout. Depuis dix ans, les (mêmes) annonces se succèdent sans réelle traduction sur le terrain.
L’objectif ne sera pas atteint. Après l’accession au pouvoir d’Abdoulaye Wade en 2000, le Sénégal s’était lancé le défi (trop ambitieux ?) d’accueillir 1,5 million de touristes en 2010. À la suite d’un diagnostic du secteur, qui a pris deux ans, Ousmane Masseck Ndiaye, le ministre du Tourisme d’alors, devait mettre en musique cette stratégie à partir de 2003. « Cela suppose un ensemble de mesures hardies allant de l’assainissement du secteur au défrichage de nouvelles zones, sans oublier la mise en place d’infrastructures », lançait-il sous forme de feuille de route à Saint-Louis. Au programme : porter la capacité d’accueil de 19 200 lits en 2003 à 50 000 en 2010 et miser sur l’écotourisme, le culturel, la chasse, la pêche sportive et le golf. « Il nous faut bâtir un plan de communication pour que l’on sache à l’extérieur que le Sénégal, ce n’est pas uniquement le balnéaire… Avec la diversification des produits, nous sommes sûrs de développer un tourisme haut de gamme et un tourisme d’affaires », justifiait Ousmane Masseck Ndiaye.
Résultat ? L’échéance pour atteindre les 1,5 million de touristes et offrir une capacité d’accueil de 50 000 lits a été repoussée à 2015 par l’actuel ministre du Tourisme, Thierno Lô. Et pour cause. Les moyens et la volonté d’aboutir n’ont pas été à la hauteur de l’ambition affichée. Depuis 2007, le nombre de visiteurs, qui séjournent pour les deux tiers entre novembre et mai, ne cesse de diminuer. Les statistiques aéroportuaires (60 % des entrées globales) – qui sont les seules données officielles disponibles – révèlent que, de 491 552 en 2008, le nombre d’entrées de touristes a chuté à 366 244 en 2009. Soit le même niveau qu’à la fin des années 1990. Une désaffection qui s’est forcément fait ressentir dans les recettes. En 2006 et 2007, les revenus du tourisme étaient de 306 et 309 milliards de F CFA, ce qui représentait une contribution au PIB de plus de 6 %. Pour 2008 et 2009, aucun chiffre n’est disponible, mais ils tourneraient autour de 280 milliards, selon les professionnels.
Et 2010 ne s’annonce guère mieux. Surtout qu’aux mêmes maux les autorités proposent les mêmes remèdes. « Le Sénégal a longtemps misé sur le balnéaire, mais nous voulons vendre aujourd’hui ce qui suscite la curiosité : notre culture, nos pratiques religieuses et nos sites naturels », explique Thierno Lô. Un air de déjà-vu.
Chantiers inachevés
Or les raisons de cette dégringolade sont nombreuses. Avec 45 000 lits, la capacité d’accueil reste très en deçà de l’objectif initial de 2003. Et le coup de fouet que devaient impulser à l’activité touristique les grands chantiers de l’Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci) de 2008 n’a guère atteint son objectif. En 2006, au moment du lancement des travaux, Abdoulaye Wade avait insisté sur la nécessité de doter Dakar d’hôtels de luxe. Six projets, soutenus par des privés (sénégalais, espagnols et koweïtiens), avaient été lancés pour un investissement total annoncé de 240 milliards de F CFA. Mais à ce jour, seuls deux ont abouti. Le Radisson Blu et le Terrou Bi ont ouvert en 2009, les quatre autres ne sont pas achevés. Les deux Baobabs, appartenant à des privés espagnols (Baobab Investissement), confrontés à des difficultés financières, seraient mis en vente. Les deux autres, Kharafi et Onomo, sont en chantier. « L’ouverture à Dakar d’hôtels très haut de gamme permettra à coup sûr d’attirer une clientèle exigeante qui, jusque-là, était acheminée vers l’Afrique du Nord, l’océan Indien et l’Asie », affirme Pierre Mbow, le directeur du Terrou Bi.
À condition que tous les établissements voient le jour ! À la décharge du Sénégal, la crise financière mondiale a contribué à saper les fondations de ces projets dans le segment du luxe. Mais elle n’explique pas tous les déboires du tourisme sénégalais. Alors que le pays a accusé une baisse de la fréquentation en 2009, l’Afrique est la seule région du monde à avoir connu une croissance du marché (+ 5 %) l’an passé, selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT). Les meilleures performances ont été enregistrées en Afrique du Nord, notamment au Maroc, avec une hausse de 10 % de l’activité. La Tunisie, le Cap-Vert, l’île Maurice ou la Gambie sont autant de destinations concurrentes en vogue offrant un service de qualité.
