Libye-Suisse : la guerre des visas
Pour obliger Kadhafi à faire libérer deux de ses ressortissants, Berne a émis une « liste noire » de personnalités libyennes indésirables dans l’espace Schengen. Riposte de Tripoli, qui déclare les Européens persona non grata.
Dans son bras de fer avec Mouammar Kadhafi à propos de « l’affaire Hannibal », la Suisse est-elle allée trop loin ? Dans le jeu des mesures de rétorsion et de contre-rétorsion auquel s’adonnent les deux gouvernements, Berne avait cru trouver l’arme fatale pour obliger Kadhafi à libérer les deux hommes d’affaires suisses « retenus » en Libye depuis un an et demi : une « liste noire » d’au moins 180 membres de la nomenklatura dirigeante libyenne considérés comme indésirables, à l’instar de terroristes ou de criminels, et auxquels, de ce fait, il ne sera plus délivré de visa Schengen. Leurs noms figurent depuis novembre 2009 dans le Système d’information Schengen (SIS), un fichier informatique partagé par les vingt-cinq pays européens membres de l’espace commun. En représailles, Tripoli a suspendu, le 14 février 2010, l’octroi de tous types de visas aux ressortissants de l’espace Schengen, avec une dérogation pour les citoyens des pays qui rejettent la liste noire, comme l’Italie et Malte.
En tête de cette liste figurent le « Guide », son épouse Safia et leurs enfants, notamment Hannibal, par qui le scandale est arrivé. Ce capitaine au long cours, célèbre dans les médias pour ses frasques dans les capitales européennes, s’était rangé, et avait atterri à Genève, en juillet 2008, où il était descendu dans un palace avec son enfant et son épouse, enceinte, qui comptait accoucher dans une clinique de la ville au cours des jours suivants. Alertée par le personnel de l’hôtel, qui avait entendu des bruits de dispute dans la suite, la police genevoise avait procédé à l’arrestation d’Hannibal sous l’accusation controversée de brutalité envers ses deux domestiques. Un magistrat suisse indépendant estimera, plus tard, que les conditions de l’arrestation étaient humiliantes et que la durée de détention, de deux jours, était abusive.
La sœur d’Hannibal, Aïcha, avocate de son état, également sur la liste, était accourue à Genève pour crier « œil pour œil, dent pour dent ». Seif el-Islam, leader des réformateurs et successeur putatif du « Guide », est lui aussi jugé indésirable en Suisse. Les organisateurs du Forum économique mondial de Davos (Alpes suisses), dont il était un habitué, ont annoncé publiquement qu’ils avaient décidé de ne pas l’inviter à l’édition de janvier 2010 en raison du contentieux diplomatique entre la Libye et la Confédération helvétique.
Bruxelles embarrassé
Plusieurs membres du gouvernement libyen figurent aussi sur la liste noire, dont le Premier ministre, Baghdadi Mahmoudi. À ceux-là s’ajoutent des chefs et des membres des comités révolutionnaires et du Congrès général du peuple (CGP, Parlement), véritables fers de lance du système Kadhafi, qui avaient notamment organisé, en 2008, des manifestations devant l’ambassade de Suisse à Tripoli pour protester contre l’arrestation d’Hannibal à Genève. La liste comprend aussi un grand nombre d’hommes clés du clan Kadhafi et qui sont pour la plupart issus de la puissante tribu des Gueddafa : il y a notamment les chefs de la sécurité personnelle du « Guide », ceux des services spéciaux, ainsi que des officiers supérieurs de l’armée.
Dès le mois de novembre 2009, la Libye avait mis en garde les capitales européennes, menaçant d’utiliser son droit de « réciprocité » si la liste n’était pas annulée. Berne a tenu bon, bien que Tripoli ait accéléré les procédures qui devaient aboutir à la libération des deux Suisses, dont l’un, Rachid Hamdani, a été blanchi par la justice le 31 janvier, l’autre, Max Göldi, étant en attente (à l’ambassade suisse) du résultat de son recours devant la Haute Cour après sa condamnation en appel à quatre mois de prison le 11 février.
La crise diplomatique entre la Libye et la Suisse aura en tout cas mis tout le monde dans l’embarras, à commencer par les Européens. C’est pourquoi Bruxelles fait tout pour amener les deux pays à trouver un compromis : l’abandon de la liste noire contre la libération des deux Suisses.
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