Le pendu de Bagdad
Irakien sunnite, nationaliste arabe aussi antiaméricain qu’anti-iranien et admirateur éperdu de l’ancien dictateur, Khalil al-Doulaïmi fut, de novembre 2004 à décembre 2006, l’avocat attitré de Saddam Hussein. Dans un recueil* que publient, le 5 mars 2010 à Paris, les éditions Sand, ce militant livre en vrac ses propres analyses – aussi partisanes que véhémentes –, le récit de ses rencontres en prison avec Saddam, mais aussi des lettres dans lesquelles ce dernier apparaît tel qu’en lui-même : totalement imperméable au moindre remords. Extrait de l’un de ces mémoires de captivité : « Je suis un homme d’État ferme et précis. Si j’ai dégainé mon épée, c’était au nom du droit. Juste, zélé, honnête, […] généreux pour les généreux, dur avec les ingrats. Soucieux des deniers publics, même si je les ramassais à la pelle, je les dépensais avec libéralité pour les besoins de la patrie ou de l’humanité. […] Je connais la politique internationale, ses pratiques hypocrites ou directes. Je ne l’aime pas. Même si j’en ai exercé la partie la moins immonde et la plus honnête. »
Doulaïmi raconte la cavale, puis les tentatives maladroites de ses proches pour faire évader Saddam Hussein, tord le cou à quelques légendes – dont celle des fameux sosies du dictateur, formellement démentie par ce dernier – et relate enfin sa propre version de l’exécution du raïs déchu, le 30 décembre 2006. C’est sans doute la partie la plus intéressante du livre, tant elle diffère par moments du récit officiel de cette pendaison.
« Comment vas-tu, tyran ? »
Après avoir refusé les neuroleptiques que lui proposait son dentiste, explique l’avocat, Saddam a dit adieu à ses deux frères, Barzan et Sabaoui, eux aussi emprisonnés, avant d’être transféré en hélicoptère par ses gardiens américains dans un camp militaire mixte, occupé en partie par les milices chiites. Livré à ces dernières, ses pires ennemies, il aurait été accueilli dans la salle d’exécution par le jeune imam Moqtada Sadr, fils et petit-fils de dignitaires religieux assassinés sur son ordre, avec cette phrase : « Comment vas-tu, tyran ? » Saddam, dit Doulaïmi, « le regarda avec mépris, et l’un des gardiens le frappa à la tête de la crosse de son fusil ». Puis le condamné se mit à hurler : « Vive le peuple ! Vive l’Irak ! Vive la Palestine arabe ! À bas les Perses et leurs agents ! »
« Je suis un martyr »
À nouveau molesté et copieusement injurié, il est placé au-dessus d’une trappe carrée et refuse qu’on lui bande les yeux. Un photographe prend des clichés, un milicien filme la scène avec son téléphone portable. Quelqu’un crie : « Va en enfer ! » Lui répond : « Au paradis, inch’Allah, je suis un martyr ! » On serre le nœud autour de son cou, et la trappe s’ouvre. Si l’on en croit Doulaïmi, la corde aurait été « délibérément allongée pour qu’il tombe par terre encore en vie et qu’on puisse le tuer en le frappant. Effectivement, le président releva la tête en souriant. Ils se mirent tous à le piétiner et à le frapper jusqu’à ce que mort s’ensuive, puis ils raccrochèrent le cadavre au gibet pour donner l’illusion ».
Emmené au domicile d’un chef de l’Armée du Mahdi, la milice de Sadr, le corps sans vie du dictateur aurait été lardé de coups de poignard et égorgé avant d’être remis aux Américains. Ces derniers firent procéder à son enterrement, le lendemain, à 3 heures du matin, à Al-Ouja, son village natal, en présence des chioukh éplorés de la tribu Abou Naceur — aussi inconsolables que l’auteur du livre.
*Saddam, les secrets d’une mise à mort, Sand, 288 pages, 14 euros.
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