Peut-on sauver l’âme d’un « terroriste » ?

Barack Obama s’était engagé à fermer le centre de détention de Guantánamo, en janvier. Promesse non tenue. Mais plusieurs centaines de prisonniers ont déjà été libérés. Leur retour à la vie normale est généralement problématique.

Mourad Benchellali milite avec Amnesty pour la fermeture de Guantanamo en 2007 à Paris. © Sipa

Mourad Benchellali milite avec Amnesty pour la fermeture de Guantanamo en 2007 à Paris. © Sipa

Publié le 18 mars 2010 Lecture : 5 minutes.

En prenant ses fonctions de président des États-Unis, le 20 janvier 2009, Barack Obama avait annoncé la fermeture dans un délai d’un an du centre de détention de Guantánamo, ouvert huit ans auparavant par George W. Bush. Depuis 2001, 779 personnes soupçonnées de terrorisme y ont été incarcérées, dans l’attente d’un procès. En janvier 2009, le nombre des détenus était encore de 242. Il est aujourd’hui inférieur à 200 – dont une bonne centaine de Yéménites –, selon la base de données des détenus de Guantánamo consultable sur le site du Washington Post.

Pour expliquer ce retard, Robert Gates, le secrétaire américain à la Défense, invoque « la logistique propre à la fermeture de Guantánamo », qui serait « plus compliquée que prévu ». Le problème n’est toutefois pas uniquement administratif. L’opinion ne voit en effet pas d’un très bon œil le transfert de détenus sur le sol américain. Aux États-Unis, cet état d’esprit porte un nom : le « syndrome Nimby » (« Not In My Backyard », « pas chez moi »). Il s’est une nouvelle fois manifesté le 15 décembre 2009, après l’acquisition par le gouvernement d’une prison dans l’Illinois (Nord) afin d’y accueillir des détenus de Guantánamo.

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Reste une solution : expédier ces indésirables à l’étranger. Mais attention, pas n’importe où. L’administration s’inquiète d’un éventuel retour des prisonniers dans des pays aussi instables que le Yémen ou l’Afghanistan, et préfère leur trouver des pays d’accueil, européens de préférence.

Accusé d’avoir participé aux attentats de 1998 contre l’ambassade américaine au Kenya, Ahmed Khalfan Ghailani est le seul des quarante-quatre personnes libérées entre 2009 et 2010 à avoir été redirigé vers un tribunal, celui de l’État de New York en l’occurrence. Les autres sont, dans leur majorité, rentrés chez eux. Certains ont alors été libérés, et d’autres réincarcérés.

Contraint de mentir

Mourad Benchellali, l’un des sept détenus français de Guantánamo, a par exemple dû repasser un an en prison après son retour sur le sol français, en 2004. Il a finalement été relaxé et a trouvé un emploi de carreleur dans la banlieue de Lyon. Mais, de son propre aveu, le retour à la vie normale a été très difficile : « J’ai été obligé de mentir pour trouver un travail et de prétendre que j’étais parti à l’étranger. Ici, les gens ne savent pas que je reviens de Guantánamo. »

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Lorsque le retour chez eux a été jugé dangereux par le département d’État, d’autres – plus d’une centaine – ont été accueillis par des pays tiers. En Europe, les Pays-Bas, l’Autriche ou la Pologne ont refusé de leur accorder le statut de demandeur d’asile, à la différence du Royaume-Uni, de la France, du Portugal ou de l’Italie. Le Quai d’Orsay a ainsi promis d’étudier les demandes d’accueil au « cas par cas ». Saber Lahmar, un Algérien soupçonné d’avoir préparé un attentat contre l’ambassade américaine à Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine, et emprisonné à Guantánamo pendant sept ans, a par exemple été admis à séjourner sur le territoire français, le 1er décembre.

Dans ce pays, les anciens détenus sont d’abord pris en charge par un centre hospitalier (généralement pendant quarante-huit heures), avant d’être soit libérés, soit réincarcérés. Lahmar a par exemple été élargi dès son arrivée, mais sa réinsertion n’en a pas été facilitée pour autant. Le Quai d’Orsay assure « tout mettre en œuvre pour que les anciens détenus accueillis en France bénéficient d’une phase de décompression et de réadaptation à une vie normale ». Ce qui, naturellement, passe par une réinsertion professionnelle et sociale. Reste que, comme le rappelle Benchellali, « il est très difficile de se reconstruire une vie après Guantánamo ».

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À chaque pays sa politique de réintégration. L’Arabie saoudite, qui accueille 20 % des anciens détenus, a ouvert en 2006 un centre de « réhabilitation » afin de réformer l’âme de ses « enfants égarés ». Les prisonniers sont accueillis en grande pompe sur le tarmac de l’aéroport de Riyad, passent une semaine de vacances dans un palace de la capitale, puis sont transférés dans ce centre situé aux portes du désert, où ils restent douze mois. Checkpoints, hauts murs et fils de fer barbelés permettent de filtrer entrées et sorties. Mais à l’intérieur, le centre ressemble à une colonie de vacances, avec piscine, salles de musculation et de billard, jeux vidéo, etc.

Sauf que cette « colonie » est dirigée par le ministère de l’Intérieur et que les « vacanciers » sont astreints à suivre quotidiennement les cours de théologie du cheikh Ahmad Hamad Jelan, du ministère des Affaires islamiques, qui, aux antipodes de l’idéologie déviante d’Al-Qaïda, s’efforce de leur inculquer les principes de l’islam « légitime » et de l’allégeance au roi. Bien entendu, sous une apparence théologique, le discours est éminemment politique.

Après l’élargissement des ex-inculpés, ce même ministère de l’Intérieur leur offre mariage, logement, voiture, et même le versement d’une pension jusqu’à ce qu’ils aient retrouvé un travail. Mais il les surveille de près ! « Notre personnel leur rend régulièrement visite, chez eux, indique le général Mansour, le porte-parole du ministère. Des fonctionnaires femmes sont envoyées auprès de leur épouse et nous restons en contact permanent avec leurs parents. Et tout cela sans qu’ils le sachent. » Financée à coup de pétrodollars, cette politique porte ses fruits. Selon le gouvernement, seuls 9 % des cent vingt ex-détenus d’origine saoudienne auraient renoué avec le terrorisme.

« Repartir pour le djihad »

La situation au Yémen est beaucoup plus délicate. À Guantánamo, 40 % des détenus sont aujourd’hui originaires de ce pays, mais l’administration américaine montre peu d’empressement à les relâcher. Pour deux raisons. La première est que le régime yéménite est fragile, menacé qu’il est, au Nord par les rebelles houthistes (une branche du chiisme), au Sud par un mouvement indépendantiste. La seconde est qu’il ne manifeste aucune volonté politique de régler le problème et n’envisage pas de créer des centres de réhabilitation sur le modèle saoudien. Certes, comme le rappelle Hammoud al-Hittar, le ministre des Affaires religieuses, un programme de dialogue religieux a été lancé en 2002, mais, selon Washington, il n’offre pas les garanties suffisantes pour que les Yéménites « libérables » puissent effectivement être élargis. Interrogé par Hugo Plagnard, le réalisateur du documentaire Après Guantánamo, Nasser al-Bahri, l’ancien chef des gardes du corps d’Oussama Ben Laden, avoue qu’il n’a été libéré qu’après avoir juré de ne pas commettre d’actes terroristes sur le sol yéménite. Pourtant, il a bien l’intention de « repartir pour le djihad ». Mais à l’étranger !

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