Cobayes indigènes
Véritable travail journalistique, Au nom de la bombe revient sur les essais nucléaires que la France a menés dès 1960 en Algérie. Au prix de milliers de victimes.
Au nom de la bombe est le fruit d’une longue enquête sur les tirs nucléaires français menés au Sud-Sahara algérien de 1960 à 1966 puis en Polynésie jusqu’en 1996. Après s’être penché pour le neuvième art sur le scandale de l’amiante et les délocalisations d’entreprises, l’ancien journaliste Albert Drandov, le scénariste, poursuit ici sa quête des vérités dérangeantes. Et étaye son album de témoignages, de lettres d’appelés, ainsi que de rapports et documents secrets joints en annexe. Franckie Alarcon s’est chargé des dessins. Jean Vautrin, ancien appelé en Algérie au sein du service cinématographique des armées – il a filmé Gerboise bleue, la première bombe, tirée au Sahara –, a rédigé la préface.
Au total, 150 000 personnes auraient été exposées aux tirs nucléaires en Algérie et en Polynésie française. Sacrifiées sur l’autel du secret défense. Car ce que montre Au nom de la bombe, c’est que l’état-major français savait. Il savait quels étaient les risques de contamination encourus. Et n’a rien fait pour protéger civils et militaires. « Mensonges d’État », dénonce Drandov. Comme le tir souterrain d’In Ekker, le 1er mai 1962. Effectué en présence de Pierre Messmer, alors ministre des Armées, l’essai, baptisé Béryl, vire au loupé : la montagne censée contenir la radioactivité s’éventre. Panique et débandade des officiers : « On a oublié une centaine de travailleurs autochtones près de la montagne. »
Front radioactif
Ou encore ces manœuvres terrestres à Reggane en avril 1961, qui ont envoyé des troufions au front radioactif. Objectif : « Étudier les effets physiologiques et psychologiques produits sur l’homme par l’arme atomique. » Sauf qu’on les connaissait déjà, ces effets. La preuve avec la copie en annexe d’extraits de l’ouvrage Effets des armes nucléaires publié aux États-Unis dès 1950.
L’album se donne à lire comme l’on regarderait un documentaire filmé. La pellicule déroule neuf témoignages d’anonymes, tous exposés aux tirs. Comme sur une stèle qui rendrait enfin hommage à ces victimes que l’État français voudrait voir sombrer dans l’oubli sont énumérés en annexe les noms d’une partie de ces cobayes de la République, tombés au champ du déshonneur de la guerre du nucléaire. Et encore… Manquent à l’appel tant d’autres, les « populations laborieuses des oasis », dites « PLO », parmi lesquelles beaucoup, comme en Polynésie, étaient employés comme journaliers, et les populations locales. Tous cobayes indigènes, véritables « damnés de la terre » au nom de la bombe.
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