Elections sous haute tension en Irak

Si toutes les listes candidates aux législatives du 7 mars affichent un transconfessionnalisme de bon aloi, les lignes de fracture communautaires demeurent. Et les risques d’embrasement aussi.

Affiches de campagne à Bassora, le 18 février © SIPA

Affiches de campagne à Bassora, le 18 février © SIPA

Publié le 5 mars 2010 Lecture : 5 minutes.

C’est dans un climat tendu que les Irakiens se déplaceront aux urnes, le 7 mars, pour élire leurs députés. Au-delà de la sécurité, thème majeur des législatives de 2005, c’est l’avenir de l’Irak comme nation qui est cette fois en jeu.

Ils sont 6 172 candidats, répartis dans 19 circonscriptions, à briguer l’un des 325 sièges de l’Assemblée nationale. Validée en novembre 2009 par l’Assemblée sortante après de longues tractations, la loi électorale prévoit un scrutin proportionnel direct et un système « ouvert » permettant de voter pour un candidat ou pour une liste et réserve par ailleurs 25 % des sièges aux femmes. Quinze millions d’électeurs sont appelés aux urnes, y compris les réfugiés en âge de voter qui ont quitté l’Irak après l’invasion de 2003. Officiellement 190 000, on estime qu’ils sont en réalité plus de 1 million.

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Les Irakiens vont-ils cette fois rompre avec le vote communautaire ? Pour l’anthropologue Hosham Dawod, chercheur au CNRS (France), « le champ politique irakien se recentre depuis des mois autour de courants ayant une coloration nationale ». Les 3 listes principales – sur 80 – sont officiellement non communautaires et mettent en avant la diversité d’origine de leurs candidats. Leur émergence en 2009 marque la désintégration de l’union sacrée chiite qui avait prévalu durant les premières années post-Saddam Hussein.

Forte de sa victoire aux élections provinciales de janvier 2009, la Coalition pour l’État de droit, autour du parti Dawa du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, part légèrement favorite. Composée des anciens alliés chiites de Maliki, mais aussi de sunnites, elle défend l’« irakité » et un État fédéral fort. Deuxième coalition, celle du Bloc irakien, conduite par l’ancien Premier ministre Iyad Allaoui et qui devrait rencontrer un certain succès auprès des sunnites, lesquels avaient massivement boycotté les législatives de 2005. Écarté du scrutin, le leader sunnite Saleh al-Mutlaq, à la tête du Front du dialogue (9 députés) et qui était numéro deux sur la liste du Bloc irakien, a cependant appelé au boycott, mais sans être suivi. Il est finalement revenu sur sa décision le 26 février dernier.

Enfin, l’Alliance nationale irakienne rassemble le Conseil supérieur islamique d’Irak (CSII) et les partisans du leader radical chiite Moqtada al-Sadr, réunis par leur hostilité commune à Maliki.

L’inconnue kurde

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Mais pour Barah Mikaïl, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), le transconfessionnalisme de nombreuses listes pourrait surtout être un « choix de circonstance ». Car ce qui est en jeu désormais, ce n’est plus la fédéralisation de l’Irak, dont le principe est acquis, mais ses modalités. « Ces larges coalitions sont favorables à un découpage ethno-confessionnel du territoire, explique Mikaïl, tandis que les tenants d’un Irak centralisé et nationaliste sont au final peu nombreux. »

Prenant en compte le retour de ceux qui avaient fui la répression et l’arabisation sous Saddam Hussein, la loi électorale a revu à la hausse le nombre de sièges en jeu dans les circonscriptions kurdes. Traditionnellement unis, les représentants des Kurdes – environ 20 % de la population – se présentent cette fois en rangs dispersés. Des dissidents de l’UPK ont en effet créé la liste Goran (« Changement ») et fait campagne contre la corruption et l’hégémonie des partis historiques kurdes, l’UPK et le PDK, qui avaient raflé ensemble 90 % des voix de la région en 2005. Aux élections du Parlement kurde en juillet, Goran a remporté un quart des sièges, se plaçant derrière l’alliance UPK-PDK. Après avoir introduit une réelle opposition parlementaire au Kurdistan sans remettre en question l’autonomie et les avantages économiques de la région, Goran pourrait bouleverser la donne au plan national.

