Echec aux talibans

L’offensive de la coalition occidentale dans la province méridionale du Helmand, fief des fondamentalistes musulmans, et l’arrestation, au Pakistan voisin, d’Abdul Ghani Baradar, l’adjoint du mollah Omar, marquent-elles un tournant dans la guerre ?

Compagnie de marines en opération près de Marjah, le 13 février 2010 © Reuters

Compagnie de marines en opération près de Marjah, le 13 février 2010 © Reuters

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Publié le 24 février 2010 Lecture : 4 minutes.

Depuis des mois, ils marquent des points, contrôlent trente des trente-quatre ­provinces de l’Afghanistan et infligent des pertes croissantes aux troupes de la coalition occidentale (520 morts en 2009, près de 80 depuis le début de 2010), qu’ils sont venus narguer jusque dans Kaboul. En position de force, les talibans refusent – du moins officiellement, par la voix du mollah Omar, leur chef spirituel – de négocier avec le président Hamid Karzaï tant que les « envahisseurs » n’auront pas quitté le pays.

Le déclenchement, le 13 février, d’une offensive dans l’un de leurs fiefs, la province méridionale du Helmand, et l’annonce concomitante de l’arrestation d’Abdul Ghani Baradar, chef militaire et trésorier de leur mouvement, leur ont porté un coup sévère. La chance serait-elle en train de tourner ?

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 Un vrai test

Il est trop tôt pour juger si cette prise spectaculaire, obtenue grâce à une ­étroite coopération entre les services américains (CIA) et pakistanais (ISI), suffira à désorganiser l’état-major taliban. Mais une chose est sûre : l’opération « Mushtarak » (« ensemble », en dari), qui rompt avec l’attentisme de ces derniers mois, a valeur de test. D’abord, parce qu’il s’agit de la plus vaste offensive menée depuis le début du conflit, en 2001 : 12 500 soldats engagés, américains et britanniques pour la plupart, épaulés par 2 500 hommes de l’armée nationale afghane (ANA). Ensuite, parce que le Helmand est une plaque tournante du trafic de l’opium, vital pour les finances des insurgés. Enfin, parce que, comme l’explique le général James Jones, conseiller de la Maison Blanche pour la sécurité nationale, « c’est la première fois que tous les aspects de la nouvelle stratégie du président Obama sont mis en œuvre ». Et que ces derniers « ne se limitent pas aux opérations de sécurité, mais s’étendent au développement économique et à la bonne gouvernance, avec une présence bien plus visible des forces afghanes ».

L’objectif est de faire de la ville de Marjah et de ses environs la vitrine d’un Afghanistan modèle, administré par ses propres citoyens, où l’insécurité et la corruption ne seraient plus qu’un lointain souvenir. Le succès doit être pérenne, et avoir un effet d’entraînement.

Sur le plan militaire, la partie n’est pas facile. Fidèles à leur tactique, les talibans sont en embuscade. Ils ont laissé derrière eux un terrain truffé de mines artisanales, qui retardent la progression de leurs adversaires, et se fondent dans la population pour pousser ceux-ci à la « bavure ». Le général Stanley McChrystal, commandant en chef des forces alliées, a beau privilégier l’engagement terrestre au détriment des raids aériens, prenant ainsi le risque de perdre des hommes pour « gagner le cœur des Afghans », neuf civils ont été tués dès le début de l’offensive.

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La suite ne s’annonce guère plus réjouissante. Les effectifs et la formation de l’ANA et de la police afghane sont très insuffisants, sans parler de ceux de l’administration locale.

Si le plan Obama, entériné par la communauté internationale lors de la conférence de Londres, le 28 janvier, a le mérite de la cohérence, « les objectifs n’ont pas été suffisamment clarifiés, estime Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères. Moderniser l’Afghanistan ne marchera pas, ou bien il faudrait laisser 500 000 hommes sur place pendant vingt ans. La seule raison qui légitime notre présence est d’empêcher Al-Qaïda de se reconstituer, de veiller sur notre sécurité à long terme, avec moins de troupes ».

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En attendant, l’habile McChrystal s’attelle à créer les conditions favorables à un début de retrait. Ce spécialiste de la contre-insurrection a demandé – et obtenu d’Obama – 30 000 hommes en renfort pour amener l’adversaire à négocier. Se dirige-t-on vers cette issue ? Là encore, la réponse n’est pas évidente. Depuis des mois, Karzaï tend la main à ses « frères [talibans] désabusés qui ne sont pas membres d’Al-Qaïda » et, en bon seigneur féodal, leur propose de participer à une Loya Jirga (assemblée de chefs tribaux) afin de jeter les bases d’un partage du pouvoir. En vain. Des représentants talibans, des proches de Karzaï et des émissaires occidentaux se sont rencontrés secrètement, sous l’égide des Saoudiens. En signe de bonne volonté, et aussi pour semer la zizanie dans leurs rangs, les noms de cinq talibans « modérés », dont celui d’Abdul Wakil Mutawakil, l’ancien ministre des Affaires étrangères, ont été retirés de la liste noire de l’ONU qui gelait leurs avoirs et leur interdisait de voyager. Les « repentis » se voient proposer de l’argent et un travail. Mais si les respon­sables américains estiment que 70 % des talibans peuvent être « retournés », le magazine Newsweek est loin de partager cet optimisme : tous les combattants qu’il a interviewés disent avoir perdu un proche dans ce conflit et être mus par un sentiment de revanche.

 Quid des Pakistanais ?

Que penser, dès lors, de l’arrestation de Baradar à Karachi, dans ce Pakistan si longtemps complaisant à l’égard du mollah Omar et de ses affidés – qu’il cache et protège depuis 2001 ? Signifie-t-elle que les Pakistanais, après des années de double jeu, coopèrent sincèrement avec les Américains ? Sans doute faut-il chercher la réponse dans les déclarations (rarissimes) du chef d’état-major, Ashfaq Kayani, qui se dit prêt à jouer les médiateurs entre les Américains et ses (ex- ?) protégés afghans. À l’évidence, le général prépare l’avenir : le Pakistan, qui « a des intérêts stratégiques en Afghanistan » et « entend les conserver » pour contrer l’influence de l’Inde, l’ennemi de toujours, sera un acteur essentiel des futures négociations.

Avec Baradar, les Pakistanais ont-ils lâché une pièce maîtresse ou un pion dévalué ? Les uns pensent que la perte de ce brillant stratège décapite le mouvement taliban. D’autres croient savoir qu’il voulait négocier avec les Américains et aurait été trahi par les siens. Quel que soit le fin mot de l’histoire, l’arrestation du charismatique bras droit du mollah Omar devrait permettre à la CIA de recueillir des informations capitales. 

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