L’Afrique vibre au rythme du Brésil
Le géant minier Vale s’engage à débloquer près de 1 milliard d’euros au Mozambique. C’est le plus grand investissement jamais annoncé par une entreprise auriverde. Un signe fort de l’influence grandissante du pays sur le continent.
Premier producteur de fer et deuxième groupe minier mondial, le brésilien Vale poursuit son offensive en Afrique, où il est déjà très présent : Guinée, Gabon, Angola, Zambie et Afrique du Sud. Après avoir ouvert un bureau d’exploration en RD Congo en octobre dernier, le groupe a annoncé un investissement de 1,3 milliard de dollars (près de 950 millions d’euros) pour exploiter l’un des plus vastes gisements de charbon au monde. Situé dans la région de Moatize, dans le nord-ouest du Mozambique, il se trouve près de Tete, ville la plus chaude du pays, arrosée par le fleuve Zambèze et coincée dans une bande de terre entre le Zimbabwe et le Malawi. L’annonce de l’investissement, en gestation depuis octobre 2009, a fait de Tete une ville-champignon de 150 000 habitants vers laquelle afflue la main-d’œuvre étrangère et où s’implantent de petites entreprises en quête d’opportunités grâce à l’investissement brésilien. « Chaque fois que je viens ici, c’est de plus en plus difficile. C’est sans doute ce qu’a connu Johannesburg au moment du Gold Rush », observe Antonio Coutinho, directeur d’une banque sud-africaine contribuant au financement de cet investissement, qui doit transfigurer l’économie du Mozambique et mettre un terme à la dépendance du pays à l’aide internationale.
L’investissement de ce géant minier (fer, cuivre, manganèse, nickel…) illustre l’intérêt croissant du Brésil pour le continent et la détermination de ses entreprises à s’inviter dans la conquête des ressources africaines. Certes, les investissements brésiliens en Afrique ont modestement atteint 10 milliards de dollars depuis 2003. Et la présence commerciale chinoise ou indienne a déjà noué des liens plus étroits sur le terrain. Mais à l’exemple de Vale, les entreprises auriverde bénéficient du soutien inconditionnel de Luiz Inácio Lula da Silva. Le président brésilien s’est rendu en Afrique à huit reprises depuis 2003, deux fois plus que le Chinois Hu Jintao. Des liens historiques, linguistiques et culturels ont contribué à faire du Brésil un modèle de développement, notamment pour les pays lusophones (Angola et Mozambique principalement), sur lesquels s’appuie Lula da Silva pour doper l’influence auriverde. « Les pays africains s’identifient à nous au regard de notre expérience dans la gestion de problèmes communs que nous sommes parvenus à surmonter, explique un diplomate brésilien en poste à Maputo. Ils considèrent le Brésil comme un exemple à imiter. »
Echanges en forte hausse
Propulsé par la forte demande brésilienne en matières premières, le commerce avec l’Afrique a connu une progression fulgurante au cours de la décennie. Les exportations africaines vers le Brésil ont explosé (18,5 milliards en 2008, contre 3 milliards de dollars en 2000) – le Nigeria et l’Algérie, mais aussi l’Angola, étant des sources d’approvisionnement névralgiques du pays en hydrocarbures. À l’inverse, les produits alimentaires brésiliens ont trouvé des débouchés importants, comme en Égypte. Au cours de la même période, le pays de Lula a multiplié ses exportations par huit vers le continent (1 milliard de dollars en 2000, 8 milliards l’an passé).
Des échanges qui s’accentueront avec l’arrivée de Vale. Le géant minier dispose d’une concession de vingt-cinq ans décrochée en 2004. Pour exploiter le gisement à ciel ouvert de Moatize, le groupe est à l’œuvre avec son compatriote Odebrecht, un conglomérat (ingénierie, construction, pétrole, gaz, biocarburants, chimie, immobilier…) fort d’un chiffre d’affaires de 17,5 milliards de dollars en 2008. Présent en Afrique depuis 1984, Odebrecht est implanté dans une dizaine de pays (dont les deux Congos, Djibouti, le Gabon…) et constitue même le premier employeur en Angola avec des activités dans la gestion de supermarchés, la production d’éthanol ou de denrées alimentaires. Ses dirigeants se targuent d’avoir un accès direct au président du pays, José Eduardo dos Santos.
