Youssou N’dour : « Wade et moi »
À l’occasion de la sortie d’un album 100 % reggae, l’artiste sénégalais revient dans un entretien exclusif accordé à J.A. sur ses relations plutôt tendues avec le pouvoir.
Youssou Ndour a 50 ans. Et il n’a jamais été aussi en forme. Avec ses lunettes fumées, sa chemise noire cintrée à fines rayures blanches, son jean et ses baskets, il a l’air d’un jeune premier. Tandis que son orchestre, le Super Étoile, s’essaie au reggae sur la scène du Thiossane, le night-club qu’il a ouvert à Dakar, « You », comme l’appellent ses fans, respire le bonheur. Il répète les morceaux de son nouvel album, Dakar-Kingston, enregistré à la Jamaïque, en juillet dernier. Un opus dédié à Bob Marley.
L’enfant de la Médina, plusieurs fois disque d’or, sans cesse sollicité par des organismes internationaux pour soutenir la lutte contre le paludisme ou le sida…, patron de Futurs Médias, premier groupe de presse du pays, prévient qu’il affichera désormais ses préférences politiques. De là à penser qu’il puisse se présenter à l’élection présidentielle, il n’y a qu’un petit pas à franchir. Alors que ses relations avec le pouvoir sont plutôt tendues, et qu’il attend depuis plusieurs mois les autorisations nécessaires au lancement de sa chaîne de télévision, Youssou Ndour dévoile ses projets et ses ambitions.
Jeune Afrique : Fait inédit, votre nouvel album, Dakar-Kingston, est 100 % reggae. Pourquoi ?
Youssou Ndour : J’ai toujours adoré le reggae et Bob Marley. Un ami sénégalais fan de reggae, Gaston Madeira, a voulu tester ma voix sur cette musique. Avec le Festival mondial des arts nègres [Fesman, prévu fin 2010, NDLR], c’était l’occasion de célébrer de grands artistes comme Marley. Gaston a contacté Tyrone Downie, des Wailers. Il est venu à Dakar, puis, en juillet, nous sommes allés à Kingston.
Comment s’est passé ce voyage à la Jamaïque ?
C’était magique. On a travaillé dans le studio Tuff Gong de Bob Marley. J’ai rencontré sa famille et ses musiciens. J’ai réalisé que les Jamaïcains et nous sommes un. J’apprécie le combat de Marley pour la liberté et la justice ainsi que sa simplicité et sa capacité à toucher tant de monde. Après Dakar-Kingston, j’enregistrerai un autre album reggae, en hommage au Sud-Africain Lucky Dube [assassiné en 2007, NDLR].
Dakar-Kingston de Youssou Ndour (Emarcy/Universal Music), sortie le 8 mars
Après la sortie de Dakar-Kingston, le film I Bring What I Love sera sur les écrans français le 31 mars…
En 2000, j’ai rencontré Chai Vasarhelyi, qui a aimé mon album Égypte et a décidé de réaliser un film sur moi, qui parle aussi de Serigne Bamba, le fondateur du mouridisme et des confréries islamiques du Sénégal. Je suis croyant et mouride. J’aime les valeurs incarnées par Bamba. La doctrine du travail m’est très chère. Dans ce film, j’ai montré que l’islam n’appartient pas qu’aux Arabes, mais aussi à l’Afrique noire. Au moment où le monde entier parle de l’islam, le Sénégal, avec ses différentes confréries, reste un exemple d’harmonie et peut, par conséquent, participer au dialogue sur les religions.
L’histoire des peuples noirs est d’actualité avec le Fesman et le monument de la Renaissance africaine au cœur d’une polémique au Sénégal. Que pensez-vous de ce débat ?
Le Sénégal, comme l’Afrique de manière générale, a produit beaucoup de grands artistes. Je trouve dommage qu’ils n’aient pas été plus associés à ce projet. Si cela avait été le cas, ils auraient pu apporter une réponse à la polémique.
Lors de la présentation de la nouvelle Constitution en 2001 ou lorsque le président Wade a reçu son prix pour les droits de l’homme à New York en 2004, vous étiez à ses côtés…
J’ai toujours respecté la République et les institutions. Même sous Diouf. Ceux qui voient Youssou Ndour [sic] avec une personne représentant une institution et qui en déduisent que je fais de la politique se trompent. C’est vrai qu’entre Wade et moi il y a eu une certaine complicité. Il disait que j’étais son fils.
Vous parlez au passé…
Si on dit qu’il y a une rupture entre Wade et moi, c’est à cause de mon projet de télévision. Mon groupe de presse, Futurs Médias, avait reçu l’accord et la bénédiction du président de la République. L’Agence de régulation des télécommunications et des postes nous a attribué un canal. On a investi 1,2 milliard de F CFA et à la veille du démarrage, alors que la procédure veut que l’on assiste, au ministère de la Communication, à la lecture du cahier des charges, ça ne s’est pas fait car les gens [du ministère] n’étaient pas prêts. Ça fait six mois ! Je n’ose pas croire qu’on empêche un artiste comme moi de réaliser un tel projet. Youssou Ndour a son travail de musicien. Ce n’est pas lui qu’on bloque, mais cent autres personnes qui attendent un emploi.
