Ukraine : revoilà Viktor
En 2004, la « révolution orange » avait fait triompher le camp proeuropéen. Avec l’élection de Viktor Ianoukovitch, les prorusses savourent leur revanche.
C’est un colosse de 1,95 m, fils d’un mineur du Donbass, mécanicien devenu gouverneur puis Premier ministre en 2006-2007 (en passant par la case prison dans sa jeunesse pour vol et agression), qui a été élu à la tête de l’Ukraine le 7 février. Viktor Ianoukovitch, 59 ans, l’emporte d’une courte tête (48,9 % des voix) sur Ioulia Timochenko (45,4 %), après avoir terrassé Viktor Iouchtchenko, le chef de l’État sortant, dès le premier tour (5 %), au terme d’un scrutin que les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont jugé transparent.
Le terne apparatchik savoure sa revanche. Proclamé vainqueur de la même élection – mais dans des conditions frauduleuses – en 2004, Ianoukovitch avait été balayé lors d’un troisième tour organisé sous la pression de la rue. Cette « révolution orange » avait vu le triomphe du camp pro-occidental sur le camp prorusse, dont il était le porte-drapeau. À son rival Iouchtchenko était revenue la présidence ; à la flamboyante Timochenko, nattes blondes et manteau de zibeline, le poste de Premier ministre. Depuis, ces deux-là se sont entre-déchirés, lassant une population durement frappée par la crise (le PIB a reculé de 15 % en 2009).
L’heure est au désenchantement. Certes, le pays reste divisé : l’Est russophone est proche de Moscou ; l’Ouest lorgne vers l’Union européenne (UE). Mais les choses ne sont plus aussi simples. D’un côté, l’Ukraine démocratique s’émancipe de la tutelle russe. De l’autre, elle reste tributaire du gaz et des prêts de la Russie qui, contrairement à ceux du FMI, ne sont pas conditionnés à des coupes claires dans les budgets sociaux. Timochenko et Ianoukovitch ont donc recentré leur discours. La première a dénoué la crise du gaz avec Vladimir Poutine et s’est gardée de critiquer sa guerre en Géorgie durant l’été 2008. Le second a tempéré sa « rustrerie » sous l’influence d’un conseiller en communication américain et n’est plus hostile à un rapprochement avec l’UE.
Non à l’Otan
Ils ne sont pas les seuls à avoir tiré les leçons du passé : le Premier ministre russe a évité de soutenir ouvertement Ianoukovitch ; les Américains ont salué la transparence du scrutin ; les Européens sont allés jusqu’à confier leur « hâte » de travailler avec le nouveau président.
Fini les années 2003-2004, où les Américains profitaient de l’effondrement de l’Union soviétique pour défier les Russes dans leur pré carré. Le duo Bush-Cheney, mélange de messianisme béat et d’idéologie brutale, épaulé par Condi Rice, la secrétaire d’État spécialiste de la Russie, avait soutenu l’adhésion des pays baltes à l’UE et à l’Otan, encouragé les révolutions « démocratiques » de Géorgie et d’Ukraine, et installé des bases au Tadjikistan, en Ouzbékistan et au Kirghizistan.
Grâce à l’enlisement des États-Unis en Irak puis aux nouvelles priorités de l’administration Obama (encerclement de la Chine, nucléaire iranien, stabilisation de l’Afghanistan et du Pakistan), la Russie avance à nouveau ses pions, et avec plus de souplesse que naguère. Les tyranneaux d’Asie centrale ne s’y sont pas trompés : ils ont chassé les Américains des bases de Khanabad et de Manas, et signé des accords de défense et des contrats énergétiques avec Moscou.
Ianoukovitch pourrait leur emboîter le pas en concluant un accord de libre-échange avec les Russes, en leur donnant un droit de regard sur le gazoduc qui traverse l’Ukraine, en prolongeant la durée du bail de leur flotte à Sébastopol, et en reconnaissant les Républiques prorusses d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, qui ont fait sécession d’avec la Géorgie.
Il devrait surtout enterrer le projet d’adhésion de son pays à l’Otan – le cauchemar de Moscou – tout en poursuivant le rapprochement avec l’UE. La Russie n’a pas gagné sur toute la ligne, mais elle a marqué un point.
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