Safia Ibrahim-Otokoré, une djiboutienne candidate aux régionales en France

Djiboutienne d’origine somalienne, la vice-présidente de la région Bourgogne s’est engagée en politique après s’être essayée, avec succès, au sport de haut niveau.

Sofia Ibrahim-Otokoré (du nom de son ex-époux, l’ancien footballeur ivoirien Didier Otokoré) © Cyril Villemain pour JA

Sofia Ibrahim-Otokoré (du nom de son ex-époux, l’ancien footballeur ivoirien Didier Otokoré) © Cyril Villemain pour JA

Alexis Billebault

Publié le 18 février 2010 Lecture : 5 minutes.

Elle arrive un peu en retard au rendez-vous fixé au conseil régional de Bourgogne, à Dijon, non sans avoir passé un bref coup de téléphone pour prévenir. « Je n’aime pas être à l’heure. La ponctualité est une sorte de diktat auquel je me plie difficilement. » La jolie vice-présidente de la région Bourgogne, dirigée par l’ancien ministre socialiste François Patriat, promène derrière sa silhouette gracile une réputation d’électron libre dont elle a su s’accommoder. Et qu’elle assume pleinement. « C’est peut-être une réaction à mon enfance, dans un quartier pauvre de Djibouti », affirme celle qui est aujourd’hui chargée de la jeunesse, des sports, de la lutte contre les discriminations, des relations internationales et de la coopération décentralisée !

Safia Ibrahim-Otokoré, tout juste quadragénaire, apprécie le confort ouaté du cénacle politique. Mais elle n’a pas éliminé de sa mémoire son enfance djiboutienne, dans le Quartier-3 de la capitale de l’ancien Territoire français des Afars et des Issas. Un début de vie marqué par la pauvreté, mais pas par la misère absolue. « Mes parents, qui sont analphabètes, appartiennent à l’ethnie issak, originaire de la Somalie voisine, et plus précisément du Somaliland », explique-t-elle – avant de souhaiter une reconnaissance internationale pour cette province qui s’est autoproclamée république

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Quatorze enfants sont nés, tous n’ont pas survécu. « Certains sont morts avant ma naissance… Le Quartier-3, dans le bas de la ville, concentrait pas mal d’Issaks, qui, à Djibouti, ne sont pas toujours bien considérés. » Dans la maison au confort spartiate, si les repas sont souvent frugaux, personne n’a le ventre creux. « On mangeait deux fois par jour, car mon père, qui travaillait pour l’armée française, gagnait suffisamment pour nous nourrir. » Safia, elle, comprend vite que l’école et l’instruction pourraient lui permettre d’échapper à un destin dont elle ne veut pas. Excisée et infibulée à 7 ans, témoin du mariage forcé de deux de ses sœurs – « dans une famille pauvre, avoir une fille est une chance car on peut la marier et récupérer une dot » –, elle fréquente d’abord l’école coranique. Sans enthousiasme. « C’était une obligation, et je n’aime pas les obligations. Ils m’ont virée au bout d’un an. » La jeune frondeuse est déjà entrée en résistance. « Dans la société djiboutienne, quand tu es une femme, on t’enlève tes droits. C’est la communauté qui décide pour toi. »

L’école, l’autre, a été sa bouée de sauvetage. Mais pas seulement. « Certaines rencontres ont été ­décisives. » Comme celle avec Nicole Lambrou, représentante de l’association Enfance et Partage, à Djibouti. « Elle est venue dans mon quartier afin de trouver une solution pour ma sœur, qui devait se faire opérer du cœur. Je n’avais que 10 ans. Je l’ai revue, j’allais chez elle deux jours par semaine. J’avais accès à la culture et droit à un vrai confort. Elle est devenue ma seconde mère. » À l’école, Safia découvre aussi le sport. « M. Dupuis, mon professeur d’éducation physique et sportive (EPS), avait réussi à me convaincre de participer à des cross. Ma mère y était hostile, jusqu’à ce qu’elle comprenne que je pouvais rapporter de l’argent à la maison. Et j’aimais courir, cela me permettait de m’évader. Dans la catégorie “jeunes”, j’ai récolté quelques titres nationaux sur 600, 800, 1 500 ou 5 000 mètres. »

