Benjamin Stora : « La France a du mal à repenser un nationalisme sans l’empire »

Historien français, professeur à l’université Paris-XIII

Publié le 1 mars 2010 Lecture : 2 minutes.

Algérie-France : la déchirure
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Algérie-France : la déchirure

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Jeune Afrique : La proposition de loi en Algérie pour « criminaliser » le colonialisme survient après la loi française sur les bienfaits de la colonisation, en 2005. Comment sortir de cette concurrence mémorielle ?

Benjamin Stora : Cela va être difficile. Le fossé n’a cessé de s’élargir avec cette guerre des mémoires. En France, les partis politiques pourraient officiellement condamner l’entreprise coloniale. Le président Nicolas Sarkozy a reconnu dans son discours de Constantine, le 5 décembre 2007, que le système colonial était injuste, mais il faudrait un consensus plus large. La gauche est davantage dans une tradition de condamnation. Mais elle était au pouvoir, avec Guy Mollet (1956-1957), pendant la bataille d’Alger. François Mitterrand était garde des Sceaux. Il faut donc un examen critique profond. En Algérie, il y a unanimité pour dénoncer le système colonial. Mais, cinquante ans après l’indépendance, il faudrait être davantage tourné vers les défis de l’avenir pour que l’Histoire ne soit pas utilisée pour justifier les insuffisances du présent.

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Pourquoi cette incapacité française à reconnaître les fautes, voire les crimes, du passé ?

La question n’est pas de demander pardon, mais de dire ce qui s’est passé. Jacques Chirac l’a fait en 2005 pour Madagascar. On n’a pas encore entendu ce type de discours sur la guerre d’Algérie. Le nationalisme français et l’orgueil national se sont façonnés autour de cet empire colonial. Le sentiment d’abaissement ou de rétrécissement à la suite de la décolonisation n’a pas été assumé. Avec les conséquences que l’on voit aujourd’hui autour du concept de l’identité nationale. Par sa magie du verbe, de Gaulle avait réussi à dépasser cela. Mais dans le fond, la France a du mal à repenser un nationalisme sans l’empire. Une difficulté d’ailleurs propre à tous les pays européens qui ont un passé colonial. Malgré les blocages apparents, l’effervescence actuelle sur ces questions pourrait bien faire de la France la première à reconnaître ses torts.

Comment accélérer ce mouvement de reconnaissance ?

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Du discours du Vél d’Hiv en 1995 à celui sur Madagascar en 2005 ou sur l’esclavage en 2006, Jacques Chirac a considérablement fait progresser les questions mémorielles. Rappelons que sa visite en Algérie en 2003 avait été un grand succès. Pour relancer cette dynamique, il faut inventer des initiatives communes sur le plan symbolique. Difficile d’envisager un lieu comme celui du cimetière de Verdun entre la France et l’Allemagne. Mais on peut réfléchir à une réconciliation entre anciens combattants. On ne fait la paix des mémoires qu’avec ceux qui se sont combattus. Et puis, il y a les enfants de soldats, de harkis et de combattants de l’ALN… qui ne sont responsables de rien et qui pourraient trouver des espaces de réconciliation. 

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