L’effet Ali Bongo

Quatre mois après son investiture, le nouveau chef de l’État a pris possession du Palais du bord de mer. S’il est encore trop tôt pour dresser un bilan des premières réformes, leur impact sur le quotidien des Gabonais et le changement de méthode se sont déjà fait sentir.

Le futur président lorsqu’il battait campagne, début août 2009. © Désirey Minkoh/Afrikimages

Le futur président lorsqu’il battait campagne, début août 2009. © Désirey Minkoh/Afrikimages

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Publié le 12 mars 2010 Lecture : 7 minutes.

Gabon : changement d’ère
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Gabon : changement d’ère

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Omar Bongo Ondimba (OBO) décédé, les Gabonais apprennent à vivre avec son successeur, Ali (ABO). Six mois après son élection, le 30 août 2009, et quatre après son investiture, le 16 octobre, la vox populi, circonspecte, n’est pas encore parvenue à cerner ni à étiqueter le nouveau locataire du Palais du bord de mer. Tout juste observe-t-on qu’il n’essaie pas de copier son père. Le peut-il seulement ?

Le quinquagénaire cosmopolite né au Congo, éduqué au Gabon, scolarisé en France et formé aux États-Unis n’a pas les mêmes références que le vieux sage, natif de Lewaï, devenu par le plus grand des hasards fonctionnaire de la Coloniale, puis ministre et président de la République. En plus de sa langue maternelle, le téké, OBO parlait le français, le lingala (Congo et RD Congo) et le sango (Centrafrique). Quant à son fils, il alterne entre le français et l’anglais, tout en améliorant son arabe.

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Même dans le style, le nouveau président tranche avec son prédécesseur. Pour célébrer les cent premiers jours de son quinquennat, le 23 janvier, Omar aurait prononcé un de ces discours qui ont fait sa marque de fabrique, au langage décontracté, parfois familièrement proche de celui qu’on entend dans les matitis (quartiers populaires). « Baby Zeus », comme on le surnommait du vivant de son père, puise, lui, dans un lexique plus policé.

Toutefois, la même semaine, en annulant au dernier moment et sans autre explication que des « raisons impératives et indépendantes de [sa] volonté » une rencontre prévue le 22 janvier avec des journalistes français de TV5 Monde, de RFI et du quotidien Le Monde qui avaient déjà effectué le voyage pour Libreville, il a montré une certaine méfiance à l’égard de cet exercice, prenant ainsi le risque d’entamer son capital médiatique. « Le président ne voulait pas parler pour ne rien dire, justifie un conseiller. Nous n’en sommes qu’au début des réformes. Il est trop tôt pour esquisser un bilan. » En lieu et place du chef, c’est le porte-parole de la présidence, Guy Bertrand Mapangou, qui, pour l’heure, est chargé d’expliquer à la presse les actions de l’exécutif. Les amateurs de petites phrases présidentielles repasseront.

À la fureur de la coterie tribale issue du Haut-Ogooué, Ali a laissé une grande marge de manœuvre au Premier ministre, le Fang de l’Estuaire Paul Biyoghe Mba, qui est loin de faire de la figuration. Les nominations au gouvernement – composé le 17 octobre – ainsi qu’aux postes stratégiques de l’administration, des entreprises et organismes publics portent en effet l’estampille du Premier ministre. Il a notamment nommé l’un de ses proches, Julien Nkoghé Békalé, à la tête du stratégique ministère des Mines, du Pétrole et des Hydrocarbures.

Des privilèges abolis

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Du temps de Bongo père, les dignitaires limogés se seraient précipités au Palais pour implorer la clémence et la générosité du « patriarche ». Bon prince, enjoué et bienveillant, il leur aurait trouvé un strapontin en guise de consolation. Les temps changent. À l’heure du « Gabon émergent » d’Ali, nul n’ose plus entreprendre une telle démarche. Rudoyée, la caste des ex-familiers du pouvoir fait le dos rond. Finis les longs conciliabules sous l’arbre à palabres autour du chef de village. Chassée la cohorte de thuriféraires grassement payés au titre de « hauts représentants personnels » et autres « conseillers spéciaux ». Nettoyées aussi les directions générales de l’administration et des grandes entreprises qui s’étaient érigées en baronnies à la périphérie de la cour.

Libreville, le 24 février, pendant la visite de Nicolas Sarkozy (APA)

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Dès le premier Conseil des ministres, le 19 octobre, le premier gouvernement ABO donnait le ton en annonçant la suppression de certaines hautes fonctions de l’État et le lancement d’audits des effectifs de la fonction publique (engagés depuis le 23 novembre) dans le but de maîtriser la masse salariale de l’État. La semaine suivante, il décidait le plafonnement des rémunérations et avantages pécuniaires versés aux dirigeants des sociétés d’État et des établissements publics.

Les experts : Libreville

En quelques mois, le nouveau maître du Gabon a essayé de reconfigurer le système bâti par son père pour l’adapter à sa convenance. Le pays est gouverné à la manière d’une entreprise capitaliste, sans états d’âme, soumise à l’obligation de résultats et à une stricte division du travail.