L’État soupçonne une main étrangère d’être derrière ce projet, celle de Vincent Bolloré.
Vincent Bolloré a produit une déclaration sur l’honneur selon laquelle il n’est ni de près ni de loin impliqué. Youssou Ndour artiste est le principal bailleur de fonds de ses activités. Si on accuse mon groupe de presse de trop attaquer l’État, je réponds que c’est faux. Futurs Médias est numéro un au Sénégal. Les Sénégalais disent qu’il est sérieux et crédible. D’ailleurs, je tiens aussi à remercier mes compatriotes, qui sont plus d’un million à avoir signé une pétition pour l’ouverture de TFM [Télé Futurs Médias, NDLR].
On dit que les tensions avec le pouvoir sont apparues au lendemain de la publication en 2006, dans votre journal L’Observateur, d’un article accusant Karim Wade de transfert illégal d’argent…
Je suis propriétaire d’un groupe de presse, je ne suis pas là pour contrôler le travail des journalistes en qui j’ai confiance.
Les ambitions présidentielles supposées de Karim font souvent la une. Pour vous, est-ce un vrai ou un faux débat ?
Pas de commentaire.
Lors de la colère des catholiques après des déclarations controversées du président, vous avez déclaré que « Wade n’est pas mauvais, mais il est mal entouré »…
J’ai le sentiment que le président entend en mono et pas en stéréo. Au début de son mandat, il était accessible. Il a écarté ceux qui lui disaient la vérité.
Qui par exemple ?
Je ne suis pas concerné.
Manifestations à répétition, scandales financiers… Le Sénégal a-t-il régressé ?
Il y a eu des problèmes. Mais aussi une amélioration, notamment au niveau des infrastructures. Mais les infrastructures ne se mangent pas. L’autosuffisance alimentaire est une priorité. C’est pourquoi la Grande offensive pour la nourriture et l’abondance est intéressante. Quant aux scandales, ils ne doivent pas se répéter. Il faut relancer les différents organes de contrôle.
Les hostilités reprennent entre l’armée et le Mouvement des forces démocratiques de Casamance…
Il n’y a pas assez de contacts et d’échanges entre la Casamance et le reste du pays. On pourrait favoriser le dialogue culturel. C’est la diversité qui fait le Sénégal.
Envisagez-vous d’entrer en politique ?
C’est le peuple qui décidera. Je ne dis plus « jamais je ne ferai de politique ». Désormais, je ne serai plus neutre. J’ai une vision et une petite expérience qui peuvent me servir, et servir aux autres. Je ferai mon choix en fonction de la qualité des programmes et selon mes convictions.
Quel homme politique a des idées qui vous séduisent ?
Ce n’est pas le moment d’en parler. Nous ne sommes pas à la veille d’une élection. Il faut sonner la fin de la récréation et se remettre au travail. Le moment venu, je ferai mon choix.
Et Youssou candidat à la présidentielle ?
Je n’ai pas d’ambition personnelle. Mais je vois l’affection que les gens ont pour moi. Ils soutiennent mes initiatives. Ça me touche.
Vous dirigez le premier groupe de presse du Sénégal. Comment êtes-vous devenu homme d’affaires ?
[Rires]. Ça n’a pas été aussi facile que ça en a l’air. Grâce à ma musique, je gagne de l’argent que j’investis dans des projets. Je ne gagne pas d’argent avec mes autres activités. J’en perds même souvent, comme avec TFM, qui tarde à démarrer.
Pourquoi continuer ?
J’emploie près de 150 personnes. C’est le plus important.
On vous dit très fortuné.
On dit que je suis l’homme le plus riche du Sénégal, mais c’est faux. J’ai acquis des biens. Grâce à Dieu, l’avenir de mes enfants est assuré.
Il y a deux ans, vous avez aussi lancé une société de microcrédit, Birima, qui, dit-on, ne se porte pas très bien…
Elle marche bien. Il y a deux centres et plus d’un millier de clients. Je vais aussi créer une banque avec un partenaire sud-africain du fonds d’investissements Africap. C’est tout ce que je peux dire pour l’instant.
En 2007, Time Magazine vous avait inclus dans la liste des 100 personnalités les plus influentes de la planète. Était-ce justifié ?
C’est difficile de parler de soi-même. Mais je prends ça comme un encouragement.
Comment s’annonce 2010 pour vous ?
Je prépare des shows grandioses. Le 23 mars, je serai à l’Olympia et le 19 juin à Bercy pour le Grand Bal.
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