Or noir : la grande illusion

Cinq ans après l’euphorie née de la découverte de plusieurs gisements, la « nouvelle ère pétrolière » est loin d’avoir tenu ses promesses. Retour sur un rêve – pour le moment – déçu.

Une barge flottante de stockage et de déchargement de pétrole brut à Nouakchott, fév.2006 © AFP

Une barge flottante de stockage et de déchargement de pétrole brut à Nouakchott, fév.2006 © AFP

Publié le 24 février 2010 Lecture : 5 minutes.

« Le pétrole a eu un impact très faible sur l’économie. Il n’a pas changé grand-chose à la vie des gens. Aujourd’hui, les revenus de l’or noir représentent moins de 5 % du budget de l’État. » Tel est le bilan dressé par le ministre mauritanien des Finances, Ousmane Kane, des cinq premières années de l’ère pétrolière en Mauritanie­. Il est déçu, mais n’accuse personne : « En 2005, les compagnies étaient de bonne foi. Ce sont des problèmes techniques qui sont à l’origine de la chute de la production. » Celle-ci est en effet passée de 65 000 barils par jour (b/j) en février 2006, lors de l’inauguration du gisement de Chinguetti (à 80 km au large de Nouakchott), à 10 000 b/j en septembre 2007, au moment de la passation entre l’opérateur australien Woodside et la compagnie malaisienne Petronas. Cette dernière ayant beaucoup investi dans l’amélioration des techniques d’extraction, la production est remontée à 17 000 b/j à la fin de 2008. Comment en est-on arrivé là ? Et quelles sont les perspectives ?

Vastes bassins sédimentaires

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La Mauritanie intéresse les compagnies pétrolières américaines et européennes (Amoco, Mobil, Texaco, Esso, Shell, notamment) depuis son indépendance, en 1960. Le pays possède en effet de vastes bassins sédimentaires, qui se trouvent dans le prolongement des nappes géologiques de l’Algérie (le bassin du Taoudenni sur 500 000 km2) et qui s’étendent jusqu’à la mer (bassin côtier et offshore sur 184 000 km2). Plus de la moitié de la superficie de la Mauritanie est donc « potentiellement » riche en hydrocarbures. Plusieurs forages avaient été effectués, mais le seul qui ait donné des indices de gaz naturel se trouvait dans le désert, à Abolag. Inexploitable. C’était en 1974, à une époque où les compagnies préféraient le pétrole facile du Moyen-Orient ou du golfe de Guinée. Une époque aussi où les Mauritaniens ne pensaient qu’à leurs ressources traditionnelles : commerce de denrées alimentaires (thé, sucre, riz), pêche (artisanale et industrielle) et minerai de fer.

Vingt ans plus tard, le pétrole revient sur le devant de la scène… par un heureux hasard. En 1994, le géologue australien Max de Vietri débarque dans le désert de l’Akjoujt à la recherche d’une mine d’or. Il dévie de sa mission initiale lorsqu’il découvre des archives intéressantes sur l’or noir. Il flaire le jackpot, crée une petite compagnie, Elixir, et entraîne avec lui d’autres sociétés australiennes, Woodside et Hardman. Le gouvernement de Maaouiya Ould Taya laisse faire. Après tout, cela ne lui coûtera rien. Les opérateurs promettent d’investir 500 millions de dollars dans l’exploration du bassin offshore. L’aventure commence avec un forage à quitte ou double (wildcat­) à Chinguetti : le pétrole jaillit le 13 mai 2001 à l’aube. Le gouvernement donne des consignes fermes de black-out total. Inutile d’alerter le peuple, on ne sait jamais comment il va réagir… Après d’autres forages d’appréciation, on évalue le pétrole « récupérable » de Chinguetti entre 135 et 150 millions de barils. Dans la même zone maritime (très profonde), on continue de creuser. Le pétrole jaillit encore à quatre reprises. On découvre ainsi les champs de Banda (2002), Tiof (2003), Pélican (2003) et Tevet (2004). Les opérateurs, dont les actions grimpent en Bourse, annoncent que les réserves potentielles globales varient entre 1 milliard et 2 milliards de barils (pétrole et gaz naturel). Banco ! La Mauritanie va devenir un (grand) producteur de pétrole : 75 000 b/j pour Chinguetti dès 2005 et 200 000 b/j pour les cinq gisements en 2010. Comme le Tchad, qui inaugurait en 2003 son oléoduc, la Mauritanie se met à rêver.