Le sport lui a permis de voyager. Et de s’émanciper. Une course en Côte d’Ivoire lui a donné envie de vivre au pays des Éléphants. Mais c’est à Dakar, après le bac et avec une bourse canadienne, qu’elle a vécu son premier exil. « J’ai commencé un cursus pour devenir prof d’EPS », explique-t-lle. Lors d’un voyage à Abidjan, elle a rencontré le footballeur ivoirien Didier Otokoré, qui venait de remporter, à Dakar, la Coupe d’Afrique des nations 1992. « Nous avons sympathisé, puis il est reparti à Auxerre, où il jouait. Je l’ai revu là-bas, en 1993, mais au départ je n’étais pas venue pour lui. » Elle est devenue madame Otokoré, mère de deux enfants.

Dans l’Yonne, elle a aussi rencontré Guy Roux, l’entraîneur d’Auxerre et, accessoirement, l’un des hommes les plus influents du département. « Il m’a aidée, c’est vrai. J’étais une femme immigrée, sans légitimité. Il a été ma caution. » Safia Otokoré, étudiante à Auxerre, milite à l’Internationale socialiste et fonde l’association Aider et mieux connaître l’Afrique. Elle devient effectivement professeure d’EPS, tâte de la politique et prend sa carte au Parti socialiste en 1999. Lors des élections municipales de 2001, inscrite sur la liste menée par Guy Ferez, elle devient maire adjointe d’Auxerre chargée des quartiers. Didier Otokoré expliquera plus tard que la carrière politique de sa femme a précipité leur divorce. Elle dira qu’elle ne souhaitait pas l’accompagner en Côte d’Ivoire, où il voulait retourner vivre à la fin de sa carrière.

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À Auxerre, ses relations avec Guy Ferez vont elles aussi mal tourner, et la mairie sera le théâtre de leurs désaccords. Le premier magistrat de la ville lui reproche son manque d’assiduité. Elle rétorque qu’elle n’a pas les moyens financiers de mener correctement son action dans les quartiers – « j’avais 50 000 euros de budget » –, clame que Ferez tient des propos racistes et homophobes. Le maire d’Auxerre la rétrograde au simple rang de conseillère municipale.

L’affaire fait tellement de bruit que des élues ­socialistes parisiennes louent un minibus pour venir lui apporter leur soutien. « Aujourd’hui, il n’y a plus de problèmes entre Guy Ferez et moi. Nous sommes redevenus amis… », tente-t-elle de (se) convaincre. L’ancienne athlète, bombardée par les instances du PS, contre l’avis des militants locaux, dans la 11e circonscription des Yvelines lors des élections législatives de 2007 échoue dans la course à la succession de Catherine Tasca. Un an plus tard, elle ne parvient pas à se faire investir dans le canton de Maurepas (Yvelines) pour les cantonales. Ses adversaires la flinguent en rapportant certains de ses propos. « De toute manière, les cantonales, ce n’est pas trop mon truc », aurait-elle déclaré.

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Mais Safia Otokoré, qui a entre-temps soutenu Ségolène­ Royal lors de l’élection présidentielle de 2007 et publié un livre (Safia, un conte de fées républicain, Robert Laffont), est tout de même devenue vice-présidente­ du conseil régional de Bourgogne en 2004 et conseillère municipale d’Élancourt en 2008. Elle vient même d’être propulsée à la deuxième place de la liste de François Patriat pour les élections régionales de mars prochain. Membre du bureau national du Parti socialiste, elle y entretient sa liberté de ton. En demandant par exemple la démission de la première secrétaire Martine Aubry, après l’échec des européennes. Ou en se retirant de la liste du Grand Est pour soutenir Pierre Pribetich, le député sortant, relégué en position non éligible et sacrifié sur l’autel des parachutages. « Au PS, les apparatchiks ne sont plus à l’écoute des Français », estime celle qui ne craint pas que la présidentielle de 2012 soit déjà perdue par une gauche balkanisée. « ­Quatre candidats potentiels me semblent capables de battre Nicolas Sarkozy », ajoute cette proche de Pierre Moscovici, déjà candidat aux primaires. « Ségolène Royal et François Hollande ont eux aussi le profil. » Mais qui est le ­quatrième ? 

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