Quand les gabonismes donnent des couleurs au français

Au contact des langues du Gabon, celle de Molière a pris une couleur locale et imagée partagée par tous ceux qui vivent ou s’attachent au pays.

 © LYBEK 2009

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Publié le 12 mars 2010 Lecture : 3 minutes.

Gabon : changement d’ère
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Gabon : changement d’ère

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« A » comme « A mana » : « Expression d’origine fang qui signifie : c’est fini, c’est terminé. C’est la dernière minute du match. A mana, les Panthères sont éliminées. » Ainsi commence la lecture du dictionnaire du « français carrefour » parlé au Gabon, celui qui s’exprime hors des immeubles ministériels de la capitale, loin des cercles policés de la politique ou de la diplomatie. C’est aussi la langue que manie avec férocité Makaya, éditorialiste sans visage de L’Union, le premier quotidien du pays derrière lequel se cachait parfois Omar Bongo Ondimba.

D’un bout à l’autre des 154 pages d’On est ensemble, 852 mots pour comprendre le français du Gabon, Lucien Ditougou, enseignant-chercheur à l’université Omar-Bongo (UOB) de Libreville, recense les gabonismes les plus incontournables. Très aéré et facile à lire, le dictionnaire est aussi illustré par de savoureux dessins du caricaturiste gabonais Lybek, à l’humour particulièrement mordant.

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Longo : personne grande et mince ; Quitte : va-t-en (Lybek 2009)

« On est ensemble » est une expression amicale pour s’encourager, se dire son attachement et que l’on ne se quitte pas des yeux ; également utilisée au Cameroun voisin, bilingue, la phrase prend une construction et un sens somme toute très similaires à ceux de l’expression anglaise « I am with you ». L’ouvrage montre bien qu’au Gabon l’usage du français, langue officielle, a évolué sous l’influence des cinquante langues bantoues locales, mais aussi de celles d’autres pays du continent, proches (comme les anglicismes ou la syntaxe parfois toute britannique utilisés au Cameroun) ou plus lointains (comme les expressions argotiques du nouchi ivoirien).

Le gabonisme en trait d’union

Les gabonismes les plus courants sont des détournements de sens d’expressions et de mots français. Ainsi, le « mange-mille », jeu de mots construit sur le nom de l’oiseau « mange-mil », est un policier ou un gendarme corrompu à coup de billets de 1 000 F CFA. Lorsque les agents s’énervent, ils peuvent vous « bastiller », c’est-à-dire vous châtier et vous rouer de coups. D’autres détournements de sens sont plus déconcertants, comme le « temps pétain », qui désigne la période de la Seconde Guerre mondiale et, par extension, dans son acception la plus fréquente, le temps d’avant l’indépendance, « il y a longtemps ».

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Tuée-tuée : femme volage, de petite vertu (Lybek 2009)

Le dictionnaire fourmille de mots et d’expressions imagées, souvent crues et peu valorisantes, utilisées pour désigner la gent féminine. Les femmes en général sont des « go », à l’ivoirienne. Elles peuvent être des « douilles », comme on dirait familièrement « canons » en France, des « à-côté » quand on parle de maîtresses, des « DVD » (« dos et ventre dehors ») pour celles dont les vêtements laissent entrevoir ces parties du corps, des « tuées-tuées » pour les plus libertines (susceptibles d’être infectées par le VIH) ou des « katangaises » pour les filles de mauvaises mœurs.

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D’origine étrangère, d’autres mots ont intégré le langage courant. Ainsi, le « kongossa » (d’origine camerounaise) n’est autre que le ragot, qui peut faire courir le bruit qu’après avoir beaucoup « kané » (bu) certains ont fini par « s’andjailler ». Ce dernier verbe, qui signifie, c’est selon, se battre ou avoir des rapports sexuels, est arrivé au Gabon dans les bagages des immigrants ivoiriens, mais aussi grâce aux téléfilms « aofiens » (originaires d’Afrique de l’Ouest). La plupart sont des néologismes utilisés par les plus jeunes et en dehors du champ lexical du « sarakolé » (l’épicier malien ou sénégalais) du coin.

Sarakolé : épicier d’origine ouest-africaine (Lybek 2009)

Cependant, la plupart des gabonismes trouvent leur origine dans les langues locales. Tiré du punu (sud-ouest), le « bangando », littéralement « caïman », est devenu synonyme de malfrat, de délinquant. Finalement, le français parlé à « Fwala » (France) y gagne des couleurs.

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Caricatures extraites de On est ensembles, 852 mots pour comprendre le français du Gabon, par Lucien Ditougou, Editions Raponda-Walker, 2009, 154 pages

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