À Tete, Vale et Odebrecht construiront une centrale thermique, une ligne de chemin de fer d’environ 500 kilomètres, et un port à Beira, sur la côte, pour acheminer le charbon vers ses marchés d’exportation, notamment pour alimenter les hauts-fourneaux brésiliens. L’exploitation du gisement pourrait débuter vers la fin de l’année. Au final, l’investissement initial « pourrait dépasser de plusieurs fois le montant annoncé », précise-t-on déjà en interne. Dans un premier temps, la production annuelle devrait atteindre 11 millions de tonnes, dont six à huit millions exportées. Ce qui hissera le Mozambique au deuxième rang des producteurs de charbon du continent, derrière l’Afrique du Sud. Mieux, dans un second temps, mais sans en préciser le calendrier, les Brésiliens envisagent de produire 24 millions, voire 40 millions de tonnes par an. « Le Brésil importe 100 % de son charbon à coke, c’est donc un partenariat permanent que nous démarrons avec le Mozambique. Il durera des années, des décennies et peut-être des siècles », a commenté Roger Agnelli, le président de Vale.
Expertise agricole brésilienne
Les deux groupes seront bientôt rejoints par leur compatriote Companhia Siderúrgica Nacional (CSN). L’aciériste a annoncé, sans plus de précisions, qu’il réalisera prochainement un investissement de plusieurs millions de dollars à Tete. Autre acteur majeur déjà installé : la compagnie publique Petrobras, très active dans l’exploration pétrolière en eaux profondes en Angola.
Mais c’est dans le domaine agricole que le pays auriverde poursuit une politique particulièrement ambitieuse sur le continent. Depuis son arrivée au pouvoir, Luiz Inácio Lula da Silva mobilise son pays pour assister l’Afrique dans sa révolution verte. « Le Brésil s’est positionné lui-même comme le premier partenaire dans cette quête vitale pour assurer la sécurité alimentaire et énergétique de l’Afrique », souligne un rapport du bureau de Johannesburg de Standard Bank sur cette offensive brésilienne, publié le 1er février 2010. Devenu une puissance agricole mondiale majeure, le plus grand pays d’Amérique du Sud veut faire bénéficier l’Afrique de son expertise dans l’exploitation des ressources agricoles et y transposer son modèle au nom d’une solidarité Sud-Sud.
En quarante ans, le Brésil a fait de l’agriculture l’une des clés de son développement. Elle représente 7 % de son PIB et emploie un quart des effectifs salariés dans six millions d’entreprises. Le secteur connaît une croissance moyenne de 16,1 % par an depuis 2000 et le pays est un exportateur net de produits agricoles, qui représentent 35 % des exportations. En 2009, le Brésil a été le premier exportateur mondial de sucre, de bœuf, de poulets, de jus d’orange, de café vert et de soja ; le quatrième pour le maïs et la viande de porc. Les exportations de ces produits ont progressé en moyenne de 14 % par an depuis 2000, passant de 16,2 milliards de dollars à 59,5 milliards en 2008. En décembre 2009, note Standard Bank, les importations agricoles africaines (sucre, produits laitiers, céréales) en provenance du Brésil ont grimpé de 3,1 % et ont représenté 7,7 % de la production du pays de Lula.
Autre atout brésilien : les biocarburants. Il est le second producteur et le premier exportateur mondial d’éthanol. Le Nigeria (97,8 millions de litres importés en 2008), le Ghana et l’Angola figurent parmi les premiers marchés du Brésil pour ce carburant vert. « L’Afrique est très clairement un potentiel de croissance énorme pour les exportations brésiliennes d’éthanol », note Standard Bank. Embrapa, l’entreprise publique brésilienne de recherche agricole, a signé des contrats de formation, d’assistance technique et de conseil en matière d’agriculture ou de biocarburants dans plus d’une vingtaine de pays africains.
Mais ce sont les conséquences des changements climatiques qui pourraient amplifier l’intérêt de Brasília pour le continent. D’ici à 2020, le réchauffement de la planète pourrait faire chuter ses exportations de soja et de café respectivement de 20 % et de 10 %. Et le Brésil d’imaginer rejoindre le Qatar, la Chine, l’Arabie saoudite ou la Corée du Sud dans l’achat ou la location de terres agricoles en Afrique. « Une exploitation en Zambie coûte dix fois moins cher qu’en Argentine », souligne Standard Bank. Pour le plus grand bien de l’Afrique ?
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