Burkina, des Voltaïques aux Hommes intègres

La révolution sankariste n’aura duré que quatre ans. Pourtant, personne n’a autant marqué l’histoire du pays que ce jeune capitaine qui a pris le pouvoir par les armes, le 4 août 1983. Comme souvent, la révolution a mangé ses enfants et laissé des souvenirs douloureux. Elle a cependant légué à ce pays quelque chose d’unique : son nom, chargé de tant de symboles. Le Burkinabè n’est pas un Voltaïque, c’est un homme fier, qui ne baisse pas la tête. Cinquante ans après son indépendance et quatre coups d’État plus tard, le pays est apaisé, même s’il attend encore de vivre sa première alternance réellement démocratique.

L’ancienne place du marché de Ouagadougou, entièrement reconstruite après un incendie. © D.Bougouma pour J.A

L’ancienne place du marché de Ouagadougou, entièrement reconstruite après un incendie. © D.Bougouma pour J.A

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Publié le 15 mars 2010 Lecture : 5 minutes.

Burkina, des Voltaïques aux Hommes intègres
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Burkina, des Voltaïques aux Hommes intègres

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L’historien et homme politique Joseph Ki-Zerbo, parlant de son pays, disait : « Il a des ressources naturelles médiocres mais une population très laborieuse et une position géographique de premier plan. » Il avait vu juste : aujourd’hui encore, la principale richesse de cet État d’Afrique de l’Ouest reste le coton. Mais quand on sait à quelles difficultés l’or blanc et ses producteurs sont confrontés sur le marché international, on comprend mieux pourquoi le Burkina est classé parmi les plus démunis. Voilà un petit pays enclavé, prisonnier du Sahel, au sol sec, mais qui, depuis les années 1980, essaye, avec un certain succès, de jouer dans la cour des grands. Petit Poucet, le Burkina a vu pendant ces cinquante dernières années son histoire s’imbriquer dans celle de son puissant voisin, la Côte d’Ivoire. Comme à l’époque coloniale, leurs destins semblent intimement liés, en dépit de crises épisodiques.

Ici bien plus qu’ailleurs, des forces sociales, des partis dignes de ce nom ont pu exister et peser sur la vie politique au moment où cela était inimaginable dans la plupart des pays du continent soumis à la loi du monopartisme. C’est là, longtemps avant que ne sonnent les trompettes de la démocratie à La Baule, en 1990, qu’un chef d’État en exercice, militaire de surcroît, le colonel Sangoulé Lamizana, est mis en ballottage par un opposant lors d’une présidentielle, avant de s’imposer au second tour.

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Mais le Burkina a connu aussi des turbulences, qui se sont terminées par des coups d’État quatre au total – dont le dernier, qui a coûté la vie à Thomas Sankara, a été le seul sanglant. Il a acquis ensuite une réputation d’agent déstabilisateur de toute la région. Pourtant, grâce à un changement de cap opportun, le président Compaoré s’est mué en faiseur de paix, Ouagadougou devenant une étape obligée pour tous les frères ennemis en voie de réconciliation. C’est également une terre où un crime comme l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998 mobilise des foules scandalisées par l’impunité et assoiffées de justice. Ce meurtre sonne, paradoxalement, comme le début du réveil démocratique. Pendant cinquante ans, le jeu aura été celui-là : un pays bouillonnant, à l’influence bien plus importante que son poids économique le laissait supposer.

Prisonnier du Sahel

C’est le 5 août 1960 qu’il accède à la souveraineté internationale sous le nom de Haute-Volta. À la tête du nouvel État, Maurice Yaméogo, ancien séminariste passé maître dans l’art de la volte-face. Alors qu’on le dit sans réelle base politique, il réussit à damer le pion à ses adversaires. Dirigeant un pays sans ressources, Yaméogo doit en plus tenter d’exister au milieu de poids lourds qui le cernent : le Ghanéen Kwame Nkrumah ; l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny ; le Malien Modibo Keita. Menant une diplomatie erratique, alternant alliances et mésalliances, autoritaire, le président voltaïque tente d’exister en se plaçant, pour ainsi dire, sous la coupe de celui qui lui sert de mentor : Houphouët-Boigny.

