Najat Arbib, première magistrate d’origine marocaine en Belgique

En octobre 2009, cette jeune mère de famille est devenue la première magistrate d’origine marocaine en Belgique. Elle rend aujourd’hui la justice à Arlon.

Najat Arbib, première magistrate d’origine marocaine en Belgique. © Gaël Turine pour J.A

Najat Arbib, première magistrate d’origine marocaine en Belgique. © Gaël Turine pour J.A

Publié le 26 février 2010 Lecture : 5 minutes.

Son avenir était tracé. Née d’un père ouvrier, vivant dans un quartier pauvre de Liège (Belgique), fille aînée d’une famille nombreuse, Najat Arbib aidait consciencieusement sa mère aux tâches ménagères. Une sorte de formation à l’épouse et à la maman qu’elle deviendrait, sa communauté l’entourant, entre amour, protection et étouffement. Pourtant, les rails du destin ont été réaiguillés. Aujourd’hui, à 35 ans, la jeune femme est devenue « madame la juge », première magistrate d’origine marocaine de Belgique.

Najat Arbib avait 12 ans. Elle se souvient : « Je me suis dit “soit je me marie tôt, soit je travaille rapidement”. Je me suis décidée à étudier sérieusement à l’école. » Le père insiste sur l’éducation, souligne l’importance de la lecture et de l’écriture, inculque le respect d’autrui. Najat veut aller plus loin. Elle travaille d’arrache-pied. Sa fenêtre sur le monde culturel se limite aux journaux télévisés. Seule sortie autorisée : la bibliothèque Les Chiroux. Au milieu des livres, elle découvre le deuxième degré des mots et se familiarise pour la première fois avec un autre univers. Un monde pas forcément meilleur, mais différent. Un monde où les parents sont parfois professeurs, où la lecture n’est pas seulement consacrée aux courriers administratifs.

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 En 1989, comme tant d’autres immigrés, les parents de Najat enterrent leur mythe du retour. Ils achètent une maison dans le quartier populaire d’Amercœur. Ce déménagement permet à la petite fille de découvrir d’autres horizons. Elle ­demande à changer d’école. Elle veut rejoindre l’Athénée Liège 1, une école « bien » du centre-ville. Elle y sera la seule « Arabe » de la classe. Sans renier ses origines, elle entend grandir les yeux ouverts et refuse les codes réducteurs qui contraignent les femmes. Elle se veut discrète. Au grand désespoir de sa mère, elle évite les mariages, ces grandes fêtes où les filles se mettent en vitrine. Les parents ne comprennent pas. Mais ils ont confiance. Son père a pour habitude de dire que « la confiance, c’est comme une allumette. Une fois grillée, c’est fini ». Sa fille ne consumera jamais ce bien précieux.

Najat ne chemine pas seule. À chaque étape décisive, son amie Fatima est à ses côtés. Après le bac, Fatima opte pour la médecine. Najat veut suivre, mais par aversion du sang elle choisit la carrière d’« ingénieur civil ».

Elle prépare l’examen d’entrée pendant l’été 1993, ingurgitant des maths jusqu’à la nausée. Le doute s’installe : doit-elle poursuivre dans cette voie pendant cinq ans ? Un événement va l’aider à choisir. Un jour d’été, elle rend visite avec son père au voisin. L’homme est gentil, mais son mur va tôt ou tard s’effondrer dans le jardin des Arbib. Il serait bon qu’il le consolide. Najat avance qu’ils ont « quand même le droit à la sécurité ». Et le voisin de répondre au père, incrédule : « Vous ne pensez tout de même pas que vous avez les mêmes droits que nous ? » La voix n’est pas agressive. À l’évidence, ils n’ont pas les mêmes droits. Najat en discute avec son père, qui conclut : « Je pense qu’il a raison. » La réponse ne la satisfait pas. Pour mieux comprendre, elle décide d’étudier le droit.

 Certains garçons du coin ont déjà essayé et ils ont échoué. Par amour, les parents de Najat veulent protéger leur fille des désillusions. « Tu vas rater. On ne réussit pas, nous, là-bas. » Un ami du père parie même 5 000 francs [125 euros] que Najat ne tiendra pas jusqu’à Noël. Il les doit toujours. Najat a bouclé ses cinq années, brillamment.

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« Si les parents de Najat ne pouvaient pas suivre sa scolarité, ils étaient néanmoins très ouverts, se souvient Clarisse, une amie de vingt ans aujourd’hui juriste. Sa famille est très aimante, très attentive. Et à l’université, Najat n’était pas la pauvre Arabe du fond de la classe qui voulait s’en sortir. Elle avait de la volonté, sans être obsédée par ses études. Elle était très sociable et très populaire. » Son parcours ouvrira la voie à d’autres, comme à Rachida, sa cousine, qui a suivi les cours universitaires de psychologie. « Najat est une référence. Elle m’a donné la motivation nécessaire pour me lancer dans cinq années d’études. »

Tout en étudiant, Najat travaille comme caissière dans un magasin de bricolage. Ses collègues de magasin, ouvriers d’origine marocaine, félicitent ses parents pour son ascension sociale. Jadis, les rêves immigrés s’arrêtaient à la ­caisse. Najat paie ses cours et ses besoins quotidiens. Ses rentrées d’argent préparent aussi le stage au barreau nécessaire pour devenir avocate. Deux années au cours desquelles les robes noires ne gagnent pas grand-chose.

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Une fois dans la profession, Najat Arbib arrache vite l’étiquette d’avocate « communautaire », refusant de se consacrer uniquement aux personnes d’origine ­marocaine. Malheureusement, elle ne peut éviter de rencontrer dans les lieux de justice d’anciens amis ou des voisins ayant mal tourné. Tantôt un braquage, tantôt la drogue. « Dans notre quartier, les parents se battaient pour inculquer des valeurs aux enfants, mais les tentations étaient parfois trop fortes pour les garçons. Des proches sont devenus héroïnomanes ou sont tombés pour de mauvais coups. » Très marquée par la violence urbaine, la femme de loi a décidé d’élever ses trois enfants à la campagne. Avec les encouragements de son mari, elle a passé avec succès les examens de la magistrature. En octobre 2009, sans même s’en rendre compte, elle est devenue la première juge d’origine marocaine de Belgique ! Elle a demandé à travailler à Arlon, dans une petite juridiction.

« Nous sommes neuf juges. Je fais de tout : correctionnel, mœurs, droit de la responsabilité. Je siège dans des chambres en appel de justice de paix, des tribunaux de police. J’ai 35 ans, j’en ai encore pour trente ans. Je n’ai pas envie de me spécialiser maintenant. » Madame la juge enchaîne dix audiences par mois. Elle siège deux ou trois fois par semaine. Ses décisions, elle les rédige après avoir couché ses enfants, à 20 heures.

 Najat Arbib continue de beaucoup travailler, toujours dans la discrétion. Mais l’ado appliquée a cédé la place à la magistrate épanouie, la « fille bizarre » est devenue « parcours modèle ». Et après avoir pris quelques distances avec sa communauté, elle retrouve avec plaisir son quartier. « Je suis respectée, écoutée, même par des hommes de 60 ans. » Elle évoque des projets d’associations pour les enfants d’immigrés et des projets personnels pour le Maroc. Elle s’y rend quatre fois par an, y envoie ses enfants en vacances. Elle participe aussi à des missions de coopération renforcée entre les justices marocaine et belge. Sereine, elle a réconcilié ses différentes identités. Maintenant, elle se rend volontiers aux mariages avec sa mère. Et elle a toujours en poche l’allumette de son père. 

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