Maritime : CMA-CGM cherche un nouveau cap

Son endettement trop lourd et la crise internationale obligent l’armateur français à se réformer : changer son équipe dirigeante et préparer l’arrivée de nouveaux investisseurs avant l’été.

La dette de l’armateur a atteint 5,6 milliards de dollars en 2009 © CMA-CGM

La dette de l’armateur a atteint 5,6 milliards de dollars en 2009 © CMA-CGM

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 4 mars 2010 Lecture : 4 minutes.

Plusieurs mois après leur livraison, les bureaux du tout nouveau siège social de CMA-CGM, troisième armateur mondial de porte-conteneurs et acteur incontournable du commerce maritime africain, attendent toujours leurs futurs occupants. Lors du lancement du chantier, en juillet 2006, la réalisation de cette tour symbolisait le sacre d’une famille, les Saadé. Jacques, fondateur dans les années 1970 de ce qui allait devenir un géant des mers affichant plus de 15 milliards de dollars de revenus.

En ces premiers jours de 2010, la ville portuaire de Marseille, où l’armateur est historiquement installé, préfère évoquer la probable cession de cet immeuble qui a coûté environ 300 millions d’euros. Car le groupe maritime français a besoin de cash. La dette du transporteur atteignait 5,6 milliards de dollars à la mi-2009. Auxquels s’ajouteraient 5 autres milliards correspondant aux dizaines de porte-conteneurs géants commandés par l’armateur avant la crise. En octobre dernier, l’annonce des difficultés du groupe français avait fait plonger le cours de Bourse des constructeurs, dont Hyundai et Hanjin. Dur en affaires, ce dernier a revendu récemment l’un des porte-conteneurs qui devait être livré à CMA-CGM pour non-paiement des sommes dues. En décembre, après plusieurs semaines de négociation, les banques créancières du groupe ont accepté de lui accorder une ligne de 500 millions de dollars.

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Début février, elles ont débloqué une première tranche de 80 millions. La condition était claire : que Jacques Saadé, 70 ans passés, prenne du recul dans la gestion des affaires. Et avec lui, son beau-frère Farid Salem, son fils Rodolphe et sa fille Tanya. Les banques, qui ont longtemps eu une confiance quasi aveugle dans le groupe, semblent en effet avoir tout à coup découvert à la fois les vertus de la bonne gouvernance et que la gestion de CMA-CGM était presque exclusivement entre les mains de la famille Saadé… Sous la pression, lors d’une assemblée générale extraordinaire, le 23 décembre au matin, la famille plie. Jacques Saadé perd les commandes du groupe et est nommé au poste, surtout honorifique, de président du conseil d’administration. Farid Salem et Rodolphe Saadé, se retrouvent directeurs généraux délégués. Le nouveau dirigeant s’appelle Philippe Soulié, président du groupe Cnim. Trois administrateurs indépendants, Denis Ranque, Pierre Bellon et Christian Garin, tous de grands patrons, entrent au conseil d’administration.

La gestion quotidienne de CMA-CGM échappe ainsi aux Saadé. « C’est toujours mieux que la faillite qui attendait le groupe si les banques avaient refusé de lui accorder ce prêt et si les chantiers coréens, qui construisent les bateaux sur commande, avaient continué à exiger le respect des contrats », estime un investisseur institutionnel. D’autant que les réelles compétences du groupe, son réseau maritime, développé notamment au départ de la Chine, et ses infrastructures immobilières importantes continuent de susciter l’intérêt des financiers.

Plusieurs fonds sur le pont

L’arrivée de nouveaux investisseurs est annoncée dans le courant du deuxième trimestre 2010. Bolloré, sans surprise, serait intéressé. Lié à CMA-CGM par un partenariat stratégique dans la logistique africaine, la faillite de l’armateur, qui lui avait racheté Delmas en 2006, lui aurait sans doute coûté cher. De surcroît, fidèle à sa réputation d’opportunisme, Bolloré se serait sans doute bien vu reprendre à bon compte l’activité maritime africaine de son principal allié. La famille Louis Dreyfus (Louis Dreyfus Armateurs et Groupe Louis Dreyfus, l’un des leaders mondiaux du négoce) s’est également penchée sur le dossier. Louis Dreyfus – qui a un lien privilégié avec Marseille, puisqu’il possède le club de football local, l’OM – est également en quête de diversification et se développe dans de nombreux secteurs d’activité complémentaires ou sans lien avec son métier principal.

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La famille Saadé, elle, rumine tout à la fois contre les banquiers qui s’intéressent aujourd’hui à la gouvernance du groupe, contre les rapaces qui tournent autour de la proie affaiblie et contre l’État français qui a refusé ce qu’elle demandait : une garantie sur les crédits bancaires. Une décision que l’allemand Hapag-Lloyd a obtenue, lui permettant de faire face à de très lourdes pertes d’environ 900 millions d’euros en 2009. Le gouvernement allemand a en effet accordé une garantie de 1,2 milliard d’euros portant sur la dette bancaire du cinquième armateur mondial…

Effondrement du marché

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Confronté à une forte récession, sauf en Afrique (voir encadré), le secteur du transport par conteneurs a souffert. L’effondrement des taux de fret (qui ont remonté depuis) a causé de gros dégâts en 2008. L’excès de commandes de navires de grande capacité a plombé les finances de nombreux armateurs. L’an dernier, beaucoup de porte-conteneurs géants restaient à livrer alors que 15 % de la flotte se trouvaient à l’arrêt. Résultat, tous les comptes sont passés au rouge. Le danois AP Moller-Maersk a enregistré une perte de 706 millions de dollars au cours des trois premiers trimestres de 2009, contre un bénéfice de 3,6 milliards au cours de la même période l’année précédente. Le géant chinois Cosco a annoncé connaître de sérieuses difficultés, avec des revenus divisés par deux en quelques mois. Les groupes cotés ont vu leurs cours s’effondrer. Celui de l’opérateur portuaire dubaïote DP World a par exemple été divisé par cinq entre fin 2007 et mars 2009. Mais seul CMA-CGM a frôlé la banqueroute.

Ailleurs, les groupes ont été sauvés par l’État ou par leurs actionnaires. Ceux d’Hapag-Lloyd ont accepté de réinjecter près de 1,9 milliard d’euros, ceux de l’armateur israélien Zim plus de 500 millions de dollars. La base capitalistique relativement solide d’AP Moller-Maersk lui a permis de se refinancer sur le marché. Cosco n’a jamais été réellement inquiété, convaincu du soutien de l’État chinois en cas de défaillance. À l’inverse, DP World souffre des difficultés de son principal actionnaire – le groupe para-étatique Dubai World, qui a fait défaut sur une partie de sa dette – et cherche du coup à reconfigurer son capital. CMA-CGM aura de son côté pâti de ne pas avoir ouvert le sien et de ne pas avoir modernisé sa gouvernance. Le second point semble en voie d’être réglé. Le premier est toujours à l’ordre du jour. Sauf si Jacques Saadé, fin stratège, parvient à maintenir son indépendance actionnariale. 

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