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Menée par la Commission Responsabilité et Justice (CRJ), la campagne de débaasification n’a pas manqué de raviver les tensions entre groupes confessionnels. Chargée d’écarter les candidats prétendument proches du parti Baas – banni par la Constitution de 2005 –, la CRJ a exclu initialement 511 candidats. Sur les 177 qui ont fait appel, 28 ont été réintégrés. Mais le manque de transparence de la CRJ incite certains à penser qu’il s’agit de marginaliser les sunnites, minoritaires dans le pays, mais détenteurs de tous les postes clés sous Saddam Hussein. À Bassora, le gouverneur a même menacé de bloquer les exportations de pétrole si des sympathisants baasistes étaient autorisés à se présenter. Visiblement embarrassés par le zèle de cette commission, qui a succédé à celle qu’ils avaient eux-mêmes mise en place, les États-Unis ont été accusés d’ingérence pour avoir demandé à la cour d’appel, par la voix du vice-président Joe Biden et de l’ambassadeur Christopher Hill, de réintégrer les candidats exclus. Pour Faisal al-Istrabadi, ancien ambassadeur irakien à l’ONU, la commission a délibérément assimilé les candidats nationalistes – sunnites mais aussi chiites laïques – aux baasistes en vue de les discréditer. Les échanges d’accusations classiques ont repris de plus belle : les sunnites seraient nostalgiques du Baas de Saddam Hussein, voire sympathisants d’Al-Qaïda, tandis que les chiites abuseraient de leur nouvelle position et rouleraient pour l’Iran. De nombreux observateurs redoutent même une guerre civile, l’éviction de nombreux candidats sunnites offrant des arguments aux extrémistes religieux.

De fait, la campagne électorale, ouverte le 12 février, se déroule dans un climat tendu. Dans la région kurde de Suleimaniyeh, les réunions politiques sont interdites entre 21 heures et 6 heures du matin. Partout, des affiches sont arrachées, et des manifestants descendent dans la rue. Après de réels progrès sécuritaires en 2009, les attentats ont repris. Une candidate du Bloc irakien a été tuée à Mossoul au début de février. Attisant les tensions entre chiites et sunnites, Al-Qaïda a menacé d’empêcher la tenue des élections en Irak. Ajouté à cette violence politique, le désenchantement de l’électorat pourrait avoir des conséquences sur le taux de participation. L’ONG Transparency International a placé l’Irak au premier rang des pays les plus corrompus au monde. Déjà, lors des provinciales de 2009, seul un électeur sur deux est allé voter. Le bilan de Maliki, jugé décevant, sera donc aussi l’un des ressorts de l’élection.

Quelle influence de l’iran ?

À l’issue de ce scrutin, qui s’annonce indécis, le président de la République, Jalal Talabani (un Kurde de l’UPK, élu par les députés en 2006), chargera le chef du groupe majoritaire de l’Assemblée de former un gouvernement. En l’absence de victoire nette d’une coalition, des tractations politiques devraient être engagées. Mais elles pourraient s’éterniser et créer un « vide politique » qui paralyserait l’Irak pour de longs mois. Or un retour à l’instabilité compromettrait, à terme, le départ des soldats américains, prévu d’ici à la fin de 2011. En outre, Washington craint, comme le rappelle l’éditorialiste américain Robert Dreyfuss, de laisser le champ libre à l’influence iranienne. Pourtant, un rapprochement entre Téhéran et Bagdad pourrait contribuer à la stabilité de la région et ne serait pas forcément synonyme, selon Barah Mikaïl, de l’assujettissement de l’Irak à la République islamique.

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