Les marchés à l’assaut de la citadelle espagnole

Affaiblie par la crise, la quatrième économie de la zone euro est la cible sur les marchés financiers d’une attaque en règle. Elle devrait s’en sortir sans trop de dommages, mais d’autres pays sont désormais dans le collimateur.

Abandon d’un chantier de construction à Vera © REA

Abandon d’un chantier de construction à Vera © REA

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 17 février 2010 Lecture : 5 minutes.

José Luis Rodríguez Zapatero, le président du gouvernement espagnol, est amer. Très amer. Il n’y a pas si longtemps, son pays caracolait en tête de l’Union européenne. Ses banques dévoraient leurs concurrentes britanniques ou latino-américaines, ses entreprises de travaux publics conquéraient ­l’Europe, et son taux de chômage rendait la ­France jalouse.

La crise a fait voler en éclats cette croissance insolente. Quatrième puissance économique européenne, l’Espagne avait trop misé sur le secteur immobilier. Elle construisait frénétiquement – autant que l’Allemagne et la France réunies ! – et vivait dans une véritable « bulle ». Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), estimait d’ailleurs que sa situation n’était « pas très éloignée de celle des États-Unis » et de leurs subprimes.

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Cette imprudence lui a valu en 2009 une baisse de 3,6 % de son produit intérieur brut (PIB) et une envolée de son taux de chômage : 19 % de la population active. Les marchés la lui font aujourd’hui payer. Misant sur un risque de défaillance, ils spéculent à tout-va, depuis deux semaines, contre la dette espagnole. Le 4 février, la Bourse de Madrid s’est effondrée de 6 points, beaucoup plus que les autres places européennes prises dans la tourmente déclenchée par le péril grec. Comme si les spéculateurs souscrivaient à la plaisanterie anglo-saxonne à propos des « PIGS » (Portugal, Ireland, Greece, Spain), ces pays supposés au bord de la faillite et donc proies toutes désignées. Résultat : l’Espagne, qui a longtemps engrangé des excédents budgétaires (+ 2,2 % du PIB en 2007), est aujourd’hui dans le rouge (– 11,4 % en 2009). Pourtant, comme tous les Espagnols, Emilio Botín, le patron de la banque Santander, s’insurge de voir son pays ainsi ravalé au rang de la Grèce. « C’est comme si vous compariez le Real Madrid avec un club de foot de troisième division ! »

Hurlements syndicaux

Zapatero a pourtant de bons arguments, que les marchés, hélas, n’écoutent guère. Le premier est que l’Espagne est beaucoup moins endettée (60 % de son PIB) que l’Italie (123 %), et même que la vertueuse Allemagne (77 %). Mieux, le plan d’austérité qu’il a présenté le 25 janvier est de bonne facture, même s’il fait hurler les syndicats. Pour ramener le déficit budgétaire à 3 %, conformément au traité de Maastricht, il a annoncé 40 milliards d’euros de recettes supplémentaires en trois ans, grâce, notamment, à une hausse de 2 points de la TVA.

Son dispositif prévoit le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur dix, l’arrêt de la construction des logements sociaux et des grands travaux comme les lignes de TGV, la fin des privilèges exorbitants des contrôleurs aériens et, surtout, le report de l’âge du départ en retraite de 65 ans à 67 ans à partir de 2013. Strauss-Kahn l’avait prévenu : l’Espagne ne sortira pas de la crise « sans en payer le coût ».

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Mais cela devrait permettre au pays de se ressaisir en 2010 (la récession ne devrait pas dépasser 0,3 %) et de repartir en 2011, quoique à très faible allure (+ 0,9 %). C’est dire que les 4 millions de chômeurs ne sont pas près de retrouver du travail et que les fonctionnaires vont souffrir. Les syndicats s’opposent « frontalement » au projet de retraite à 67 ans, tandis que les Espagnols le rejettent, s’il faut en croire les sondages, à 84 %.

Bien entendu, les conservateurs du Parti populaire (PP) profitent de ces vents mauvais. Si les élections législatives avaient lieu aujourd’hui, ils l’emporteraient sur les socialistes par 40 % des voix contre 36,2 %. Du coup, le PP agite la menace d’une motion de censure contre le gouvernement Zapatero. En dépit de son impopularité, Mariano Rajoy, son chef, se déclare prêt à assumer la responsabilité du pouvoir.

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Zapatero a mal réagi à cette accumulation de problèmes qui surviennent alors qu’il assure pour six mois la présidence de l’Union européenne. Face à la contestation naissante, il donne l’impression de louvoyer. Il a suffi qu’Ignacio Fernández Toxo, le secrétaire général des Commissions ouvrières (CCOO), annonce des manifestations dans toute l’Espagne pour qu’il lâche du lest sur l’âge de la retraite, en renonçant à calculer les pensions sur les vingt-cinq dernières années d’activité, au lieu de quinze actuellement. Elena Salgado, sa ministre de l’Économie, avait pourtant affirmé que la réforme n’était « pas négociable ».

Lors du Forum économique mondial de Davos, fin janvier, il a fort banalement accusé la spéculation d’être à l’origine des malheurs de son pays, tandis que ses ministres dénonçaient de « troubles manœuvres » sur les marchés financiers. Salgado s’est même rendue au siège du Financial Times, à Londres, pour dire tout le mal que son gouvernement pense des articles, il est vrai fort critiques, du quotidien économique britannique. Bref, les dirigeants espagnols accusent le baromètre d’aggraver le mauvais temps. Certains y voient une preuve de désarroi, sinon d’amateurisme. En tout cas, tout cela tombe très mal pour Zapatero, qui espérait profiter de sa présidence européenne pour faire avancer l’idée d’un vrai gouvernement économique européen.

Sauver la Grèce

En définitive, les marchés se sont rassurés. Mais les déclarations de Jean-Claude Trichet, le président de la ­Banque centrale européenne, ou du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, le président de l’Eurogroupe, convaincus l’un et l’autre qu’il n’y a « pas de risques » avec l’Espagne, n’y sont pour rien. Les investisseurs n’ont pas davantage pris en compte le fait que, sur les 30 000 milliards de dollars de dettes accumulées par les trente et un pays de l’OCDE, la dette espagnole ne « pèse » finalement que 1 470 milliards. Non, ce qui les a dissuadés de continuer à jouer la carte d’un risque espagnol, c’est d’abord la décision de l’agence de notation Fitch de conserver à l’Espagne la note AAA – la meilleure. Selon Brian Coulton, l’un de ses économistes, le seul risque est en fait que la politique d’austérité mise en place retarde la reprise de la croissance. Un dommage limité, en comparaison de la banqueroute fantasmée.

La détermination à sauver la Grèce de la faillite manifestée, le 11 février à Bruxelles, par les dirigeants de la zone euro semble avoir convaincu les redoutables hedge funds qu’il était temps de trouver une victime moins coriace que l’Espagne. Mais jusqu’à quand ?

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