Italie : Berlusconi l’illusionniste

Croissance en berne, PME en faillite, dérive xénophobe, scandales à répétition… En dépit de toutes les catastrophes, le président du Conseil reste très populaire. Il est vrai que la gauche est incapable de s’entendre sur quoi que ce soit.

Meeting pour les sinistrés de L’Aquila, le 29 janvier. © Sipa

Meeting pour les sinistrés de L’Aquila, le 29 janvier. © Sipa

Publié le 3 mars 2010 Lecture : 5 minutes.

Depuis son arrivée dans l’arène politique, en 1993, Silvio Berlusconi a amplement démontré qu’il avait le cuir épais. Malgré ses gaffes à répétition (et plus ou moins volontaires), ses innombrables casseroles judiciaires et les scandales qui émaillent sa vie privée – sans parler d’une croissance désespérément atone et de la récession qui menace les petites et moyennes entreprises du nord-est du pays –, il reste très populaire. Selon un sondage publié fin janvier, sa cote de confiance avoisine les 48 %. Du coup, à quelques semaines des élections régionales – un test politique important –, le président du Conseil italien voit l’avenir en rose, en dépit des efforts presque désespérés de ses adversaires démocrates ou centristes.

Depuis son retour en avril 2008 au palais Chigi, siège du gouvernement, où, depuis quinze ans, la gauche n’a guère fait que passer en coup de vent, Berlusconi s’occupe de tout. L’an dernier, à Naples, on l’a vu empoigner – symboliquement ! – un balai pour déblayer les ordures qui s’accumulaient dans les rues à la suite d’un bras de fer avec la mafia, qui en contrôlait l’enlèvement. Puis, après le tremblement de terre de L’Aquila, coiffer un casque de pompier pour se faire photographier avec les secouristes. L’opposition crie à la manipulation ? Sans doute, mais ça marche !

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La vérité est que les Italiens se sont habitués au style Berlusconi. « Ils le soutiennent pour deux raisons, explique le sénateur Paolo Guzzanti. D’abord, parce qu’ils ne se choquent pas facilement et que ses frasques ont tendance à les faire rigoler. Ensuite, parce que la plupart des journaux et des chaînes de télé sont muselés et défendent avant tout leurs intérêts économiques. » Regrettant la fâcheuse tendance de Berlusconi à confondre consensus populaire et monarchie, Guzzanti, longtemps membre du cercle de ses intimes, a fini par claquer la porte avec fracas, il y a deux ans.

Système féodal

Ferdinando Adornato est sur la même longueur d’onde. Ancien communiste rallié, une dizaine d’années durant, à la révolution libérale promise et incarnée, au début, par il Cavaliere, il a rejoint l’opposition centriste catholique. « Le leadership de Berlusconi ressemble au système féodal, déplore-t-il. Après avoir plaidé pour l’indispensable modernisation du pays, réussi à fédérer plusieurs forces politiques et créé une sorte d’équilibre, il a détruit l’identité de la droite, expulsé sa composante catholique et propulsé la Ligue du Nord en tête du peloton majoritaire. »

La destruction de l’identité de la droite ? C’est précisément ce que Gianfranco Fini, numéro deux de la coalition de centre-droit au pouvoir et président du Parlement, reproche à son « patron ». Depuis plusieurs mois, il ne manque pas une occasion de jouer les trouble-fête. Il a d’abord dénoncé le fonctionnement du Peuple de la Liberté (PDL), le parti taillé sur mesure pour permettre à Berlusconi de ratisser large. En décembre 2009, il n’a pas hésité à saluer la décision de la Cour constitutionnelle d’invalider la loi sur l’immunité pénale concoctée par Angelino Alfano, le ministre de la Justice, afin de bloquer les deux procès en cours contre Berlusconi, accusé de corruption par le tribunal de Milan. Aujourd’hui, l’ancien dauphin s’en prend à la politique de la Ligue du Nord, l’encombrant allié xénophobe et populiste qui multiplie les opérations anti-immigrés. Enthousiasmée par la reconversion de l’ancien admirateur de Benito Mussolini, l’opposition envisage de soutenir sa candidature dans l’hypothèse où il Cavaliere quitterait la scène avant la fin de la législature, en 2013.

