Le Mossad piégé par la vidéosurveillance

Le Mossad serait responsable de l’assassinat du responsable du Hamas Mahmoud al-Mahboud. Chronique d’une mort annoncée.

Mahmoud Al-Mahmouh et deux agents israéliens, filmés dans l’hôtel Al-Bustan Rotana © Reuters

Mahmoud Al-Mahmouh et deux agents israéliens, filmés dans l’hôtel Al-Bustan Rotana © Reuters

ProfilAuteur_JeanMichelAubriet

Publié le 23 février 2010 Lecture : 5 minutes.

15 janvier. Un homme entre deux âges, veste et chapeau sombres, débarque dans le très futuriste aéroport de Dubaï, joue des coudes au milieu d’une foule de touristes et d’hommes d’affaires que la crise financière n’empêche manifestement pas de dormir, récupère ses bagages et remet placidement son passeport aux douaniers de faction. Il est âgé de 50 ans et prétend s’appeler Mahmoud Abdul Raouf Mohammed. Mais son vrai nom est Mahmoud al-Mahbouh. Ce n’est pas un inconnu. Fondateur, avec d’autres, des Brigades Ezzedine Al-Qassam, la branche armée du Hamas, il est recherché depuis plus de vingt ans par les services israéliens pour le meurtre de deux policiers et passe aujourd’hui pour le principal responsable de l’approvisionnement en armes du mouvement islamiste palestinien. Curieusement, aucun garde du corps ne l’accompagne. Que vient-il faire dans les Émirats arabes unis ?

Il hèle un taxi, gagne l’hôtel Al-Bustan Rotana, un cinq-étoiles fort luxueux – mais tout ne l’est-il pas dans le richissime émirat ? –, et s’installe dans la chambre 230. Il ne s’en aperçoit évidemment pas, mais il est déjà pris en filature. Cinq jours plus tard, le 20 janvier, il est retrouvé mort dans sa chambre. Assassiné, mais sans blessure apparente ni traces de violence. A-t-il été étouffé ? Électrocuté ? Ou les deux ? À l’évidence, du travail de professionnels destiné à créer l’illusion d’une mort naturelle. Un accident vasculaire, par exemple. Mais deux autopsies permettront de découvrir la supercherie. Dans un premier temps, la police hésite : Mahbouh a-t-il ouvert à ses agresseurs ou ces derniers ont-ils fracturé la porte à l’aide d’un ingénieux appareillage ? Finalement, il semble qu’ils étaient tout bonnement en possession d’un double de sa carte électronique.

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 Cinq minutes chrono

Après un mois d’enquête, on en sait un peu plus grâce aux révélations, le 15 février, du lieutenant-général Dahi Khalfan Tamim, le chef des services de sécurité de l’émirat. Il est désormais établi que les assassins étaient au nombre de onze, dont une femme ; qu’ils avaient débarqué à Dubaï vingt-quatre ­heures auparavant, par des vols séparés, et étaient descendus dans des hôtels différents ; qu’ils ont réglé en liquide toutes leurs dépenses et utilisé plusieurs téléphones portables (certains, apparemment, d’origine… autrichienne) ; qu’enfin, pour déjouer la surveillance des caméras, ils ont pris soin de changer constamment d’apparence. Maquillage, lunettes, moustaches postiches et chapeaux : toute la panoplie du parfait petit espion. Deux d’entre eux ont même été filmés dans le hall et l’ascenseur de l’hôtel, en short, serviette autour du cou et raquette de tennis à la main.

Le commando était divisé en deux groupes. L’un, composé de sept hommes, avait pour mission de filer discrètement le leader palestinien. L’autre était plus directement chargé de son élimination. L’opération a duré un peu plus de cinq minutes. Quelques heures plus tard, tout ce joli monde avait quitté Dubaï. Le chef présumé des tueurs, qui était en possession d’un passeport français, a, semble-t-il, sauté dans un avion pour le Qatar avant de rejoindre Munich. Les autres ont pris des directions variées : Suisse, Hong Kong, Afrique du Sud… Deux comparses palestiniens chargés de l’assistance logistique ont en outre été arrêtés en Jordanie, et prestement extradés vers Dubaï. Selon le Hamas, ils seraient membres du Fatah, le mouvement palestinien rival du président Mahmoud Abbas.

