Nucléaire : faut-il avoir peur de l’Iran ?

Faute d’avoir trouvé un accord avec les Occidentaux, qui exigent qu’elle leur livre le gros de son stock d’uranium, la République islamique annonce qu’elle produira elle-même du combustible nucléaire à usage civil. Levée de boucliers dans la communauté internationale.

Vue de la centrale nucléaire iranienne, site de Natanz © AFP

Vue de la centrale nucléaire iranienne, site de Natanz © AFP

Publié le 3 mars 2010 Lecture : 5 minutes.

L’annonce par l’Iran qu’il s’apprête à enrichir de l’uranium à presque 20 %, sous la supervision de l’Agence ­internationale de l’énergie atomique (AIEA), pour produire des radio-­isotopes destinés à son réacteur médical de Téhéran a déclenché une nouvelle vague d’hystérie. Les appels à un durcissement des sanctions pour contraindre la République islamique à abandonner son programme nucléaire ont été renouvelés. Mais plus l’Iran est menacé, plus il devient provocateur et plus les chances de trouver un compromis se réduisent.

Le dernier différend en date semble porter sur la quantité d’uranium faiblement enrichi que l’Iran est prêt à échanger avec la Russie et la France contre du combustible nucléaire à usage médical qui ne peut être utilisé à des fins mili­taires. Se méfiant des intentions occidentales, l’Iran a proposé d’envoyer son uranium à l’étranger en plusieurs lots. Mais les Occidentaux exigent qu’il remette le gros de son stock d’uranium en une seule fois – quelque 1 200 kg – pour prévenir toute possibilité d’enrichissement à un niveau permettant une exploitation militaire. Le chef de la diplomatie iranienne, Manouchehr Mottaki, s’est récemment entretenu avec Yukiya Amano, le directeur de l’AIEA. Mottaki a qualifié les discussions de « très bonnes », tandis qu’Amano, plus sceptique, a appelé à une « accélération » du dialogue.

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Deux coalitions rivales s’opposent sur la scène internationale : la première souhaite imposer des sanctions plus sévères à l’Iran et, si celles-ci se ­révèlent inefficaces, envisage de bombarder ses installations nucléaires ; la seconde prône un dialogue patient avec Téhéran, et rien d’autre qu’un dialogue. Quelque part entre les deux se situe le président des États-Unis, Barack Obama, qui tient le rôle délicat d’arbitre. Sa politique initiale de main tendue à l’Iran s’est durcie pour se transformer en une opposition impatiente au régime islamique. Obama a même dû admettre à contrecœur que des sanctions plus dures pourraient être nécessaires. C’est un sérieux revers pour sa politique de rapprochement avec le monde arabe et musulman.

Pékin opposé à des sanctions

Israël et ses alliés aux États-Unis partisans de la ligne dure dominent le premier groupe. Ils font depuis longtemps campagne pour une action résolue contre l’Iran, comme ils l’avaient fait dans les années 1990 pour renverser Saddam Hussein. Ils prétendent que la bombe iranienne représente une menace pour l’existence d’Israël, ainsi qu’un danger à l’échelle mondiale. « Nous devons engager le monde entier dans la lutte contre [le président iranien Mahmoud] Ahmadinejad », a récemment déclaré le président de l’État hébreu Shimon Pérès, adoptant le ton belliqueux du Premier ministre Benyamin Netanyahou à ­chaque fois qu’il évoque l’Iran. Israël laisse entendre régulièrement qu’il déclenchera une action militaire lui-même si la diplomatie échoue à réprimer les ambitions nucléaires iraniennes.

Parmi les pays européens, c’est la France qui a appelé le plus bruyamment à un durcissement des sanctions, imitée par certaines voix britanniques. Lors de ses récentes auditions devant la commission sur la guerre en Irak, on a entendu un Tony Blair sans remords mentionner l’Iran pas moins de cinquante-huit fois. Il faut « s’occuper » de l’Iran, a déclaré l’ancien Premier ministre britannique, comme lui et l’ex-président américain George W. Bush s’étaient occupés de l’Irak en 2003 !

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La coalition favorable au dialogue avec l’Iran regroupe la Chine, la Turquie, le Brésil et, plus ou moins unanimement, les États arabes. Ces derniers n’ont aucune envie de voir Téhéran se doter de la bombe, mais ils craignent encore davantage une guerre israélo-iranienne, qui pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la sécurité et la stabilité de la région et sur les exportations de pétrole.

La Chine, premier partenaire commercial de l’Iran, est opposée à des sanctions et semble prête à utiliser son veto au Conseil de sécurité pour les contrer. « Évoquer des sanctions maintenant va compliquer la situation et pourrait entraver le chemin conduisant à une solution diplomatique », a affirmé à Paris le ministre chinois des Affaires étrangères, Yang Jiechi. La Turquie, de son côté, plaide depuis longtemps pour des négociations avec l’Iran et s’oppose fermement à une action militaire – ce qui est de toute évidence l’une des raisons du refroidissement des relations israélo-turques. Le Brésil, membre non permanent du Conseil de sécurité, prône aussi le dialogue. Ahmadinejad s’y est rendu en novembre 2009, tandis que le président Lula est attendu en Iran en mai.

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Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue arabe, a, de son côté, appelé les États membres à ouvrir un dialogue avec l’Iran en vue de conclure une sorte d’accord sécuritaire régional. Cette idée fait son chemin dans les milieux arabes.

Alors que l’Iran accélère l’enrichissement de son uranium à des fins pacifiques, comme il en a le droit aux termes du traité de non-prolifération (TNP), le désaccord entre les deux coalitions ­risque de s’accentuer. Mais tout bien considéré, l’idée de punir l’Iran plus qu’il ne l’a déjà été ne semble pas l’emporter. Obama approuve peut-être un certain durcissement du régime de sanctions – à Paris, son secrétaire à la Défense, Robert Gates, a déclaré que « le seul chemin qu’il reste est celui des pressions » –, mais il n’a en aucune façon rejoint les va-t-en-guerre qui recommandent expressément de bombarder l’Iran. Il aurait même prévenu Israël qu’une attaque contre l’Iran nuirait aux intérêts américains.

Equilibre des forces

Les détracteurs pro-israéliens d’Obama l’accusent d’être trop conciliant. Lors de la dernière conférence de Munich sur la sécurité (5-7 février), le sénateur américain Joe Lieberman, président de la commission sénatoriale sur la sécurité intérieure, a déclaré : « Il faut durcir les sanctions économiques pour que la diplomatie fonctionne. Sinon, nous devrons affronter la perspective d’une action militaire contre l’Iran. Un Iran doté d’armes nucléaires, a-t-il ajouté, provoquerait le chaos au Moyen-Orient, ferait flamber les prix du pétrole et enterrerait tout espoir de trouver une solution pacifique au conflit israélo-palestinien. » Des prédictions qui pourraient se révéler totalement erronées. Loin de provoquer le chaos, une bombe iranienne stabiliserait la région et infléchirait le comportement agressif d’Israël à l’égard de ses voisins. En rééquilibrant les rapports de force avec Tel-Aviv, et en limitant ainsi sa capacité d’action, l’Iran pourrait inciter l’État hébreu à faire la paix avec ses voisins, y compris avec les Palestiniens. Et le seul événement qui ferait flamber les prix du pétrole serait une attaque israélienne contre l’Iran.

Tout semble indiquer en tout cas que le débat sur l’attitude à adopter à l’égard de Téhéran va se poursuivre sans ­qu’aucune des deux approches ne marque de point significatif. À moins que des évolutions majeures sur la scène intérieure ­iranienne n’en décident autrement. 

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