" Nous devons accepter de vivre avec nos moyens. Autrement, nous allons chuter dans la mendicité.", Maurice Yaméogo, premier président de la République de Haute-Volta. (© Collection J.A)

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Les Voltaïques se sont longtemps souvenus de ce jour de 1964, lorsque, voulant prouver son attachement à son homologue ivoirien, que Sékou Touré vient de vilipender, Yaméogo passe une heure sur les ondes de la radio nationale pour dire, entre autres amabilités, ceci au Guinéen : « Qui est donc ce Sékou, alias Touré, qui désire tant qu’on parle de lui ? Un homme orgueilleux, menteur, jaloux, envieux, cruel, hypocrite, ingrat, intellectuellement malhonnête… Tu n’es qu’un bâtard parmi les bâtards qui peuplent le monde. Voilà ce que tu es, Sékou, un bâtard des bâtards. » Mais les coups d’éclat ne font pas le bonheur d’une population dont les conditions de vie empirent. De plus, les frasques du président défraient trop souvent la chronique : l’embastillement de sa femme, son divorce, les fastes de son remariage avec une Miss Côte d’Ivoire… Et puis, il dissout les syndicats. Fin décembre 1965, ceux-ci se réveillent, s’organisent, et un bras de fer commence. Le 3 janvier 1966, la foule descend dans la rue pour manifester contre la vie chère. En milieu d’après-midi, Yaméogo démissionne et transmet le pouvoir au plus âgé des militaires dans le grade le plus élevé, le lieutenant-colonel Aboubacar Sangoulé Lamizana, son propre chef d’état-major.

  "Le seul indice que ces classements ne prennent pas en compte, c’est le bonheur des gens de vivre dans leur pays.", Tertius Zongo, Premier ministre burkinabè. (© portail officiel du gouvernement du Burkina)

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Ce que l’on retiendra de Lamizana c’est sa volonté de gouverner avec les civils, même si cela n’a pas suffi pour éviter les différentes crises politiques qui l’ont amené à changer plus d’une fois la Constitution. Ses compatriotes se souviendront aussi de cette présidentielle de 1978, modèle de transparence et de régularité, qu’il ne remporte qu’au second tour, avec 56,27 % des voix. Avec la détérioration du climat social, il sera renversé en novembre 1980 par le colonel Saye Zerbo. Deux ans plus tard, les institutions sont sclérosées et le commandant Jean-Baptiste Ouédraogo dépose le colonel. Son Premier ministre est le capitaine Thomas Sankara. Mais les divergences entre les deux hommes et l’arrestation de ce dernier provoquent une nouvelle crise qui se termine par le putsch du 4 août 1983. Sankara est président. Au nombre de ses bras droits : celui qui sera son tombeur, Blaise Compaoré.

Triomphe de l’idéologie

Comme on le voit, les règlements de comptes se passent entre des militaires qui, depuis 1966, se sont rendus maîtres de l’espace politique. Ils s’estiment à même de résoudre les problèmes économiques et sociaux auxquels le pays est confronté. On assiste surtout à des combats générationnels. La prise de pouvoir de Sankara et la création du Conseil national de la révolution marquent une nouvelle étape : celle du triomphe de l’idéologie. Thomas Sankara, exubérant, expansif, est un idéologue. Il a une ambition : bousculer les traditions et les pratiques pour que le pays, rebaptisé Burkina Faso (le pays des Hommes intègres), relève la tête. Le moteur du changement : les humbles, les masses paysannes, qui doivent donner l’exemple aux élites aliénées et corrompues. Fer de lance de l’action : les Comités de défense de la révolution (CDR). L’ère Sankara, c’est la remise en question de l’aide et de la coopération. Avec la France, les relations sont conflictuelles, le bouillant capitaine boude un dîner officiel lors d’un sommet en France, critique la politique internationale de François Mitterrand, de passage à Ouagadougou. « Cette période nous a ouvert les yeux sur la politique. Avant lui, nos dirigeants mendiaient, ils pensaient que rien n’était possible sans l’argent des autres. La révolution nous a appris à ne pas tendre la main, à financer notre développement avec nos maigres moyens. Seul regret : la dialectique ne tolérait pas la contradiction », analyse Joachim Vokouma, journaliste. La révolution mourra avec Sankara, le 15 octobre 1987. Tué par les siens, il est remplacé par son « frère » Blaise Compaoré.

Si, en cinquante ans, les Burkinabè n’ont pas connu d’alternance démocratique, ils ont retrouvé leur dignité. La terre est toujours aussi aride, mais ils ont tout fait pour rendre leur pays attrayant. Leurs dirigeants, jadis infréquentables, ont gagné en respectabilité. Tout compte fait, le peuple est fier d’être sur la terre de ses ancêtres, même en vivant de peu.

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