Aux commandes, une technostructure composée de conseillers et amis fidèles veille au grain. Ils ont, pour la plupart, un domaine de spécialité pointu, à l’instar du juriste Guy Rossatanga-Rignault, spécialiste de la médiation et de l’arbitrage. Ce dernier travaille notamment sur la résolution du litige portant sur l’île de Mbanié, qui oppose depuis 2003 le Gabon à la Guinée équatoriale et doit être soumis prochainement à l’examen de la Cour internationale de justice. Parmi les conseillers spéciaux, on compte également l’économiste Jean-Pierre Ndong Owono, l’océanologue-géologiste Louis Gabriel Pambo – qui, jusqu’à sa nomination auprès du nouveau président, était secrétaire général du Parti démocratique gabonais (PDG) chargé de l’environnement –, le spécialiste des hydrocarbures Jean Koumbi Guiyedi et le diplomate Jean-Yves Teale (frère de l’opposant Mehdi Teale). Côté communication et nouvelles technologies, le président s’est choisi pour « experts » Michael Moussa Amadou, ancien député du PDG et maestro du marketing politique, qui fut particulièrement actif dans l’animation de la campagne électorale d’Ali, et l’astrophysicien malien Cheick Modibo Diarra, qui, après avoir conduit des missions d’exploration pour l’agence spatiale américaine (Nasa), est depuis 2006 président de Microsoft Afrique. Il vient apporter son expertise au chef de l’État gabonais dans l’un des volets de son projet de société, « le Gabon des services », où l’e-gouvernement et l’e-administration doivent permettre au pays de négocier au mieux le virage du numérique.

Anciens et modernes

Pour boucler ce premier cercle, quelques ministres et collaborateurs tels que François Engongah Owono, le secrétaire général de la présidence, sont d’anciens camarades du courant des rénovateurs du PDG. Sans oublier Maixent Accrombessi, son chef de cabinet, incontournable homme de confiance d’ABO depuis des années. Gardiens de ce qu’il reste du « bongoïsme », deux caciques du PDG ont survécu au rafraîchissement des cadres : les conseillers spéciaux Michel Essonghe et Jean-Pierre Lemboumba, respectivement ancien fidèle compagnon et sherpa du père – qui, tous deux, étaient auprès de ce dernier à Barcelone, où il s’est éteint. L’un incarne la sagesse du village et l’autre l’entregent et les réseaux.

Le coup de tonnerre qui a entraîné, en novembre, la démission du directeur de cabinet Jean-Pierre Oyiba, cité dans le scandale des détournements perpétrés au bureau extérieur de Paris de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), n’a pas ébranlé la nouvelle nomenclature. Après plusieurs semaines de flottement, Oyiba, l’ami de vingt ans, a été nommé en janvier administrateur général du Compte de refinancement de l’habitat (CRH), la fonction de directeur de cabinet du président échéant à l’un des conseillers spéciaux d’ABO, l’économiste Patrice Otha – qui fut pendant plusieurs années le directeur de cabinet d’OBO.

Action… réactions

Sitôt installée à la présidence et dans les ministères, la nouvelle équipe n’a pas perdu de temps. Elle a pris des mesures jugées courageuses même par les opposants. Cependant, le changement de cap opéré par le nouveau pouvoir inquiète à plusieurs égards par sa méthode, que certains qualifient de brutale. « Ils ont confondu vitesse et précipitation », critique un ancien ministre.

Ainsi, pour des dizaines de milliers d’élèves des écoles, collèges et lycées dépourvus de cantine scolaire, l’entrée en vigueur de la journée continue le 1er janvier n’est pas un cadeau. Pas plus que pour les restaurateurs, qui ont vu la clientèle déserter leurs établissements et qui réclament des mesures d’accompagnement.

De leur côté, les forestiers font la grimace depuis l’interdiction d’exporter le bois en grumes décidée le 5 novembre et entrée en vigueur dès le 1er janvier pour obliger au développement de la transformation locale des billes de bois. Même si les modalités d’application viennent d’être assouplies (voir pp. 80-81), d’amont en aval, les entreprises de la filière et des activités connexes (transports, équipement), qui n’ont pas eu le temps de s’y préparer, envisagent des licenciements.

De même, le budget 2010, adopté le 5 février, à hauteur de 2 096 milliards de F CFA (3,2 milliards d’euros), contre 1 541,6 milliards précédemment – soit une hausse de 36 % –, suscite les railleries de l’opposition. Il est qualifié d’« irréaliste » parce qu’il repose sur une prévision de croissance de 6,5 %, contredisant celle du Fonds monétaire international (FMI), fixée à 2,6 %.

L’année 2009 a été difficile. Si les résultats de l’exercice ne sont pas encore consolidés, la chute accusée l’an dernier en matière de recettes pétrolières avoisinerait les 58 %, en raison de la baisse des cours. Idem concernant le bois, deuxième secteur du pays, dont les exportations ont diminué de 24 % en 2009, et le manganèse. Aussi, compte tenu de la timide remontée des cours des matières premières, de la reprise programmée de l’économie au niveau mondial et des réformes engagées par le nouveau gouvernement pour relancer l’ensemble des secteurs non pétroliers (voir pp. 76-77), les prévisions de croissance élaborées par le ministère du Budget ne sont peut-être pas si éloignées de la réalité que cela.

Bref, dans l’incertitude, en attendant les résultats des nouvelles mesures et ceux des dispositifs d’accompagnement promis, les sujets de mécontentement et d’inquiétude ne manquent pas. Et l’ambiance sur le plan politique, économique et social est à un entre-deux indéfinissable… où tout le monde se demande quel goût auront, dans quelques mois, les premiers fruits de l’effet Ali.

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