Euzhan Palcy : « L’esclavage reste une plaie ouverte »

Alors que Rue Cases-Nègres ressort en salles, la réalisatrice martiniquaise revient sur la situation politique et sociale des Antilles. Interview.

Euzhan Palcy, à Paris, le 9 février © Bruno Levy pour J.A

Euzhan Palcy, à Paris, le 9 février © Bruno Levy pour J.A

Publié le 18 février 2010 Lecture : 2 minutes.

Jeune Afrique : Rue Cases-Nègres, bien que tourné dans les années 1980, est brûlant d’actualité…

Euzhan Palcy : Oui. Dans une scène, les coupeurs de canne à sucre chantent leur désespoir, leur ­souffrance, le manque d’argent et de justice… On en est toujours là ! L’esclavage a aujourd’hui un autre visage. En 2009, le ­peuple s’est mobilisé pour dire non à la misère, au système ­archaïque, au mépris, à l’ignorance et à la méconnais­sance par la métropole de ce que sont les Antillais… Il y a un vrai contentieux avec la France. Lorsqu’on évoque l’esclavage, on nous demande de ne pas se poser en victimes. Mais nous ne demandons ni repentance ni pardon ! Le problème, c’est que la question n’a jamais été traitée en profondeur ni débattue. L’esclavage est comme une plaie ouverte. Il faut qu’elle cicatrise…

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Comment ?

Tout passe par l’éducation, l’information et la représentation, notamment au cinéma. Notre peuple a donné naissance à des savants qui ont contribué à l’évolution du monde, mais nos enfants ne les connaissent pas ! Notre chance, c’est d’avoir eu un Aimé Césaire. Sans lui, les Antilles seraient comme Haïti aujourd’hui : une colonie exploitée, encore plus méprisée. Il s’est battu en tant que député pour que nous ayons les mêmes droits qu’en métropole.

 Les gouvernements français n’ont jamais compris les Antillais ?

Obnubilés par la centralisation, ils ont raté le fait que les Antilles sont à un endroit stratégique, entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Le génie et le savoir-faire existent chez nous ; pourquoi ne pas les avoir utilisés pour irradier en Amérique ? On a préféré nous maintenir dans un carcan d’assistanat. Et faire de nous des ventres, des consommateurs. Le pire, c’est que les Antillais adorent la France, c’est pour ça qu’ils la critiquent aussi durement…

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Comment le débat sur l’identité nationale a-t-il été perçu aux Antilles ?

Les gens n’ont pas compris. Ils se sont demandé : est-ce que la France a vraiment besoin de ça ? Quelles sont les motivations de ceux qui l’ont lancé ? Il y a des problèmes aigus qui se posent à nous de manière cruciale, c’est autrement plus important.

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Vous vivez la moitié du temps à Los Angeles : vous y avez des projets ?

Un film sur l’illettrisme, avec Sam Shepard et Ellen Burstyn. Ce sera une comédie dramatique multiraciale. Sinon, un coffret de trois DVD va sortir cette année : « Parcours de dissidents », sur les jeunes Antillais partis rejoindre de Gaulle pendant la ­Seconde Guerre ­mondiale. Ce sujet, c’est un combat de cinq ans. Lorsqu’en juin 2009 le président Sarkozy est venu en Martinique, il a enfin manifesté une reconnaissance nationale à ces personnes, en leur délivrant la Légion d’honneur. Et puis, il y a un film qui me tient à cœur, sur la vie de Toussaint-Louverture. Pendant longtemps, personne en France n’a voulu le faire. Mais, avec ce qui se passe en Haïti, je pense que c’est le moment d’en reparler… 

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