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Echec du « Professore »

Le rêve de la gauche, c’est de chasser Berlusconi et de l’exiler à Hammamet, comme Bettino Craxi, son mentor, après le déclenchement du scandale « Mains propres » (qui, en 1993, décima la classe politique et industrielle). Mais l’affaire se présente plutôt mal. Tous les leaders de l’opposition qui s’y sont risqués depuis quinze ans s’y sont cassé les dents. Par deux fois, la gauche s’est rassemblée autour de Romano Prodi et, par deux fois, il Professore, comme l’ont surnommé les Italiens, a échoué.

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« Le véritable problème de l’opposition, c’est l’opposition », analyse Silvio Sircana, sénateur du Parti démocrate et ancien porte-parole du gouvernement Prodi. La gauche est incapable de s’entendre sur quoi que ce soit et, depuis des années, étale ses dissensions au grand jour. Par crainte de mettre les mains dans le cambouis, elle a laissé la Ligue du Nord chasser tranquillement sur ses terres. Et puis il y a ces discussions féroces en période électorale qui, forcément, sapent le moral des troupes.

Alors, que faire ? « D’abord, arrêter de copier les méthodes commerciales de Berlusconi, car l’électeur préférera toujours l’original », estime Achille Occhetto, le dernier secrétaire du Parti communiste italien avant la dissolution, en 1991. « Nous rapprocher des gens, ce que nous ne savons plus faire, et parler à la tête des Italiens plutôt qu’à leur ventre », renchérit le député démocrate Sandro Gozzi.

Double message

C’est ce que promet de faire Pier Luigi Bersani, le nouveau patron des démocrates. Au lendemain de son élection, en octobre 2009, cet homme qui représente la dernière génération de cadres formés dans le sérail du PCI a foncé dans une usine du Nord pour fêter sa victoire avec les ouvriers. Le message était double et s’adressait à la fois à la Ligue du Nord, pour l’avertir que la fête était finie, et à l’ensemble des Italiens, pour leur prouver que les démocrates étaient résolus à reprendre langue avec eux.

Hélas ! le parti est vite retombé dans ses travers et s’est montré incapable de rompre avec son image de « cadavre ambulant », pour reprendre la formule de Renato Brunetta, le ministre de la Fonction publique. Pour commencer, les investitures pour les régionales de la mi-mars ont donné lieu à de pénibles chamailleries, tandis que les choix de Bersani, notamment en matière d’alliances, faisaient l’objet de virulentes critiques – et pas toujours en coulisses. Ce sont surtout les relations avec l’Italie des Valeurs, le parti fondé par Antonio Di Pietro, l’ancien juge-vedette du scandale « Mains propres », qui posent problème. Cette formation est créditée par les sondages de 10 % des intentions de vote. Son chef milite, dit-il, pour le rétablissement « d’un État de droit » et s’est spécialisé dans les attaques frontales contre la classe politique, toutes tendances confondues. Les modérés du Parti démocrate jugent négativement l’action de Di Pietro. En raison de ses accents populistes, ils l’accusent même d’être le pendant « de gauche » de la Ligue du Nord. Du coup, c’est toute la ligne politique de Bersani qui se trouve remise en cause. D’autant que d’autres militants accusent le secrétaire général de ne pas assez consulter les différents courants du parti.

À cela s’ajoute le ralliement aux centristes de plusieurs députés comme Francesco Rutelli. « Pier Luigi Bersani est trop à gauche et, surtout, trop anticlérical. Il risque d’éloigner les catholiques démocrates », se justifie l’ancien maire de Rome. Le constat est partagé par l’ancienne sénatrice Aureliana Alberici, mais pour d’autres raisons : « Bersani est un homme de parti qui sent le moisi, dit-elle aimablement. Il n’a pas la carrure d’un rassembleur. »

Bref, dans un contexte politique aussi compliqué, avec une gauche déchirée et une droite incapable de lui trouver un remplaçant, Silvio Berlusconi a encore de beaux jours devant lui.

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