 En route pour Téhéran ?

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En dépit de leurs déguisements, les membres du commando n’ont pas échappé à l’œil infaillible de Big Brother. Dans l’émirat, il y a des caméras vidéo partout : aéroport, hôtels, bâtiments publics… De recoupement en recoupement, la police a fini par découvrir que tous étaient en possession de passeports européens : six britanniques, trois irlandais, un allemand et un français. Le général Tamim est convaincu que ces documents sont authentiques. Les autorités irlandaises et britanniques jurent le contraire. Si les photos qui y étaient apposées étaient naturellement celles des tueurs, les noms étaient, dans la majorité des cas, ceux de paisibles citoyens israéliens nés à l’étranger et disposant d’une double nationalité. Découvrant leurs patronymes mêlés à cette sordide affaire, ils sont tombés des nues : la plupart ne se sont à aucun moment séparés de leurs passeports et n’ont jamais mis les pieds à Dubaï. On comprend qu’ils se soient déclarés « bouleversés », « furieux » ou « effrayés ».

Dans un premier temps, le général Tamim s’est gardé de mettre ouvertement en cause Israël : les deux pays entretiennent des relations qui, pour n’être point diplomatiques, n’en sont pas moins excellentes. Les preuves s’accumulant, il a fini par franchir le pas, le 19 février, dans une interview au quotidien émirati The National. À l’en croire, « il est certain à 99 %, sinon à 100 %, que le Mossad est derrière l’assassinat ». L’opération rappelle d’ailleurs étrangement la tentative d’élimination d’un autre chef du Hamas, Khaled Mechaal, à Amman, en septembre 1997 (voir encadré).

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La presse israélienne se déchaîne et dénonce « l’amateurisme » de l’opération. Dans le quotidien Haaretz, l’analyste militaire Amir Oren va jusqu’à exiger la démission de Meir Dagan, le patron du Mossad, qui semble bien avoir le profil d’un bouc émissaire idéal. Comment, en effet, imaginer une seconde qu’une opération de cette ampleur ait pu être décidée sans le feu vert des plus hautes autorités de l’État et du Premier ministre lui-même ? Certains exigent la mise en place d’une commission d’enquête. Des mandats d’arrêt internationaux ont été lancés contre les onze agents en fuite.

Reste à savoir pourquoi les dirigeants israéliens ont pris le risque d’éliminer le responsable du Hamas. Et pourquoi maintenant. « Il jouait un rôle clé dans l’approvisionnement du peuple palestinien en argent et en armes, y compris spéciales », a confié Talal Nasser, un porte-parole du mouvement islamiste, au National. « Au moment où il a été tué, il transitait par Dubaï avant de se rendre dans un autre pays », précise Abou Obeida, un autre responsable palestinien. Quel pays ?

Chacun sait que les Iraniens, même s’ils s’en défendent, sont, avec les Soudanais, les principaux fournisseurs de leurs alliés palestiniens… Chacun sait aussi que l’un des objectifs de l’opération « Plomb durci », fin 2008-début 2009, dans la bande de Gaza, était de mettre un terme à la contrebande des armes en provenance (notamment) d’Iran…

Gazaoui d’origine (il est né dans le camp de Jabaliya), Mahmoud al-Mahbouh vivait en Syrie depuis 1989. Deux ans auparavant, il avait été l’un des instigateurs de la première Intifada. Emprisonné à plusieurs reprises par les Israéliens, qui avaient rasé sa maison à Gaza, il avait échappé à plusieurs tentatives d’assassinat. Il repose désormais dans le camp de réfugiés de Yarmouk, dans la banlieue de Damas.

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