Face aux découvertes successives, le gouvernement finit par annoncer, en 2004, l’octroi d’une concession de production d’une durée de vingt-cinq ans au consortium dirigé par Woodside. Et avant même le remplissage du premier tanker, Ould Taya décide par décret, le 17 janvier 2005, de multiplier par cinq le salaire minimum (de 4 300 à 21 000 ouguiyas, soit de 16 à 79 dollars). Les compagnies de renom frappent à la porte : Total et Gaz de France, Repsol, British Gas, Shell, CNPCIM… Elles rejoignent les « petites sœurs » déjà présentes : Dana, Energem, Wintershall, Tullow Oil, Roc Oil ainsi que Baraka et Brimax (les joint-venture formés alors par Max de Vietri). Les deux bassins sédimentaires sont découpés en parcelles pour satisfaire toutes les demandes de permis.

Recrutement bâclé

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Mais les premières complications apparaissent sur Chinguetti : le gisement est très difficile d’accès (2 600 m de profondeur). Il faut donc apporter un grand soin au creusement des puits de production et au réglage du débit. Si ces opérations sont mal faites, le gisement se referme sur lui-même et ne donnera que 10 % ou 20 % de son potentiel. Woodside reporte la mise en production de trois mois, à février 2006. Mais l’opérateur se heurte à la demande pressante du gouvernement d’aller plus vite. Après le putsch manqué de juin 2003 et la fin du procès de ses auteurs (février 2005), Ould Taya voulait disposer d’un maximum d’argent frais pour financer son programme électoral, qui battait de l’aile (son mandat arrivait à échéance en 2009). « L’opérateur Woodside fut contraint d’accélérer le développement de Chinguetti. Le recrutement des employés fut hâtif et bâclé. La pression exercée sur les équipes techniques causa un stress considérable », explique aujourd’hui Max de Vietri, qui a cédé ses parts et quitté le pays pour s’installer à Perth, en Australie, où il prépare une thèse de doctorat dont le thème est « pétrole et environnement sociopolitique ». Ces erreurs techniques ne sont donc pas seulement du fait de Woodside, qui fut accusé de tous les maux après le renversement d’Ould Taya (3 août 2005) et qui a dû revendre sa concession à Petronas (septembre 2007) pour 418 millions de dollars en mettant à jour, à l’amiable, ses comptes avec la Mauritanie (100 millions de dollars).

L’espoir demeure

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Avec la consolidation de Mohamed Ould Abdelaziz à la tête de l’État et l’arrivée d’une nouvelle classe d’explorateurs (malaisiens, chinois, français, britanniques), la Mauritanie se prend de nouveau à rêver d’un eldorado pétrolier en mer comme dans le désert. Les forages d’appréciation des gisements connus semblent très prometteurs. Total termine son forage exploratoire dans le Taoudenni. Selon le FMI, la production annuelle pourrait quadrupler, passant de 5 millions de barils en 2010 à 20 millions en 2015. Les autorités ont nettoyé la carte des permis en éliminant les compagnies « dormantes » et en réduisant la taille des blocs. Elles sont en train de mettre la dernière main au nouveau code pétrolier, qui devrait être promulgué d’ici à la fin de l’année. Il instituera la pratique des « bonus » de signature dans les contrats d’exploration, de production et d’extension (ce qui pourrait rapporter à l’État plusieurs millions de dollars par contrat) et un meilleur suivi du cahier des charges. Les octrois de permis seront soumis à des procédures transparentes.

Fini les dessous-de-table et le gré à gré. Fini la gourmandise. En 2005, on avait oublié le dicton mauritanien selon lequel « ce qui représente le plus grand danger pour les lèvres, ce sont les dents ». Les autorités ont retenu la leçon et font désormais preuve de patience. « Nous savons que le pétrole existe. Avoir de l’argent tout de suite, ce n’est pas le problème. Le problème, c’est de bien le gérer. Pour cela, le pays est en train de se mettre en ordre de marche. Il s’organise afin d’utiliser à bon escient les ressources futures », conclut Ousmane Kane. 

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