En outre, les Français, qui représentaient jusqu’en 2008 environ la moitié des visiteurs, délaissent le Sénégal. Le fait d’avoir fermé le bureau touristique de Paris, officiellement pour cause de charges élevées, n’y est sans doute pas étranger ! Autre coup dur porté à l’activité : l’arrêt en avril 2008 d’Air Sénégal International (ASI). La compagnie aérienne nationale, qui doit être relancée dans les mois à venir, desservait Cap Skirring, la deuxième station balnéaire du pays, ainsi que Ziguinchor, en Casamance, la région sud du Sénégal, en proie à une lutte indépendantiste mais toujours la troisième destination du pays. « Après l’arrêt d’Air Sénégal International, les hôteliers ont connu des jours très difficiles. J’ai personnellement perdu 65 % de ma clientèle », révèle Pascal Ehemba, propriétaire de deux hôtels à Ziguinchor. Aujourd’hui, bien que timide, la reprise est effective en Casamance, grâce à la desserte de la région par Air Mauritanie et Sénégal Air, une compagnie à capitaux privés locaux.
Tarifs élevés
À ces difficultés s’ajoute la cherté de la destination. Au départ de la France, un voyage au pays de la Téranga (« hospitalité », en wolof), comprenant transport et hébergement, est rarement facturé à moins de 800 euros, même en période de promotion, alors qu’il est possible de se rendre en Tunisie, par exemple, à partir de… 330 euros. En ces temps de crise, le tarif d’accès aux plages sénégalaises peut paraître bien élevé. Les taxes aéroportuaires sont grandement responsables du coût élevé du transport aérien en direction du Sénégal, tandis que l’hébergement reste abordable. À la TVA de 18 % s’ajoute par exemple la taxe passagers prélevée sur chaque billet et passée de 22 euros en 2005 à 65 euros en 2009. En 2005, l’État a aussi instauré la Redevance pour le développement des infrastructures aéroportuaires (Rdia, 60 euros) afin de financer une partie des travaux de l’aéroport international Blaise-Diagne de Diass, pour un montant de 320 milliards de F CFA (500 millions d’euros). La Rdia rapporterait 35 milliards de F CFA par an.
Mais tout n’est pas perdu pour le Sénégal. Situé à mi-chemin entre Dakar et Saly Portudal (Petite Côte), la plus grande station balnéaire du pays, le nouvel aéroport, dont l’ouverture est prévue d’ici à 2012, devrait donner un nouvel élan au tourisme. Le pays conserve en outre la confiance des tour-opérateurs, qui acheminent 80 % des visiteurs. « Des tour-opérateurs français, belges et américains nous ont fait des offres intéressantes. Notre taux d’occupation moyen est de 71 %, malgré un tarif de 121 000 F CFA en moyenne la nuitée, parmi les plus élevés de la place », confirme Pierre Mbow, le directeur du Terrou Bi. Et d’ajouter : « Dakar dispose aujourd’hui de sites présentant des standards aussi élevés que ceux de l’île Maurice. » Plusieurs hôtels ont ainsi été rénovés (Méridien Président, Pullman Teranga) ou le seront prochainement (Indépendance). Des investissements qui sont également le fait de professionnels étrangers. Fram a déboursé 3 milliards de F CFA pour la rénovation de l’hôtel Palm Beach à Saly Portudal, qui est de nouveau opérationnel. Club Med a pour sa part injecté 6 millions d’euros sur son site de Cap Skirring, endommagé en 2009 par un incendie et rouvert en février dernier.
De son côté, le gouvernement annonce de nouvelles mesures. La baisse de la TVA de 18 % à 10 % pour l’ensemble des activités touristiques doit être entérinée prochainement à l’occasion du vote de la loi de finances rectificative. Cette mesure allégera les charges des professionnels. Le budget de l’Agence nationale de promotion touristique (ANPT) pourrait passer de 800 millions à plus de 2 milliards de F CFA. Enfin, la mise en valeur de nouveaux sites touristiques soutenus par l’État, les bailleurs de fonds et des investisseurs privés fait aussi partie des priorités. La Société d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques (Sapco), en relation avec l’ANPT, a déjà réalisé des études sur la Petite Côte, dans le Sine-Saloum et dans la zone Nord pour un investissement hôtelier global de 653 milliards de F CFA, avec 13 250 chambres supplémentaires à la clé. Reste à trouver des investisseurs privés, nationaux ou étrangers. « Sur la Petite Côte, le projet de Mbodiène, d’un montant de 195 milliards, est sur la bonne voie. Il est soutenu par le groupe espagnol Adonis, avec lequel nous avons signé une convention de financement en janvier 2010 », indique Ndiouga Sakho, le directeur général de la Sapco, dont la survie financière dépend essentiellement des ressources tirées de la location ou de la cession de sites touristiques. Sans doute le prix à payer pour que le tourisme sénégalais ne fasse plus de vagues.
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